Martine se demande parfois ce qui lui a pris de vouloir devenir maire, sans étiquette, de Sainte-Gemmes, une petite commune de banlieue. Elue depuis les dernières élections, elle doit sur son budget municipal annuel payer jusqu’à 70 000€ d’amende pour non-respect de la loi SRU. Et elle vient de recevoir de la part du préfet ses objectifs triennaux pour la période 2016-2019 lui enjoignant de construire au moins 150 logements sociaux supplémentaires. Elle a trouvé le ton de ce courrier bien comminatoire et s’est donc replongée dans la paperasse.
Elle retrouve d’abord le premier objectif triennal SRU de la commune, daté de 2001. La population alors travaillait encore en majorité à ou pour l’hôpital et Sainte-Gemmes comptait 1 500 ‘résidences principales’ pour, il est vrai, seulement 100 logements sociaux tant la démographie de Sainte-Gemme, banlieue un peu chic sur les rives du fleuve, était encore à l’époque principalement composée de la classe moyenne liée à la présence de l’hôpital.
Pour la période 2001-2004, il fut donc conclu de construire 100 autres logements sociaux. Soit quand même de doubler le parc en trois ans, se dit Martine. Vérification faite, l’objectif fut atteint. En toute logique, pour la période 2004-2007 suivante, l’objectif triennal fut donc reconduit et 100 logements sociaux supplémentaires sur la période furent en effet édifiés. La commune avait donc en six ans triplé son parc de logements sociaux conformément à l’esprit de la loi.
Sauf que la population avait entre-temps augmenté de 600 foyers supplémentaires, attirés par le cadre préservé de la ville tandis que l’hôpital se restructurait et mettait des terrains constructibles à disposition. En comptant les 200 nouveaux logements sociaux, Sainte-Gemme comptait soudain six ans plus tard 2 300 ‘résidences principales’ et, en 2007, si la commune comptait bien 300 logements sociaux, il en eut fallu 440 pour atteindre la barre des 20% et être en conformité avec la loi.
Considérant sa situation près d’une grande agglomération, d’excellentes infrastructures, Martine comprend que, au fil des années, la majeure partie de la croissance de la population de sa commune était somme toute naturelle, d’autant que c’était encore les années d’euphorie et la construction privée allait bon train, au moins une centaine de nouveaux foyers par an. Mais quand dix logements particuliers ou en accession sont construits, ce sont deux nouveaux logements sociaux qu’il incombe à la commune de construire. Du coup pour la période 2007-2010 et afin de tenter de refaire son retard, Sainte-Gemme s’était engagée à construire 150 logements sociaux. Et elle y est parvenue, constate Martine non sans une pointe de fierté ! Et encore 100 logements sociaux de plus entre 2010 à 2013, malgré la crise !
Pour le coup, en 2013, avec 550 logements sociaux, la commune n’était plus très loin de l’objectif des 610 logements sociaux correspondant à 20% des désormais 3 050 ‘résidences principales’ de la commune. Belle preuve de dynamisme, se dit Martine qui pensait à tous les équipements construits en ville pour accompagner ce développement.
C’est alors que la loi a changé, le taux de la loi SRU passant de 20 à 25%.
Malgré la crise, entre 2013 et 2016, la commune est encore parvenue à construire 100 logements sociaux supplémentaires mais, à l’aune de la population croissance de Sainte-Gemme et de ses désormais 3 350 ‘résidences principales’, si la ville compte certes désormais 600 logements sociaux, soit six fois plus qu’en 2000, il lui en manque encore 237 – plus encore qu’en 2000 quand tout a commencé – pour atteindre l’objectif que lui impose la loi de 25% de logement sociaux parmi ses résidences principales.
Entre-temps, les dotations de l’Etat ont quasi complètement cessé, les logements sociaux sont devenus très difficiles à financer, sans même parler des logements les plus sociaux. C’est à ce moment, aujourd’hui donc, que dans le cadre de l’objectif triennal 2016-2019, le préfet demande à la commune de faire un effort ? Que lui répondre se demande Martine ? Qu’à l’impossible nul n’est tenu ? Toujours est-il qu’elle trouve la situation désespérante, sachant qu’elle est responsable de l’application de la loi, toute la loi !
Martine sait bien que des communes, suivez son regard, préfèrent payer la taxe annuelle plutôt que de construire des logements sociaux. Elles voient aussi celles qui changent d’agglo en fonction du ratio SRU pour éviter de construire chez elles. Pour sa part, les «20 % du potentiel fiscal par habitant multiplié par le pourcentage de logements sociaux manquant, avec un plafond fixé à 5 % du montant des dépenses réelles de fonctionnement de la commune de l’année précédente», comme le dit son expert-comptable citant l’article L.302-7 du CCH, à 70 000 € par an, elle trouve que ça fait cher payer les efforts et que l’administration jacobine s’avère plutôt contre-productive.
Alors bien sûr que Martine écoute les promoteurs privés prêts à investir sur sa commune. Et pourquoi ne pas s’engager avec eux pour une architecture honnête avec au moins 25% de logements sociaux par opération ? Même si cela ne contribue en rien à résorber son déficit de logement social ! Une course sans fin…
Et avec le foncier qui se fait rare désormais…
Christophe Leray