Philippe Machicote, président de l’association Lumière sur le patrimoine, est tombé de sa chaise en lisant La Gloire de Notre-Dame de Maryvonne de Saint-Pulgent publié en décembre 2023 dans la collection Bibliothèque illustrée des Histoires des Editions Gallimard*, un ouvrage selon lui truffé d’erreurs. Courrier du cœur.
Philippe Machicote
Association Lumière sur le patrimoine
42 rue d’Avron
75020 Paris
Éditions Gallimard
5 rue Gaston-Gallimard
75328 Paris Cedex 07
Paris, le 31 janvier 2024
Madame, Monsieur,
Je viens de terminer la lecture du livre La Gloire de Notre-Dame de Maryvonne de Saint-Pulgent et j’y ai trouvé de regrettables erreurs que je me sens dans l’obligation de porter à votre connaissance :
– P. 41 : « La façade et les deux tours qui, avec le chevet, composent l’image sans pareille de Notre-Dame ne sont édifiées qu’à partir de 1208 et ne seront entièrement visibles qu’en 1245, date de l’installation des cloches de la tour nord ».
Si Mme. de Saint-Pulgent annonce des dates aussi précises, il faut qu’elle livre ses sources que les auteurs les plus autorisés recherchent et qu’ils n’ont jamais trouvées, l’absence d’archives médiévales relatives à la construction de Notre-Dame de Paris étant universellement déplorée. On lit encore dans cette même p. 41 : « … la flèche médiévale implantée à la croisée du transept étant édifiée en 1265 ». Viollet-le-Duc écrit dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle à l’article flèche : « Notre-Dame de Paris possédait une flèche en bois recouverte de plomb, qui datait du commencement du XIIIe siècle ». Et plus loin en donnant les plans de l’ancienne flèche : « Un chapiteau V sculpté dans le poinçon central donnait la date exacte de cette flèche (commencement du XIIIe siècle) ». Une date exacte que Viollet-le-Duc oublie étrangement de citer mais que Mme de Saint-Pulgent connaît on ne sait d’où. C’est vraiment dommage qu’elle ne donne pas ces sources-là alors que le livre comporte 835 notes répertoriées à la fin sur 54 pages.
– P. 58 : « … la tour nord étant un peu plus large pour abriter un bourdon monumental ».
Le gros bourdon actuel – qui date de 1686 et qui est beaucoup plus imposant que tous ceux qui se sont succédé depuis le Moyen-Âge – est dans la tour sud qui est la moins large des deux. Cependant, la tour sud est suffisamment large pour abriter un autre bourdon placé à côté du premier : la preuve en est que depuis 2013 le monumental bourdon Emmanuel n’est plus seul dans son beffroi, il a à son côté le bourdon Marie, deuxième plus grosse cloche du carillon.
Nous lisons encore p. 337 : « … la façade est dissymétrique, la tour sud étant plus large pour supporter le poids du gros bourdon ». Il faudrait savoir ! Il n’y a que deux tours à Notre-Dame de Paris, il est simple de vérifier laquelle des deux est la plus large : j’ose l’affirmer, c’est la tour nord. Il n’y a donc aucun rapport entre la largeur de la tour sud (la moins large) et le poids des cloches qu’elle abrite (les plus grosses). La théorie de Mme de Saint-Pulgent pour expliquer la dissymétrie de la façade de Notre-Dame de Paris est par conséquent non recevable.
– P. 74 : « Consacrées à la vie du Christ, sa Passion et sa résurrection, les boiseries sculptées polychromes qui clôturent le chœur… ». Mme. de Saint-Pulgent le répète plus loin : « …sa clôture en bois sculpté du XIVe siècle » ; « …la boiserie de la clôture… » (p. 231) ; « …afin de restituer une partie des boiseries du tour du chœur » (p. 283).
Ainsi, les lecteurs qui veulent s’instruire ne douteront pas un seul instant que ce qu’il reste de la clôture médiévale du chœur, c’est-à-dire les murs nord et sud, est bien en bois. Or, la clôture du chœur est en pierre et l’a toujours été. La chose est pourtant bien connue et facilement vérifiable, inutile de donner ici la longue liste de documents qui infirment les affirmations de l’autrice. Et pour ceux qui ne voudraient pas se donner la peine de chercher les sources sérieuses sur le sujet, je recommande une vidéo récente, émanant de l’Établissement public chargé de la conservation et de la restauration de la cathédrale Notre-Dame de Paris, intitulée Restaurateurs de peintures murales visible sur Youtube : on y voit une jeune femme travaillant à la restauration des peintures de la clôture du chœur qui explique, entre autres choses intéressantes : « On est sur un décor en pierre sculptée qui date de 1318 à peu près ».
