Martine, maire sans étiquette de Sainte-Gemmes, une petite ville de banlieue, aime l’architecture et se désole en écoutant les nouvelles. Voici soudain que les infos se télescopent. Ainsi apprend-elle d’abord, début novembre 2016, que Ségolène Royal, ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie, va modifier son décret relatif à l’isolation par l’extérieur*, lequel imposait aux particuliers d’isoler leurs maisons par l’extérieur sauf à démontrer «l’aspect patrimonial de l’ouvrage»**.
Ce décret datait du 30 mai dernier seulement et nous sommes en novembre ! Quoi, se dit Martine, ce n’était pas la loi en avril, c’était la loi en mai, ce n’est plus la loi en novembre ??? Hé ho, il y a quelqu’un à la barre ?
D’aucuns argueront que la ministre n’a fait que céder face aux vociférations des associations de défense du patrimoine, les mauvaises langues diront qu’il a fallu six mois à la ministre pour s’apercevoir de sa bourde. Le pire est que cela signifie que des crânes d’œuf ont phosphoré, dans le cadre de la COP 21 bien évidemment, et ils ont trouvé que l’isolation par l’extérieur dont leur parlent leurs copains de la FFB c’est vachement bien. La ministre convaincue, un autre corps de fonctionnaires s’est mis en branle pour écrire le décret ad hoc et réaliser toutes les démarches administratives et tout le tintouin. Le premier ministre et le président, ils étaient prévenus ?
Publier le décret, se mettre les associations à dos, changer d’avis, six mois avant la présidentielle, du grand art. Alors on prend les mêmes et on recommence : phosphorer, écrire le nouveau décret, prévenir le premier ministre et peu ou prou revenir à la situation d’avant. Pas étonnant qu’ils soient débordés les fonctionnaires du ministère à faire deux fois un travail qui ne sert à rien.
A noter quand même la réaction comme un seul homme de l’administration : un jour c’est noir, et on publie un décret noir ; soudain c’est blanc, pas de problème on écrit et publie les décrets idoines et ils sont blancs. Tant d’obéissance aveugle force l’admiration. Et si on leur demande de sauter du haut d’un pont…
Il n’y a aucune raison de penser que ce décret relatif à l’isolation par l’extérieur qui s’impose puis finalement non soit un évènement isolé. Si chaque ministère et secrétariat fonctionne de la même façon, il y a en effet de quoi garder occupée une armée de fonctionnaires. Si la France est connue pour son inflation législative et normative, ce n’est pas par hasard. Sauf que trop de loi tue la loi. Martine, maire de sa commune et respectueuse du code civil, comment fait-elle quand la loi change à cette vitesse ? Qu’est-ce qu’elle dit à ses administrés ? «Ha ba c’est pas grave les gars, c’était la ministre qui savait pas trop ce qu’elle faisait». C’est ça qu’elle doit leur dire ?
Martine n’a rien contre Ségolène Royale mais ce type de volte-face, dans un espace-temps aussi court, ne contribue certes pas à la confiance en l’action du ministère et la pérennité des lois. C’était quoi déjà l’histoire des portiques écolos, des bonnets rouges ? Bref Martine a du mal, COP 21 ou pas, à déterminer une ligne d’action, en d’autres termes une politique.
Mais bon, une info en chasse une autre et voilà soudain que la fameuse Canopée de Berger-Anziutti fait son retour dans l’actualité. En effet, Martine apprend mi-novembre que la ville de Paris va lancer en janvier 2017 un appel d’offres à 1,2M€ «pour colmater des fuites qui n’existent pas», comme se marre Le Figaro Immobilier dans son édition du 17 novembre 2016. Allons bon !
