« Redonner la possibilité de l’audace, » assurait en septembre 2007 Nicolas Sarkozy. Oui, mais à qui ? Le jour même ou presque, le maire de Fréjus (83) annulait subitement, deux mois avant le début des travaux, son projet d’un nouvel office de tourisme contemporain conçu par l’agence METEK. Retour sur un projet avorté qui ne laisse que des regrets.
Madame Marco dirige la Direction générale de l’aménagement du territoire à Fréjus (Var). Elle ne tarit pas d’éloges sur le projet d’un nouvel office de tourisme en entrée de ville dont les architectes Sarah Bitter et Nathalie Blaise (METEK) ont gagné le concours en juillet 2006. « C’est un très bel édifice, une architecture tout à fait propre et défendable et nous avons travaillé en parfaite coordination avec les architectes, il n’y a pas eu de problèmes », dit-elle. Pourtant les Fréjussiens n’en verront jamais que les esquisses qui leur furent présentées en réunion de quartier.
En effet, Elie Brun, maire de Fréjus, deux mois avant le début des travaux et plus d’un an après la notification du marché (et deux mois après la notification de marché de l’aménagement des abords), résiliait purement et simplement le projet. En guise d’explication, dans un courrier adressé à METEK, le maire écrit que « le marché n’a pu aboutir, cependant la mission confiée au cabinet METEK a été exécutée avec compétence et sérieux dans le respect des délais. Les relations avec les architectes ont toujours été cordiales ».
Stupeur compréhensible de Nathalie Blaise et Sarah Bitter de ce soudain abandon. « Ce projet, par bien des aspects, soulève pourtant des problématiques d’actualité comme le devenir des entrées de ville ou la place de l’architecture contemporaine en site historique », déplorent-elles. « Le choix appartient aux politiques et il est toujours compliqué de prendre des décisions sur une architecture audacieuse », relève Mme. Marco. Sans doute puisque, en l’occurrence, c’est la seconde fois que la mairie change son fusil d’épaule au dernier moment à propos de cet office du tourisme, un précédent contrat ayant également été rompu à l’issue de deux ans de travail avec un autre architecte.
Le projet est situé à l’entrée est de la vieille ville, dans un site chargé d’histoire, à proximité immédiate du rempart, de la tour XVIe siècle, du Tribunal de Grande Instance et d’une opération de logements neufs. « Afin d’inscrire le bâtiment public de l’Office du Tourisme dans un projet global et cohérent d’entrée de ville, nous avons commencé notre mission en proposant à la mairie d’utiliser la moitié de l’emprise du terrain pour générer différents espaces publics mettant en relation les éléments remarquables du site » explique METEK. La mairie a approuvé cette démarche en lançant un appel d’offres pour l’aménagement des abords de l’Office de Tourisme, également remporté par METEK en juillet 2007.
« Notre projet d’Office de Tourisme reprend l’emblème de la tête bicéphale de Fréjus en développant un caillou à deux visages. A l’est, le bâtiment fait masse en écho à la tour des anciens remparts, son enveloppe brute et minérale se soulève et semble léviter au-dessus d’une paroi de verre inclinée : une vitrine sur l’espace d’accueil. A l’ouest, la surface du bloc monolithique est plus précieuse, plus raffinée. Elle est travaillée comme une pierre sculptée, grattée, creusée. Des veinures verticales parcourent la façade et mettent à nu une autre matière qui laisse deviner la profondeur de l’édifice. Le bâtiment est identifiable, il affiche une certaine monumentalité car il représente l’activité première de la ville, à savoir le tourisme. Il est la démonstration que contemporanéité ne rime pas forcément avec architecture de verre ou irrespect du patrimoine », détaillent Sarah et Nathalie.
