La gouvernance, à la Culture et à l’Action des Comptes publics, c’est comme le loto du patrimoine, ça ne rapporte rien et ça coûte cher. Nous ironisions déjà en juin 2018 à l’annonce du lancement d’un futur loto du patrimoine*. Nous avions tort. Gouverner, comme dans gouvernail, c’est prévoir. En l’occurrence, ce loto du patrimoine est un chef-d’œuvre (en péril) de navigation à vue. Explications.
Le loto du patrimoine a fait long feu en septembre et est venu en octobre le temps des comptes. L’occasion pour Gérald Darmanin, nouveau ministre de l’Action et des Comptes publics, de se féliciter le 24 octobre 2018 du succès de la manifestation. Pour preuve, explique-t-il, les 14 M€ empochés par l’Etat en taxes diverses. C’est vrai quoi, en ces temps de disette, voilà 14 M€ cadeau pour les contribuables et merci les joueurs.
L’exercice fiscal eut pourtant l’heur d’agacer Stéphane Bern, héraut enthousiaste de l’initiative présidentielle, qui twittait alors à destination du ministre un message courroucé : «[14M€] Une goutte d’eau pour l’Etat qui représente tant pour le patrimoine. Ne pourriez-vous faire un geste et renoncer à ce prélèvement pour que tout soit destiné à sauver le patrimoine en péril qui, de toutes façons (sic), est à la charge de l’Etat ?»
Une goutte d’eau à 14 M€ ? Hé Stéphane, tout le monde ne connaît pas la vie de château (de l’Elysée). Passons.
Toujours est-il que Gérald Darmanin, agacé à son tour, dénonçait comme au Far West la «fake news» et s’empressait de donner, via Twitter également, le détail des comptes avec une gravité solennelle. «Sur 200M€ de recettes du loto du patrimoine, l’essentiel va aux joueurs (144M€), à la FDJ (22M€) et à la Fondation du patrimoine (20M€) ! 14M€ de taxes sont prélevés (Sécu, CNDS (sport)…)». Une réponse circonstanciée s’il en est.
En plus, comprend-on, l’Etat avait fait un effort avec un taux de TVA de 2%, «un niveau de taxation beaucoup plus faible que celui appliqué habituellement aux tirages du Loto», a précisé le ministre. Si ce n’est pas de la mansuétude.
En raccourci, 20M€ au patrimoine, 14M€ à l’Etat.
Ce qui, n’en déplaise à Stéphane Bern, est la loi. Bah oui, quand les joueurs achètent un ticket de loto, ou un ticket Millionnaire, ou qu’ils misent sur un cheval bon ou mauvais, l’Etat prélève sa part à chaque euro misé. Rien de mystérieux à cet égard. C’est pourquoi il y a toujours plus de perdants que de gagnants. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Etat interdit, à quiconque d’autre que lui, les jeux de loterie, quitte à surveiller les lotos des maisons de retraite.
Le budget de l’Etat, c’est ainsi beaucoup de gouttes d’eau de la Française des Jeux. D’ailleurs, si les joueurs sont prêts sur leur bas de laine à avancer 200 M€ pour n’en récupérer que 144, pourquoi se gêner ? Un monopole qui vaut raison d’Etat. Quel idiot a pu penser une seconde qu’il en serait autrement avec ce loto du patrimoine ?
Sauf que le tweet de Stéphane Bern a suscité une réaction absolument formidable, voire miraculeuse. En effet, dès le lendemain de cet échange intersidérant, en pleine discussion du budget 2019 de la nation, Gérald Darmanin, avec Franck Riester son collègue de la Culture, nouveau ministre qui n’en pouvait mais, annonçaient soudain le «déblocage» de 21M€ «supplémentaires en faveur du patrimoine».
