Parfois, Erieta Attali ne signe pas elle-même sa chronique, en laissant le soin à un exégète, souvent dans le cadre d’une exposition ici ou là ou encore ailleurs. Ce n’est pas arrogance de sa part. Pour la photographe, parler de ses photos, c’est forcément parler d’elle-même. Tout comme un architecte, quand il parle de son métier, ne fait que parler de lui-même. Laisser aux exégètes la charge de l’interprétation, c’est laisser chacun libre de ses propres sensations. C’est faire preuve de modestie. Chronique-Photos d’Erieta Attali donc.
Un certain nombre de thèmes récurrents et concomitants ont significativement marqué la recherche visuelle d’Erieta Attali. Ces dernières années, elle a exploré les négociations dialectiques entre τέχνη (techne) et φύσις (physis), défiant le spectateur de détecter des modèles d’interpénétration entre architecture et nature.
Ces vastes constellations de sanctuaires domestiques, inscrits dans des cadres pour la plupart imperméables, non seulement recalibrent les frontières des liminalités géomorphologiques (et, par conséquent, la relation entre la périphérie et le centre) mais réévaluent également notre notion du sublime en tant que catégorie esthétique. Un tel corpus d’images est le résultat de pérégrinations incessantes dans les régions les plus reculées du monde.
Tout en cartographiant ces environnements in extremis, Erieta Attali fut de plus en plus attirée vers des structures qui soit s’intégraient à un environnement sans compromis, soit luttaient désespérément pour conserver un minimum d’identité formelle, soit semblaient sorties triomphalement des viscères de la nature ou totalement submergées par les éléments.
La photographe a identifié, archivé et ‘taxinomisé’ les réactions disparates déclenchées par ces interactions. Qu’ils soient situés dans le désert d’Atacama ou sur l’Aurlandsfjord, ces édifices partagent un principe esthétique commun : ils incarnent une rigueur et une sobriété qui rappellent immédiatement l’architecture monastique en Italie et en France. Erieta Attali a extrait de structures contemporaines des ermitages et des enceintes sacrées qui perturbent leurs cadres respectifs.
Dans certains cas, ces habitations « paupéristes » fonctionnent comme des refuges face à l’austérité du paysage : ultimes marqueurs de l’intervention humaine avant de franchir le point de non-retour. Dans d’autres cas, elles rappellent les stations des pèlerins lors d’un voyage ardu, Erieta Attali ayant soigneusement remappé leur géographie et retracé l’itinéraire de ce pèlerinage contemporain.
Cependant, contrairement à la trajectoire linéaire d’El Camino vers Saint-Jacques-de-Compostelle (ou vers Finisterrae), de nombreux sites qui délimitent ce voyage semblent être propulsés par des forces centrifuges, se déplaçant vers l’extérieur, s’éloignant d’un centre, et dispersés aux extrémités de la Terre.
Erieta Attali a réfléchi aux distances qui séparent les périphéries de leur point focal. À bien des égards, cela constitue son νόστος (nostos) : un voyage retour vers un centre personnel et culturel. Le chemin pavé de rebus de carrières et de ‘spolia’ antiques, assemblé par Dimitris Pikionis dans les années 1950 – en plus d’évoquer l’expérience religieuse de la procession panathéniaque – rétablit notre lien omphalite avec la primauté de l’héritage classique et fait référence à ses premiers travaux en tant que photographe de sites archéologiques.
Elle a encore monumentalisé cette dette personnelle et culturelle en transformant le nouveau musée de l’Acropole de Bernard Tschumi en une nef de basilique. La citadelle péricléenne, à l’image d’un autel d’église, est galvanisée par une ‘fuga’ perspectiviste, rythmée par la sculpture du fronton ouest et les ombres parallèles gravées sur le dallage. L’ouvrage devient un espace de médiation entre l’urgence de la contemporanéité et la mémoire de la tradition.
Un certain nombre d’images prises à l’intérieur des ‘cellae’, ou chambres intérieures de ces sanctuaires contemporains, attirent l’attention sur l’intérêt de la photographe à redécouvrir l’intimité de la domesticité et sa relation avec l’extérieur. En abordant l’architecture dans ou dans un paysage (et non un paysage dans l’architecture), son attention s’est déplacée vers les propriétés protéiformes de la lumière. Casa Equis (Cañete, Pérou) ; Sendai Médiathèque de Toyo Ito ; Adobe House de Rick Joy en Arizona, Glass/Wood House à New Canaan ; la Future University de Riken Yamamoto à Hokkaido… en sont des exemples.
Les parois de verre ouvertes qui enveloppent et transpercent ces structures deviennent les toiles sur lesquelles sont soigneusement indexés reflets, éclats, déviations et transparences. Erieta Attali a invité le milieu environnant à s’imprégner de l’intérieur et à le repenser selon l’heure de la journée ou la saison de l’année. En proposant des points de vue qui contrecarrent les hypothèses conventionnelles qui régissent le conflit entre architecture et paysage, ainsi, enrichit-elle ces cadres domestiques.
Dr. Alessio Assonitis, Art Historian
Director, The Medici Archive Project, Florence
Renaissance Art History, Medici History and Archival Studies
Erieta Attali
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