– P. 74 : « …le jubé était orné d’une statue d’Adam en calcaire, aujourd’hui visible au musée de Cluny ».
Le musée national du Moyen-Âge – Thermes et hôtel de Cluny nous apprend que la statue d’Adam était originellement placée au revers du bras sud du transept, ce qui explique le fait qu’elle est entière et en bon état, alors que les statues qui ornaient le jubé médiéval, détruit au début du XVIIIe siècle, ont été découvertes en morceaux en 2022 sous le pavement de la croisée.
– P. 79 : « …allongement des deux bras du transept et création des grandes roses latérales qui améliorent l’éclairage dans la nef et le chœur ».
Les millions de gens qui ont visité Notre-Dame de Paris se sont rendu compte de l’obscurité qui y règne dans toutes ses parties, aussi bien dans la nef et le transept que dans le chœur, les collatéraux ou le déambulatoire. Les vitraux, qui sont des verres polychromes, éclairent peu. C’est pour cette raison que les chanoines les ont détruits au XVIIIe siècle afin de les remplacer par des verrières majoritairement incolores, beaucoup plus lumineuses. Seules les trois roses ont été épargnées, certainement parce qu’elles étaient dignes d’admiration, même pour les contemporains de Louis XV – mais aussi parce que placées aux extrémités du transept, les deux plus grandes roses de la cathédrale ne peuvent en aucune manière éclairer la nef et le chœur qui leur sont perpendiculaires. Il suffit de prendre un plan de la cathédrale pour le comprendre.
– P. 111 : « … à condition de disposer d’un grand orgue symphonique en sus d’un orgue de chœur désormais chargé d’accompagner les chants et placé dans la nef ».
Comme son nom l’indique, l’orgue de chœur n’est pas, et n’a jamais été, dans la nef.
– P. 119 : « Ces auteurs font ainsi la preuve que le sens théologique de la statuaire de Notre-Dame s’est perdu dès l’époque classique, ce que confirmeront les conventionnels en faisant démolir la galerie des rois de Juda, qu’ils prennent pour celle des rois de France ». Et un peu plus loin, p. 168, nous lisons : « Comme l’ont bien compris les badauds dès le XIIIe siècle, la galerie des rois de la façade occidentale, réalisée après la bataille de Bouvines et bientôt copiée dans d’autres cathédrales du domaine capétien, Chartres et Amiens notamment, ne se borne pas à représenter la généalogie de la Vierge : elle évoque aussi la lignée glorieuse de Philippe Auguste et de son fils, rattachée à celle de Charlemagne par le mariage avec sa descendante Isabelle de Hainaut, mère du dauphin Louis ».
Si les badauds l’ont bien compris, les lecteurs n’ont rien compris du tout : les conventionnels de 1793 ont-ils détruit des effigies de rois de France ou ont-ils détruit des effigies de rois de Juda ? Nous ne le saurons pas ici, mais nous éprouvons un malaise à la lecture de pareilles contradictions.
– P. 120 : « …devant l’antre obscure de la nef qui s’ouvre devant elle alors qu’elle est amenée devant le parvis pour y faire amende honorable… ».
Esmeralda est amenée sur le parvis, et par conséquent devant Notre-Dame.
– P. 123 : « …montrant le stryge, devenu le Diable de Notre-Dame… »
Il faut écrire « la stryge » ou « la strige » puisqu’il s’agit d’un démon femelle comme nous l’enseignent tous les bons dictionnaires.
– P. 161 : « …la croisée du transept est garnie de stalles où siègent les chanoines… »
Les stalles, en bois, ont toujours été dans le chœur, fermé autrefois de tous côtés par une clôture sculptée, en pierre. Les chanoines y siégeaient ainsi à l’abri des courants d’air et des va-et-vient incessants des laïques. On ne sait trop pourquoi on lit cette extravagante information p. 161 alors qu’à la p. 160, fig. 48, on nous donne à voir une Vue cavalière du jubé et du chœur de la cathédrale Notre-Dame de Paris, tirée du Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle de Viollet-le-Duc, où l’on distingue nettement dans le chœur la disposition des stalles, situées à gauche et à droite, perpendiculaires à l’autel placé dans l’axe de la porte du jubé.