En réalité, comprend-elle, il ne s’agit pas de «fuites» puisque, comme l’explique la ville de Paris, maître d’ouvrage, cette canopée n’était pas prévue pour être étanche dès sa conception. CQFD. Sauf que les grandes flaques d’eau qui prospèrent sous la canopée ne sont guère du goût ni des passants ni des commerçants. Bref, quelqu’un doit écoper. Il faut le vouloir car 1,2M€ ce n’est pas tant que ça pour s’attaquer à l’engin à un milliard d’euros ! Pour info, se dit Martine en passant, 1 MD€, c’est le prix d’un très très gros hôpital, ou d’un voyage sur la lune peut-être…
Martine se souvient que, l’été dernier déjà, la ville maître d’ouvrage avait dû provisionner un budget pour protéger les habitants des bâtiments environnants du rayonnement solaire de la canopée. Il s’agissait pourtant lors de son inauguration du «plus grand parapluie du monde» se souvient-elle. Un parapluie qui ne protège pas de la pluie en hiver et qui cuit les voisins en été, il n’y a qu’en France se dit-elle. Martine ne sait plus si elle doit en être fière ou triste. Elle est allée visiter l’ouvrage fin novembre 2016, un jour de pluie, en début de soirée. Le lieu semblait désert et l’accès au métro avec son sapin de noël perdu au milieu semblait tout droit sorti d’un décor communiste.
Martine se dit qu’encore un peu et Ségolène Royal imposait l’isolation par l’extérieur à la Canopée, ce qui aurait peut-être d’ailleurs réglé son problème d’étanchéité. Las, le décret va changer et c’est trop tard pour les économies.
Tiens, d’ailleurs, se dit Martine, la Canopée de Berger-Anzuitti n’a pas été nommée pour l’équerre 2016. Elle imagine que la mairie de Paris a dû se montrer discrète pour une fois et que les commerciaux du Moniteur se sont sans doute abstenus d’harceler les malheureux architectes.
Mais une info chasse l’autre. PAF, le 25 novembre, cette dépêche de l’AFP***, dans sa rubrique BTP : la Métropole de Lille mise en examen pour favoritisme dans le dossier d’attribution du ‘Grand stade de Lille’. Mise en examen c’est un gros mot, et c’est l’AFP qui le dit, pas FOX News.
Apparemment, explique l’AFP, un ancien élu (RPF) de la ville de Lambersart (Nord) voulait comprendre pourquoi le chantier avait été attribué à Eiffage, dont le projet présentait pourtant un surcoût de 108,5 millions d’euros par rapport à celui du consortium Norpac-Bouygues.
Selon lui, un premier rapport adressé aux élus de la communauté urbaine pour alimenter leur réflexion, daté du 23 janvier 2008, donnait la meilleure note au groupe Norpac-Bouygues, alors qu’un second rapport, daté du 1er février 2008, jour du vote, mais rédigé selon lui postérieurement, notait plus favorablement le groupe Eiffage. Toujours est-il qu’une information judiciaire avait été ouverte en octobre 2012 sur les conditions d’attribution du chantier au groupe Eiffage. Et voilà que cette information judiciaire débouche sur une mise en examen. Diantre !
Martine n’est qu’à moitié surprise. Sans préjuger en l’occurrence d’une quelconque culpabilité, présomption d’innocence oblige, en tant qu’édile il ne lui est pas si difficile d’imaginer les partages de marché entre gens de bonne compagnie. Elle connaît leurs commerciaux. Puisqu’il est question de stade, elle se souvient de l’Euro de foot de cet été 2016, tous ces stades démesurés, la plupart réalisés en PPP**** à des coûts prohibitifs. L’euro terminé, il fallait bien que sortent des histoires. Il y en aura d’autres, pense-t-elle, surtout avec l’alternance : c’est bien connu, malheur aux vaincus.
Mais une info chasse l’autre. Tiens se dit Martine, ils n’ont pas parlé de l’Equerre d’argent à la Télé ?
Si ?
Christophe Leray
* Décret n° 2016-711 du 30 mai 2016 relatif aux travaux d’isolation en cas de travaux de ravalement de façade, de réfection de toiture ou d’aménagement de locaux en vue de les rendre habitables
**Voir notre article Chronique pastorale d’été : d’une montagne l’autre… https://chroniques-architecture.com/chronique-pastorale-dete-dune-montagne-lautre/
*** AFP – BTP: la Métropole de Lille mise en examen pour favoritisme. Dépêche non signée datée du 25 novembre 2016
****voir notre article Euro 2016 : la gabegie, ce ne sont pas les architectes https://chroniques-architecture.com/stades-de-leuro-2016-la-gabegie-ce-ne-sont-pas-les-honoraires-darchitectes/