21 M€ ? Pour le patrimoine ? Alléluia !
Il faut dire qu’au vu des sondages en berne, le président à l’initiative de cette brillante opération ne peut guère prendre le risque d’un départ fracassant à la Nicolas Hulot de son si populaire conseiller patrimoine. Il était donc urgent sans doute d’éteindre l’incendie. Alors, foin de politique politicienne, Darmanin et Riester ont été priés de trouver 21 M€, et fissa encore. Ils ont eu la nuit.
D’où le lendemain, via l’AFP, l’annonce spectaculaire et non dénuée d’autosatisfaction des deux ministres. 21 M€, normalement, ça calme ! Très bien, Stéphane Bern est content et, d’aucuns présument, le sont également les amoureux du patrimoine.
Au fait, d’où viennent-ils ces 21M€, cette goutte d’eau, comme dirait l’ami jovial ? Du ministère de l’Action et des Comptes publics ? Du budget de la Culture ? Cocher la case improbable.
En tout cas du budget de l’Etat puisque, pour compenser les 14 M€ perçus en impôts, l’Etat en reverse 21. Sauf que les premiers 14M€ ont été dépensés par des joueurs qui étaient tous volontaires à tenter leur chance et font ce qu’ils veulent de leur argent.
Pourquoi alors le nouveau différentiel de 7 M€ (voire carrément les 21 M€ au fil des mystères d’écriture comptables) serait-il au débit de tous les Français, y compris les moins joueurs d’entre eux ? Ceux-là n’avaient rien demandé en guise d’impôt nouveau. Il suffisait pourtant de reverser aux joueurs 137 M€ au lieu de 144 et le compte était bon.
Du coup, si l’argent public pourvoit, sur quelle ligne du budget voté par la représentation nationale ces 21M€ «supplémentaires» sont-ils inscrits ? Et qu’en est-il de l’égalité devant l’impôt pour les joueurs de PMU ?
Ou alors, 21 M€ qui sortent du chapeau à cette vitesse, c’est de la magie.
Maintenant, bonne chance il est vrai aux uns et aux autres des 18 projets concernés par le Loto-Patrimoine pour retrouver et se partager cette manne providentielle sinon jupitérienne !
Sur le fond, est-ce à dire que le système d’impôts et taxes, patiemment mis en œuvre par la France au fil des siècles, sur les jeux, l’essence, l’alcool et tout un chacun peut désormais être remis en cause du jour au lendemain d’un simple tweet ? Apparemment oui.
Ce qui met en exergue que, même en France, nous sommes entrés dans l’ère ‘Trumpesque’, pour la rime avec grotesque, quand la politique se fait à coups de tweets rageurs ou chafouins. Quoi, il aura donc suffi d’un tweet peu informé d’un mignon de l’Elysée pour que décision soit prise, sur le champ, d’allouer 21 M€ «supplémentaires» au patrimoine ? Bonjour la profondeur d’analyse et capacité d’anticipation… Ça c’est de la prospective coco ! A ce compte-là, pour le prix (gratuit) d’un compte twitter, autant virer la moitié des conseillers qui encombrent les ministères.
Et si dans une semaine Stéphane Bern s’excuse dans un autre tweet – «je n’avais pas bien compris que la loi s’applique à tous, y compris aux amoureux du patrimoine. Sorry. Bizzes.» – Darmanin et Riester, ils font comment ? Ils se mettent à cavaler pour récupérer l’argent public imprudemment ‘dispendié’ dans les services ?
En guise de politique patrimoniale, de politique tout court, cela ressemble à de la navigation à vue. Et l’automne est propice au brouillard.
Toujours est-il que cette affaire montre à quel point les actions de communication sont parfaitement organisées au plus haut niveau de l’Etat quand un loto-patrimoine finit par coûter plus cher qu’il ne rapporte ! Dans les maisons de retraite, même les mémés et les pépés se débrouillent mieux. Mais ils n’ont pas fait l’ENA !
Et pour leur retraite qui baisse en valeur, envoyer un tweet à Stéphane Bern.
Christophe Leray
*Voir notre article Pour le patrimoine français, les boules de Stéphane Bern