– P. 167, à propos de Philippe Auguste : « Son long règne lui permet surtout d’affirmer le pouvoir du roi de France – il est le premier à revendiquer ce titre et à ne plus se contenter d’être roi des Français… ». Mais nous lisons p. 213 : « Quoique descendant de Saint-Louis et donc plus à sa place que Napoléon dans la cathédrale capétienne, le premier ”roi des Français” Louis-Philippe… ».
Le premier ? Alors que le lecteur a cru comprendre précédemment que d’autres ont porté ce titre avant Philippe Auguste ? Simplifions les choses et disons, pour faire court, que Louis-Philippe a été le dernier roi des Français, voilà au moins une chose qui est bien certaine.
– P. 229 : « La plus célèbre des pompes funèbres de héros est celle du Grand Condé, le plus grand chef militaire avant Turenne, qui meurt de vieillesse en 1686 ».
Perclus de goutte et affaibli par la petite vérole, le Grand Condé est mort à 65 ans, pleuré par Louis XIV qui mourra de la gangrène à quatre jours de ses 77 ans. Parmi leurs illustres contemporains nous trouvons Mignard qui est mort à 82 ans, Rigaud à 84 ans, Le Nôtre à 87 ans, Largillière à 89 ans. Et Fontenelle est mort à un mois de ses 100 ans, de vieillesse si on voudra.
– P. 231, à propos des transformations du chœur de la cathédrale au début du XVIIIe siècle : « Le baroquisme néoclassique de l’ensemble… ».
Le néoclassicisme, qui est avant tout une réaction aux excès du baroque, est né vers 1750 à l’époque où le nouveau décor du chœur de Notre-Dame était achevé depuis un quart de siècle. Ce décor était une pure illustration du classicisme à la française comme l’est la chapelle du château de Versailles, pour ne prendre que cet exemple dans le domaine religieux. Le « baroquisme néoclassique » n’est qu’un curieux concept mental.
– P. 232 : « …remplacement des vitraux médiévaux par des verrières blanches et du portail du Jugement dernier par un porche de Soufflot, agrandi pour faciliter le passage des dais pendant les processions ».
L’architecte Soufflot a vandalisé, dans l’indifférence générale, le grand portail central du Jugement dernier en 1771 en supprimant le trumeau (la colonne qui sépare les deux vantaux) et une partie des deux linteaux au-dessus, mais aussi les piédroits de chaque côté. Ces éléments ont été reconstitués par Lassus et Viollet-le-Duc à la fin des années 1840 et au début des années 1850. Un porche est une construction en saillie qui abrite la porte d’entrée d’un édifice. Or les portails de la façade occidentale de Notre-Dame de Paris ne sont pas saillants, ils n’ont pas de porche et ils n’en ont jamais eu. Soufflot n’a donc pas remplacé le portail du Jugement dernier par un porche, il a fait assez de dégâts comme ça.
– P. 248 : « …sauve Notre-Dame des Parisener kanonen… »
Des Pariser kanonen.
– P. 282 : « … la flèche à la croisée du transept, dont la vétusté avait justifié le démontage entre 1786 et 1792… ».
Cette flèche d’origine qui servait de petit clocher et qui penchait dangereusement depuis le milieu du XVIIIe siècle fut certainement détruite en 1792 comme l’atteste l’inscription sur la copie d’un dessin de Jean-François Garneray (1755-1837) conservée au musée Carnavalet : Ancienne flèche de Notre-Dame Dame détruite en 1792… Dans sa Description historique de la basilique métropolitaine de Paris, parue une première fois en 1811, puis en 1821 dans une version revue et augmentée, Antoine-Pierre-Marie Gilbert (1785-1858) écrit : « … lorsque l’autorité municipale, au lieu d’appliquer à sa restauration une somme prise sur les revenus des fabriques des paroisses, dont elle s’étoit (sic) arbitrairement emparée, ordonna la destruction de cette flèche en 1793, pour disposer du plomb en faveur du gouvernement révolutionnaire ».
De plus, on trouve dans un almanach pour l’année 1793, et donc paru fin 1792, l’information suivante : « Le petit clocher de Notre-Dame menace ruine ! […] Le petit clocher n’est pas encore tombé… ». (Cf. Almanach littéraire ou Étrennes d’Apollon pour l’année 1793 et la deuxième de la République, p. 233). Écrire 1792 ou 1793 ne devrait pas faire l’objet d’un débat, mais annoncer encore aujourd’hui « entre 1786 et 1792 » pose un problème.
