
Les bâtiments s’inscrivent dans le temps long et leur construction a besoin d’un cadre juridique et financier stable. Le détricotage des mesures environnementales observé actuellement affecte cette dynamique. Chronique de l’intensité.
Le personnel politique est-il à l’envers du sens de l’histoire ? Nous vivons une période de détricotage des mesures environnementales engagées en France et en Europe depuis de dizaines d’années. Des directives longuement mûries et négociées se trouvent aujourd’hui fragilisées et parfois vidées de leur substance. Des politiques menées depuis des années ainsi cassées dans leur élan. Les entreprises qui s’étaient engagées sur cette voie se trouve ainsi pénalisées. La vertu qui devrait être récompensée se trouve punie d’avoir cru aux injonctions politiques et en l’avenir.
Dans ce monde qui change rapidement et dans de nombreux aspects, c’est le statu quo ou même parfois le recul qui dominent. Au lieu de la recherche d’innovation et de solutions originales pour faire face au nouveau paysage qui se dessine, la simplification est le vecteur de ce recul observé en Europe notamment dans le cadre du paquet Omnibus. Les États membres ont décidé de restreindre la portée des directives CSRD et CS3D, en limitant leur champ d’application aux grandes entreprises.
Ce n’est pas le son de cloche que nous entendons du côté des entreprises, au moment où, par exemple, Entreprises pour l’Environnement, EpE* publie une note intitulée « La sobriété, nouveau moteur de la transformation des entreprises ». Bien sûr il en est qui traînent les pieds et cherchent à prolonger la situation ancienne. Mais d’autres se sont mis en ordre de marche vers le monde de demain. Le bâtiment n’est pas de dernier secteur à le faire. L’ingénieur Alain Maugard, ancien président du CSTB, a pu dire que ce secteur était un « acteur majeur des changements sociétaux », rien que ça.
La prise en compte de l’environnement, dans sa totalité ou parfois réduit à un aspect comme le climat ou le carbone, est un axe de progrès de toutes les professions concernées, architectes, entreprises, industriels des matériaux, ingénieurs, contrôleurs etc. Le virage de la rénovation est en cours, malgré les obstacles, une rénovation souvent motivée par le climat mais qui, dans la pratique, touche à bien d’autres aspects, quand elle dépasse le simple changement de fenêtres ou de mode de chauffage. La circulation d’air et l’acoustique sont concernées par les travaux sur l’enveloppe, et la loi prévoit même des interventions sur l’accessibilité dès que la structure est touchée, pour ne prendre que ces deux illustrations. De quoi apporter de l’intensité aux opérations.
Il faut dire que le bâtiment a été en 2007 le champion du Grenelle de l’environnement. Il regroupait à lui tout seul la moitié des mesures annoncées. La dynamique s’en est trouvée accrue, avec une orientation claire. Des formations spécifiques ont été instituées. Des formules de qualification se sont développées, avec des certificats ou des labels. Le climat devenant une préoccupation essentielle, les efforts et la communication ont été concentrés sur le carbone, au détriment du volet transversal de l’environnement et de la compréhension – donc de l’adhésion – du public, au point de nommer un label intermédiaire E+C-, c’est-à-dire deux dimensions, énergie et carbone, très liées, et aussi très techniques et peu appréhendables par les usagers, les utilisateurs des bâtiments.
Les habitants sont apparus comme des intrus dans un dispositif marqué par des objectifs prioritaires externes, oubliant parfois que les bâtiments sont édifiés avant tout pour accueillir des êtres humains dans de bonnes conditions, et que les économies d’énergie et la sobriété carbone ne sont que des contraintes à respecter.
Les bâtiments s’inscrivent dans le temps long et leur construction a besoin d’un cadre juridique et financier stable. Le détricotage des mesures environnementales observé actuellement affecte cette dynamique et met en en danger l’ensemble des politiques immobilières. Au-delà, ce sont toutes les entreprises qui se sont engagées qui sont touchées.
Le Pacte mondial des Nations Unies** regroupe celles qui ont accepté d’adhérer à un engagement volontaire construit à partir de dix principes. Droits humains, droit du travail, environnement et lutte contre la corruption sont au cœur de la RSE, responsabilité sociale et environnementale, que l’engagement souhaite promouvoir. Le réseau français du Pacte mondial a publié le 1er janvier 2025 le résultat d’une analyse des données sur des indicateurs clés ESG, déposées par ses entreprises adhérentes en 2024. Une des conclusions est l’importance de la durée. « L’ancienneté d’adhésion au Pacte mondial des Nations Unies est un facteur de performance ».
Prenons quelques indicateurs :
« – 60 % des entreprises françaises ayant adhéré il y a plus de 16 ans ont mis en place des critères de rémunération des cadres en lien avec la performance environnementale, contre 26 % de celles ayant entre 6 et 10 ans d’ancienneté, et 19 % de celles de moins de 2 ans d’ancienneté ;
– les entreprises plus anciennes agissent davantage sur les enjeux environnementaux : 95 % d’entre-elles agissent sur l’énergie, la gestion des déchets et le changement climatique, tandis que celles ayant adhéré il y a moins de 2 ans sont un peu moins de 80 % à agir ;
– plus de 80 % des entreprises ayant adhéré il y a plus de 16 ans ont pu agir efficacement pour atténuer un impact négatif sur la santé et sécurité au travail (contre 58 % des 6-10 ans et 51 % des moins de 2 ans), et 65 % sur l’élimination de la discrimination professionnelle (contre 35 % des 6-10 ans et 28 % des moins de 2 ans) ».
Les atermoiements et le stop and go en matière de politique environnementale comme en matière de politique économique sont des freins à la transformation de la société et des systèmes productifs. Des causes de retard qui coûteront cher et alourdiront la facture quand le changement nous sera imposé par les faits.
Dominique Bidou
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