De fait, au fil des rencontres qui s’échelonnent entre juin 2006 et juillet 2007, le maire de Fréjus, ainsi que toutes les personnes compétentes de la ville (élus, service d’urbanisme, architecte des bâtiments de France, architecte conseil de la ville, etc.) soutiennent ce projet qui a été présenté aux habitants et dont le budget est voté. Le dossier était en phase consultation entreprise avec un démarrage chantier prévu en novembre 2007 quand un article de Var-Matin apprend aux architectes que le marché est annulé, Elie Brun optant au final pour l’aménagement de l’office de tourisme dans un bâtiment privé initialement conçu à usage commercial et résidentiel, assorti d’une place publique dont le seul fondement serait, selon le journal qui cite le maire, la présence « d’une fontaine et autres décorations florale ».
En d’autres termes au lieu de réaliser un bâtiment public contemporain et donc visible, celui-ci sera dissimulé dans un bâtiment privé de style néo provençal conçu pour un autre usage et plutôt que d’aménager des espaces publics créant du sens entre les éléments du site et surtout en rapport avec l’édifice public, une place publique sera conçue uniquement pour occuper le terrain abandonné.
« En me rendant à diverses reprises sur le site, j’ai pensé que ces projets n’étaient finalement pas satisfaisants », a expliqué Elie Brun à Var-Matin. « A mes yeux, la place est trop petite pour accueillir une bâtisse de 500m². La structure aurait été trop imposante et aurait donc considérablement gâché l’entrée du centre ancien. Je reste convaincu que les deux projets présentés étaient trop lourd pour cet emplacement », dit-il. Il précise enfin que le transfert de l’office du tourisme fera au final « gagner un an de travaux ».
Maurice Accary, premier adjoint au maire et adjoint chargé de l’urbanisme tient pourtant lui à préciser, lors d’un entretien avec votre serviteur, que la décision ne s’est pas prise « contre le projet ». Il admet bien volontiers qu’il y eu de « très longue fiançailles » avant de s’en tirer par une pirouette : « quand il n’y a pas de mariage, il n’y a pas de divorce ». Surtout, expliquant que le maire avait pris sa décision seul avec lui, il donne le fond de sa pensée. « Quels que soient les problèmes d’une commune, on finit toujours par les régler, même des problèmes financiers, même s’il faut 20 ans, mais une connerie sur le plan de l’urbanisme et de la construction, les citoyens en payent les conséquences pendant 200 ans », dit-il. « Une erreur d’urbanisme, c’est horrible, prenons le temps », insiste-il.
En clair, le maire et son adjoint, après avoir tout fait parfaitement dans les règles, avec courage, de façon ouverte et claire tant du point de vue des architectes, des règles des marchés publics que des habitants, ont, au final, eu peur de leur propre audace et n’ont pas voulu injurier l’avenir. Et sans doute n’ont-ils pas envisagé l’inverse, ce que ce projet, au contraire, aurait pu apporter à la ville pendant les 200 prochaines années. Et sans doute n’ont-ils pas su accorder leur entière confiance à leur propre équipe de ‘sachants’ qui soutenait le projet.
Ainsi, alors que Nicolas Sarkozy, président de la République, enjoint aux architectes de ne pas manquer d’audace, voici un exemple d’école d’un projet qui ne se construit pas pour son audace même, fut-elle relative et maîtrisée. En effet, il ne s’agit pas d’une histoire d’argent : les honoraires, en partie, et pénalités des deux projets recalés ont été payés ; le prix payé au promoteur pour environ 400 m² à environ 5.000euros/m² (prix de l’immobilier à Fréjus sur ce site) auquel s’ajoute les frais d’aménagement se révèlent au moins similaire, sinon plus grands, que celui du projet de METEK (960.000 euros APD validé) qui offrait 460m² utiles. Il ne s’agit pas non plus d’une incompatibilité d’humeur entre architectes et maîtres d’ouvrage ; non plus d’une incompétence de l’une ou l’autre partie. Il n’y eut pas non plus une levée de bouclier de la population contre le projet ce qui, à un an des municipales, aurait pu être un élément déterminant. La presse s’était même montrée heureusement surprise, le magazine Résidence Décoration commençant son article titré ‘Renouveau’ en écrivant : «Enfin une municipalité qui ose le contemporain sans se cacher derrière une grande signature… »
C’est raté !
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 28 novembre 2007