– P. 282 : « …la modification des baies de la nef et du transept proposée pour améliorer l’éclairage naturel de la cathédrale… ».
Lassus et Viollet-le-Duc ont voulu reconstituer l’élévation primitive de la cathédrale du XIIe siècle à quatre niveaux : grandes arcades, tribunes, oculi aveugles et fenêtres hautes. Au début du XIIIe siècle, il a été décidé d’agrandir les fenêtres hautes en modifiant la toiture des tribunes ce qui a permis de supprimer les oculi, qui donnaient dans l’obscurité des combles, pour laisser entrer plus de lumière. En revenant au soi-disant état du XIIe siècle tout autour de la croisée du transept, les architectes du XIXe siècle n’ont donc pas amélioré l’éclairage naturel de la cathédrale, même s’ils ont vitré leurs oculi.
– P. 289 : « Lui aussi archéologue dans l’âme, Lassus rétablit d’abord une flèche à la Sainte-Chapelle, qui a perdu la sienne pendant la Révolution, et choisit de ne pas restituer celle du XVIIe siècle, construite sous Louis XIII et Louis XIV après l’incendie, mais celle du XVe, plus adaptée au gothique flamboyant de l’édifice…».
La Sainte-Chapelle de Paris construite de 1241 à 1248 sous le règne de Saint-Louis est bien connue pour être l’un des plus grands chefs-d’œuvre du gothique rayonnant. Le gothique flamboyant émerge environ 150 ans plus tard, et ce n’est qu’à la fin du XVe siècle que la seule rose de la Sainte-Chapelle de Paris est refaite dans ce style.
– P. 289, à propos du projet de restitution de la flèche ancienne de Lassus et Viollet-leDuc : « Il en existe aussi un dessin de “feu Garneray“ de la fin du XVIIIe siècle dont s’inspire leur projet de 1843, et des relevés établis avant la Révolution pour en expertiser l’état sanitaire. Mais ces éléments qui prouvent l’existence d’une flèche à la croisée du transept de Notre-Dame conservée jusqu’à la fin du XVIIIe siècle ne permettent pas d’en documenter précisément la structure et l’ornementation ».
Dans leur Projet de restauration de Notre-Dame de Paris de 1843, Lassus et Viollet-le-Duc écrivent : « Puis c’est à l’aide d’anciennes gravures, et surtout du précieux dessin de feu Garneray, que nous avons réédifié la flèche centrale ». Les dessins qu’ils livrent au ministre des Cultes pour illustrer leur propos montrent que le dessin de la flèche exécuté par Garneray (1755-1837) les a plus qu’inspirés : la copie de ce « précieux » dessin disparu, d’une précision remarquable jusque dans les ornements, et que j’ai précédemment citée, le prouve. Quant aux nombreux plans en coupe de l’ancienne flèche, très précis eux aussi, Viollet-le-Duc les publie lui-même en les commentant longuement à l’article Flèche de son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle : « La souche de la flèche de Notre-Dame de Paris, bien qu’elle fût combinée d’une manière ingénieuse, que le système de la charpente fût très bon, présentait cependant des points faibles ; ainsi, les grandes fermes diagonales (fig. 12) n’étaient pas suffisamment armées au pied, les contre-fiches-moises AG ne buttaient pas parfaitement les poteaux extérieurs de la pyramide, les arbalétriers étaient faibles, les entraits retroussés sans puissance. Les fermes de faîtage (celles qui venaient s’appuyer sur les grandes contre-fiches, disposées en croix de Saint-André, fig. 15) ne trouvaient pas, à la rencontre de ces deux grandes contre-fiches, un point d’appui inébranlable… ».
L’extrait que je donne ici prouve que Viollet-le-Duc avait en mains les plans de l’ancienne flèche, et pas seulement celui de la souche. Le « précieux dessin de feu Garneray » et les plans originaux des experts de la fin du XVIIIe siècle ont tous disparu dans la deuxième moitié du XIXe siècle, mais les copies les plus fiables en gardent le souvenir.
– P. 290, à propos de la flèche de Viollet-le-Duc, et de l’ancienne : « … sommée d’une croix de 8 mètres et d’un coq contenant des reliques, le tout culminant à 96 mètres, soit 25 de plus que l’ouvrage du XIIIe siècle ».
