Depuis une vingtaine d’années fleurissent partout dans l’hexagone des nouveaux quartiers. Les ZAC (Zones d’Aménagement Concertées) semblent répondre à un cahier des charges immuable dans sa précision tant, vues de dehors et de dedans, elles se ressemblent toutes. Confluence, Bassins à Flots, Paris-Batignolles, Ile de Nantes, ont reçu leur lot de critiques. Les aménageurs de cet urbanisme de grande consommation les ont-ils entendues ? Rien n’est moins sûr.
Pour une commune, s’offrir une ZAC, c’est un peu comme renouveler son smartphone. Une fois désigné l’aménageur, il y a le forfait de base (nombre de logements, surface de bureaux, nécessité d’équipements publics), auquel les options s’ajoutent, usant d’un vocabulaire qui frise la norme militaire, tant l’usage se fait constant. La ZAC sera un écoquartier, ou un Hub de création, un territoire d’innovations, d’écologie où chacun aura la chance de bénéficier de vues sur le fleuve. C’est bucolique, au moins en théorie.
En réalité, le plus souvent, un bâtiment signal pousse un beau jour au milieu d’une friche portuaire ou ferroviaire, un peu à l’écart du centre historique avec son église classée aux Monuments Historiques. Il ne faudrait pas non plus avoir trop à négocier avec l’ABF (architecte des bâtiments de France) du coin ni à négocier des recours en nombre record. La nouvelle proue, échouée là au gré du vent de la mode, trouve place ainsi sur une parcelle «stratégique».
Dans le forfait, il y a l’urbaniste de la ZAC pour déterminer la voie à suivre, une agence renommée fera l’affaire comme TVK ou ANMA, grands habitués des territoires métropolitains en forte croissance. En fonction de l’ambition politique, il y a l’option star internationale : MVRDV, LIN ou OMA sont en forte demande, à croire que pour faire un morceau de ville d’aujourd’hui, il faut composer avec l’alphabet ! Jacqueline Osty ou Michel Desvignes sont souvent les paysagistes nommés à la rescousse pour sauver un urbanisme à la dérive.
L’équipement culturel, appât du citoyen urbain, ou un siège de bureaux donnent alors le départ de la course folle des promoteurs pour acquérir à prix d’or des mètres carrés de foncier qui ne valaient encore pas un Kopeck quelques années plus tôt. Quelques jolies locomotives nationales plus une grosse pointure du coin, auxquels il sera ajouté un soupçon de jeunesse, surtout l’année des NAJA, quelques agences locales aussi parce que l’architecture se déguste aussi en circuit court, question d’image. Souvent, quand le Maire mise sur son territoire, il s’offre une option star comme Jean Nouvel, Foster ou BIG, histoire de dépouiller Anne Hidalgo d’une poignée de concitoyens.
Le ‘package’ englobe bien souvent un fleuve (du moins un cours d’eau) et une gare, signée AREP, avec ses voies à grande vitesse pour relier la capitale de Région à la Capitale. C’est donc sans rougir que chacun de ces nouveaux quartiers fait appel aux «Marc» des ponts, comprenez Barani ou Mimram, pour dessiner un bel ouvrage d’art pour faire cohabiter les vélos, les trains et les voitures.
A partir de là, à chacun de dérouler sa partition. L’architecture de façades haute en couleurs dispersée dans un urbanisme qui fait la part belle à l’îlot éclaté ; un urbanisme impersonnel dans lequel le piéton se sent bien vite tout petit au milieu de ces grandes rues dédiées aux voitures. Les promoteurs montent et financent les programmes un peu comme Haussmann l’a fait faire à Paris en son temps. Les avantages surpassaient alors les inconvénients, tant sur la qualité de l’urbain que dans la qualité des logements, encore prisés aujourd’hui par la bourgeoisie. En revanche, il y a fort à parier que d’ici un grand siècle, les immeubles labellisés 2017 se seront écroulés depuis longtemps mais que le prix de l’immobilier aura bien eu le temps de flamber entretemps.
ZAC est un vilain mot. Les acteurs de l’urbain préfèrent parler d’écoquartier, de hub, voire désormais d’agroquartier. La question divise. Est-ce que quelques bosquets dans un skate parc et dix ruches sur un toit suffisent à acheter une bonne conscience écologique ? Haussmann puis Adolphe Alphand avaient au moins vu grand avec les bois de Vincennes et de Boulogne. Enfin, pour cocher toutes les cases de «comment fabriquer une ZAC pour les nuls» ne pas omettre l’Innovation.
En 2017, de nombreux projets urbains sont prêts à sortir des cartons, à Rouen, sur l’hôpital Saint-Vincent-de-Paul à Paris, sur le territoire de l’Eurométropole de Strasbourg, à Caen, à Marseille, Lille… Rien ne se ressemble moins à une ville du Nord qu’une ville du Sud, à une ville de Montagne qu’une commune maritime. CQFD ? Pas sûr puisque toutes les ZAC se ressemblent du nord au sud du pays, et d’est en ouest. Les politiques, aménageurs, architectes qui travaillent de concert sur les nouvelles ZAC avec les ensembliers tout-puissants y pensent-ils en dessinant des moutons ?
Heureusement, le discours accompagnant la création des dossiers de ZAC de certains futurs quartiers est encourageant. Notons que Bruno Fortier, en tant qu’urbaniste en chef du quartier des Casernes à Tours, s’oppose farouchement à une architecture qui ferait la part belle aux petites maisons sur le toit. Bon, la demande tourangelle étant moins importante qu’à Bordeaux ou à Paris, les Casernes mettront sans doute plus de temps à sortir de terre et sous une architecture moins «olé olé» que dans d’autres métropoles, quand bien même la ville peut se vanter d’avoir à moins d’un kilomètre l’une de l’autre une signature de Jean Nouvel et une plus récente d’Aires Mateus.
L’observation montre que des agences sont des habituées de la construction en ZAC. Il y en a même qui sont prêtes à vendre leur chaise Perriand pour un lot à Confluence ou à Euralille. Combien d’entre elles les oublient au moment de la mise à jour de leur site internet ou de leur book ? Pourquoi tant s’obstiner à produire une architecture de la honte pour des promoteurs qui, souvent, ne respectent pas l’architecture comme un objet pérenne mais la considèrent et la vendent comme un bien de consommation courante ?
A ce sujet, le vent ne tourne pas dans une direction des plus favorables. Jusqu’à peu, pour ce qui est du logement et des résidences pour étudiants, les bailleurs sociaux avaient un rôle à jouer sur le terrain, en tant que maître d’ouvrage et investisseur. La qualité urbaine tout comme l’attention à la qualité des constructions avaient l’écoute des élus. Seulement, depuis quelques années, les opérations en Vefa (Vente en l’état futur d’achèvement) ont pris le pas dans les opérations immobilières, cantonnant les Entreprises Sociales pour l’Habitat (ESH) au rôle de gestionnaires d’actifs immobiliers quand la construction sociale pouvait encore parfois se donner les moyens d’une maîtrise d’ouvrage innovante portant attention aux usages et à la qualité de vie.
Dans cette société spectacle dans laquelle la consommation est reine, l’urbanisme n’est pas épargné. Il est d’autant plus regrettable qu’une vraie réflexion sur le moyen et le long terme ne soit pas encore mise en route, ne serait-ce que pour éviter les toujours plus importantes disparités sociales sur le territoire, à l’opposé de ce qui est écrit dans la plupart des règlements de ZAC prônant la mixité sous toutes ses formes.
Alice Delaleu