Que peut un ministre du Logement ? Surtout quand il est sous tutelle du ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales ? Apparemment rien. C’est fou le silence de la part d’un ministre, Olivier Klein en l’occurrence, alors même que la question du logement est au centre de toutes les problématiques depuis sa nomination. Un ministre impuissant ?
En cet été 2022, pour résumer à gros traits : des maisons brûlent et des gens sont évacués ? Pas de ministre du Logement, à peine un déplacement du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires. Les journaux sont pleins d’histoires sur la pénurie de main d’œuvre des saisonniers, liée notamment à la difficulté de les héberger ? Pas de ministre du Logement. Les solutions trouvées ont été locales, avec par exemple l’ouverture des internats*.
Continuons. A la veille de la rentrée, la Fondation Abbé Pierre alertait sur les 1 600 enfants qui dormaient dehors avec leur famille, une hausse de 86% par rapport à l’an passé. Pas de ministre pour s’inquiéter. Ces dernières semaines, des étudiants ont renoncé à leurs études faute de trouver un logement** (ou cherchent encore en vain***) ? Pas de ministre du Logement non plus. Le week-end du 24 et 25 septembre, des manifestations ont eu lieu en Bretagne à l’initiative de quatre associations afin que la région soit classée en « zone tendue » permettant de débloquer des leviers notamment fiscaux sur les résidences secondaires et les logements vacants****. Une expression du ministre peut-être ? Non. Le Monde a même publié un bon papier le 14 juillet, où témoignaient des salariés et fonctionnaires sans logement, et qui pour certains réfléchissent à partir*****. A-t-on entendu le ministre du Logement s’exprimer sur ces sujets pourtant dans son portefeuille ? Non, toujours pas. A-t-on entendu, vu le ministre se déplacer sur ces terrains extrêmement tendus ou échanger avec les élus locaux ? Non. Même durant les échanges un brin policés de la profession à Inauxesta, le ministre n’est pas venu. Ce qui est peu commun.
A quoi sert le ministre de la Ville et du Logement quand tous les voyants sont au rouge ? Quand les courtiers s’insurgent contre les refus de prêt parce que le taux d’usure est trop faible ? On touche pourtant là à ce cher beau slogan bien français « tous propriétaires ». Mais à quel prix ? Et pour qui surtout ?
En lisant la presse et en écoutant la radio, chacun comprend encore et toujours que ce sont les plus précaires qui sont les plus mal lotis. Les étudiants, les travailleurs des classes moyennes, les primo-accédants, etc. Malgré tout, le ministre ne répond à rien. A peine parle-t-il de la crise énergétique car ce portefeuille est cogéré avec sa consœur du ministère de l’Energie, toujours plus ‘’punchy’’ dans ses conseils pour économiser de l’énergie (éviter les pj dans les mails, c’est mal). Il faut dire que les macronistes ont le micro plus frétillant que l’ex du parti communiste passé au PS et ayant rallié un parti du Président dont l’inclinaison est à droite toute !
Comment un ministre transfuge, qui semble esseulé dans le gouvernement, peut-il peser ? En lisant Justine Reix sur le ministère de l’Ecologie******, on ne peut que faire le parallèle avec le ministère du Logement. Justine Reix dresse le portrait du ministère dit « de l’impossible » parce que les décisions qu’il doit ou devrait prendre ont des ramifications entre autres avec les autres ministères : industrie, agriculture, santé, etc. et bien sûr le plus puissant d’entre eux, Bercy. Et de déplorer ainsi le manque d’ambition écologique, toujours et largement freinée par les « amis » du Conseil du ministre. Et parmi les autres freins, les lobbys. Ce n’est qu’une partie du livre, mais cela ramène à ce qu’est le ministère du Logement.