Dans le livre Notre-Dame de Paris de la collection La grâce d’une cathédrale, paru en 2012 aux éditions La Nuée bleue, M. Régis Singer, campanologue et expert pour le patrimoine campanaire auprès du ministère de la Culture, écrit au sujet de la flèche médiévale : « Culminant à 77, 96 m au-dessus du sol de l’église, elle fut édifiée pour servir de “petite sonnerie“ ». Même si l’auteur ne donne pas ses sources, ce nombre, qui est un record de précision pour un si grand monument, nous donne envie d’y croire ; et si nous l’arrondissions de 4 cm, la flèche de Viollet-le-Duc ne mesurerait donc que 18 m de plus que l’ancienne, soit 7 m de moins que ce qu’annonce Mme de Saint-Pulgent, qui ne donne pas ses sources elle non plus. Et si l’autrice écrit ici que la flèche de Viollet-le-Duc mesure « 96 mètres », il est dommage que le lecteur ait lu p. 57 : « … une flèche montant à 95 mètres ». On n’est pas à un mètre près, mais trouver deux versions dans le même livre est gênant.
– P. 290, toujours à propos de la flèche de Viollet-le-Duc : « Dans son Dictionnaire d’architecture, il précise qu’il y a ajouté “les perfectionnements fournis par l’industrie moderne“ : charpente en chênes de Champagne, chevilles et boulons en fer... »
Dans l’article Flèche de son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XIe au XVIe siècle, Viollet-le-Duc écrit effectivement : « Aussi, tout en respectant le principe d’après lequel cette charpente avait été taillée, a-t-on dû, lors de la reconstruction de la flèche de Notre-Dame de Paris, améliorer l’ensemble du système et y introduire les perfectionnements fournis par l’industrie moderne ». Mais il énonce plus loin en sept points ce qu’il entend par là, et au sixième il précise : « … à n’employer le fer que comme boulons, pour laisser aux charpentes leur élasticité ». Les chevilles sont donc en bois aujourd’hui encore, comme elles doivent être et comme elles ont toujours été.
– P. 292 : « Il rétablit souvent des dispositions ayant existé comme la crête de plomb et les gargouilles de la toiture… »
Il n’y a jamais eu de crête de plomb sur la toiture de Notre-Dame de Paris avant les travaux de Viollet-le-Duc. Mme de Saint-Pulgent en donne d’ailleurs la preuve elle-même puisque l’illustration n° 20 qui occupe toute la p. 60 est une célèbre miniature de Jean Fouquet du milieu du XVe siècle qui nous donne à voir distinctement la cathédrale sans crête de plomb sur la toiture. Aucun témoignage, aucune œuvre ancienne peinte, dessinée ou gravée ne représente Notre-Dame de Paris avec un faîtage ornementé. Et si cela avait été une mode au XIIIe siècle, cela se saurait, et ce n’est pas au XVe siècle, au temps du gothique flamboyant, qu’une crête de plomb courant sur la toiture de Notre-Dame aurait été enlevée.
Vous comprendrez que je vous écris en mon âme et conscience sans esprit de diffamation. Comment l’une des plus célèbres maisons d’édition au monde, une vitrine aussi brillante de la culture française, peut-elle publier des choses pareilles sur le monument qui a la réputation de représenter universellement notre nation ? Est-ce que personne n’a relu le tapuscrit de Mme de Saint-Pulgent ? Est-ce que son titre d’ancienne directrice du patrimoine au ministère de la Culture a été la garantie suffisante pour que vous éditiez son ouvrage les yeux fermés ?
Mais le plus extraordinaire de tout, et le plus inquiétant, est le nombre d’éloges que je lis et entends un peu partout sur ce livre. C’est à se demander si les critiques lisent vraiment ou s’ils sont incompétents. Point de diffamation, je ne cite personne, je constate. On a tous droit à l’erreur mais on n’a pas le droit de faire de l’erreur une vérité qui sera enseignée, c’est pitoyable et dangereux. Mon inquiétude est grande, Gallimard me choque et me peine.
Philippe Machicote
Président de l’association Lumière sur le patrimoine
* La Gloire de Notre-Dame La foi et le pouvoir, de Maryvonne de Saint-Pulgent. Gallimard, décembre 2023 (448 p. ; 32 €)