Le mercredi 23 janvier 2019, France2 diffusait les deux premiers épisodes de sa nouvelle et ambitieuse série qui se déroule à la Philharmonie de Paris. Entre polar et soap opera, la mise en scène de Philharmonia laisse naturellement place à la musique philharmonique. Plus étonnant, le bâtiment livré en 2015 ne se contente pas d’y faire de la figuration.
Tout d’abord, l’histoire de cette série en six épisodes : Hélène Barizet, une musicienne prodige, doit faire ses preuves en tant que première femme à diriger un orchestre permanent. Son audace et sa conduite nourrissent les rancœurs tout autant qu’elles forcent l’admiration. Entre coups bas et secrets de famille, la série fait découvrir l’envers du décor du milieu impitoyable de la musique classique. Mais aussi l’envers du décor d’une architecture surtout connue de l’extérieur, et depuis le périphérique.
Dès le titre, le décor est planté. Philharmonia se déroule dans le milieu de la musique symphonique, mais aussi dans un bâtiment emblématique. Le jeu de mot fait sens dès le début du premier épisode, quand le directeur de la Philharmonie apprend que son chef d’orchestre vient de mourir en pleine répétition. Dans son bureau, sombre, la large fenêtre laisse deviner l’agitation de la ville en arrière-plan.
Dans la mise en scène froide et maîtrisée de la réalisatrice Marine Gacem, c’est près de la moitié des plans qui montre le bâtiment de Jean Nouvel de l’intérieur. Elle ne se contente pas de filmer la scène, ou même la salle, mais entraîne le spectateur jusque dans les entrailles de la bête, des loges aux salles des machines, de la cafétéria au bureau du directeur en passant bien sûr par les salles de répétitions, toujours dans une pénombre assourdissante.
La Philharmonie contribue dès les premières scènes à l’ambiance noire de la série, avant même que l’intrigue ne se mette tout à fait en place. Chacun des matériaux est alors mis en avant, du béton évidemment, brut et froid aux métaux ‘blurred’, toujours gris. L’envolée d’oiseaux suit partout la caméra, comme un souvenir d’Hitchcock laissant planer un peu plus d’angoisse sur les drames de chacun. Dans les jeux de reflets omniprésents, le spectateur ne sait alors plus très bien si c’est la sensualité de la musique qui imprègne les murs ou si le bâtiment ensorcelle aussi le monde mystérieux des musiciens car la musique omniprésente dans Philharmonia envoûte les lieux d’une aura sans pareil.
Le bâtiment ne se contente pas de donner ses tonalités à la série. Il en est bien davantage un acteur actif, quand par exemple les spinklers automatiques de la salle se déclenchent sans raison, inondant la scène, déréglant les instruments et poussant la chef d’orchestre dans ses derniers retranchements. Relevons par là même la remarque lourde de sens du technicien appelé à la rescousse : «à force de tirer les prix vers le bas, il ne faut pas s’étonner des malfaçons !». A bon entendeur, salut !
La mise en scène, aussi glaçante que le bâtiment peut le paraître au tout premier abord, est à l’image d’Hélène Barizet, femme brillante et complexe, au passé trouble et à l’avenir incertain. Plus le spectateur s’aventure dans la série, plus il en apprend sur la Maestra et sur la Philharmonie elle-même, qui deviennent, progressivement chacune, de moins en moins opaques.
Vue de l’extérieur, la Philharmonie est un lieu obscur et fermé, peu avenant envers ceux qui n’ont pas la culture classique en héritage. Mais il est aussi spatialement difficilement lisible de l’extérieur. S’il est courant d’avoir le point de vue sur un bâtiment depuis la ville, la mise en scène montre comment la ville est perçue depuis le bâtiment, ou plutôt comment la Philharmonie voit la cité dans laquelle elle est implantée.
Les hautes fenêtres qui apportent la lumière aux espaces de vie montrent la ville et son agitation. Les plus petites ouvertures qui reprennent les nuées d’oiseaux dans les loges offrent un éclairage diffus propice à la concentration et filtrant le bruit quotidien. Enfin, les reflets accentués sur le ‘blurred metal’ se prolongent dans le couloir du périphérique dont le rythme des voitures filantes remplace celui des métronomes, jusque dans les salles de répétitions.
En regardant dehors et en laissant entrer le frissonnement de la ville en ses murs, la Philharmonie créer un lien moins élitiste entre la musique et la Porte des Lilas. C’est d’ailleurs tout le propos et la raison évidente de la venue d’Hélène Barizet en remplacement du Maestro, débauchée des salles new-yorkaises. Ses méthodes délibérément brutales et modernes doivent dépoussiérer l’image du répertoire. Démocratiser la musique classique et l’ouvrir à de nouveaux publics.
C’est également ce à quoi s’attache l’institution depuis son ouverture afin d’opposer une farouche résistance aux nombreuses salles concurrentes parisiennes comme Bastille, Garnier, Pleyel ou encore la Maison de la Radio.
La Philharmonie parisienne ne désemplit pas depuis son ouverture et ce quelle que soit la programmation, classique, du monde, de chambre ou plus jazzy. Un long travail de dédramatisation, auquel participe la série, a été mis en place avec la reprise du Grand Echiquier, présenté par Anne-Sophie Lapix, ou de Fauteuil d’Orchestre sous la houlette d’Anne Sinclair. La diffusion en direct de certains spectacles dans les cinémas à également largement contribué à ce succès.
Si la réputée hermétique musique philharmonique a su séduire un public non-sachant mais curieux, peut-être n’est-il alors pas impossible de faire entrer le citadin dans des architectures, ou plutôt de la montrer sous un angle avenant et accueillant, afin de tisser des liens d’émotions et de susciter enfin un engagement vers une architecture qualitative pour tous.
Alice Delaleu