La question des logements étudiants est une discussion à avoir avec le ministre de l’Education nationale, plus à l’aise dans les débats académiques que dans son maroquin, et la ministre de l’Enseignement supérieur, peu audible, un trio de têtes pour travailler sur le logement étudiant. Le logement des saisonniers ? Une question qui pourrait impliquer à terme de réfléchir sur des contraintes supplémentaires sur les locations Airbnb dans les territoires tendus et sur les petites surfaces, voire interdire l’achat de résidences secondaires*******. Pour y parvenir, il faut l’imprimatur du ministère de la Justice, du ministère du Travail, et de Bercy et du ministre du Numérique sous tutelle de Bercy. Autant dire que le combat est perdu d’avance. S’il est question des lobbys, que fait le ministre face aux majors du BTP, face aux industries du numérique, face à tous ceux qui pourraient s’opposer à une nouvelle loi foncière pourtant demandée et instamment nécessaire ?********. Ce quinquennat sera sûrement le premier sans loi sur le logement, et peut-être sans nouveau dispositif fiscal (ce dont on peut se réjouir car certains seraient plutôt à supprimer).
Que peut faire le ministre du Logement ? Rien. La seule chose que peut et veut le ministre du Logement, c’est se placer dans la suite d’un Borloo, et rêver, en tant qu’élu de Clichy-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), d’une nouvelle grande loi sur la politique de la ville. Ses propositions ont déjà été publiées dans le rapport qu’il a coécrit pour la Fondation Montaigne en juin 2022, L’avenir se joue dans les quartiers pauvres. Des propositions certes intéressantes, et qui parlent d’éducation, de sécurité, de santé, du rôle des associations, etc. De tout sauf de son portefeuille, le logement. Pour cela, il lui faudrait rassembler autour de lui les gens concernés, puis concerter, rassembler, puis proposer. S’il passe cette étape, il lui faudra arriver au parlement dont on connaît d’ores et déjà la composition. Autant dire que c’est mission impossible de faire passer le moindre texte qui concerne une ambition pour les Quartiers Prioritaires de la Ville. D’autant plus que Macron ayant déjà enterré le rapport Borloo commandé en 2018 en moins de deux minutes, ce n’est pas pour en remettre une couche au milieu d’une guerre, d’une crise énergétique qui devient une crise économique.
Avec le ministère de l’Ecologie, le ministère du Logement est l’autre ministère de l’impossible. Celui-ci qui pourtant concerne un bien de première nécessité, la première d’entre-elles même, un toit, et si possible de qualité pour s’insérer, travailler, avoir une vie décente. Mais peu s’y passera. La faiblesse de ce ministre face au grand argentier est quasi pathétique. Avec à Bercy un titulaire aux ambitions présidentielles, c’est l’assurance que rien ne sortira des fonds publics pour la politique de la ville, surtout pas pour lutter contre la financiarisation sans merci du logement, encore moins pour mettre à mal nos chers promoteurs et constructeurs du BTP.
Julie Arnault
* https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/07/31/en-bretagne-des-travailleurs-loges-en-urgence-dans-des-internats-pour-sauver-la-saison_6136724_3234.html
** https://www.radioclassique.fr/societe/logements-etudiants-la-penurie-pousse-certains-a-renoncer-a-des-formations/
*** https://www.liberation.fr/societe/education/etudiants-sans-logement-en-pleine-rentree-je-nai-aucun-plan-de-secours-20220914_MYONYFCC6FEBVHMHJ3O3R2JGT4/
**** https://www.sudouest.fr/societe/logement-plusieurs-manifestations-pour-le-classement-de-la-bretagne-en-zone-tendue-12232449.php
***** https://www.lemonde.fr/economie/article/2022/07/14/en-bretagne-c-est-devenu-impossible-de-se-loger-on-nous-pousse-dehors_6134727_3234.html
****** Vous pouvez lire le livre de Justine Reix si vous voulez connaître comment fonctionnent les négociations entre ministères, avec les lobbys et avec les parlementaires, et si vous ignorez ce qu’est une RIM (pour les intimes).
******* Sur la captation de la rente : https://metropolitiques.eu/L-exode-urbain-extension-du-domaine-de-la-rente.html
******** https://www.lejdd.fr/Politique/tribune-des-elus-de-gauche-appellent-a-la-regulation-du-foncier-face-a-la-crise-du-logement-4136367