Le logement est un sujet essentiel. Il y a un grand nombre de mal logés et certains sont sans logement. C’est la principale angoisse qui, si elle ne trouve pas de solution, peut être la source d’une réelle demande violente, nettement plus violente que celle des gilets jaunes. Comment se loger et où ? Capitale, métropole, périphérie, périurbain, petite ville, village…. ?
Les grandes métropoles sont le plus souvent hors de portée des classes moyennes et tout est hors de portée des plus pauvres, nombreux. Le mal-logement est indigne, et ses conséquences induites ont un coût économique et social considérable. Il est un gaspillage de nos ressources, et la fracture territoriale laisse dans les villes des bâtis en attente d’utilisateurs et des populations considérables mal logées.
La dépense publique en matière de logement est de 42 M€ par an. Malgré ces dépenses, 4 millions de personnes sont considérées mal logées et 12 millions sont fragilisées en France (source Fondation Abbé- Pierre, 2018). Ces dépenses pourraient être utilisées de manière à mieux répondre aux besoins réels des Français. Le coût des logements, trop élevé, représente pourtant 40 % de la dépense des ménages les plus fragiles. Dans le coût global du logement et des constructions, le coût du foncier pèse de 30% à 50 %, le portage – management des projets (promotion) de 20 à 25 %, la conception des architectes 1,5 % à 2%. Le coût de production est ainsi 30% plus cher en France que chez nos voisins Européens.
Il faut repenser l’ensemble des politiques du logement de manière globale, pour mieux répondre aux besoins avec les mêmes moyens. Remplacer la notion de logement social par la notion de logement «public» (ou d’intérêt général) qui réponde aux besoins de toutes les catégories de la population. Le logement se décline aujourd’hui selon deux types, la maison individuelle dans des lotissements de plus en plus éloignés des centres d’emploi, et le logement collectif contraint par des normes diverses dont la première est une typologie qui n’a pas varié depuis la reconstruction. Dans ces deux cas, l’isolement est grand, le dialogue rare entre les habitants. Il faut repenser la notion d’habitat, inventer le désir du «vivre ensemble».
Beaucoup d’architectes ont dans leurs cartons des solutions pour atteindre une telle ambition : nouvelles typologies, espaces de convivialité, montages participatifs… et si le coût total d’un bâtiment détermine aujourd’hui l’impossibilité d’une telle évolution, alors il faut agir sur ce coût, tant en ce qui concerne le foncier que le bâti. L’État devrait lancer des concours d’idée sur le sujet comme il l’avait fait au début des années 1970 avec le Plan construction. Mais il faut surtout se rapprocher des maires, leur parler de leur ville, leur proposer des solutions pour revitaliser leurs centres qui se désertifient. N’oublions pas que si les bailleurs sociaux laissent de plus en plus faire à leur place des AMO ou les majors du bâtiment, les élus détiennent un vrai pouvoir quant au foncier, aux garanties financières qu’ils apportent aux bailleurs, aux PLU qu’ils maîtrisent…
La question n’est pas universelle : elle se pose en rapport avec la crise de l’emploi. Une Lapalissade : il n’y a pas de crise du logement dans les zones en voie de désertification. Par où prendre le problème ? En accélérant le phénomène d’exode et de densification ? En saturant et déshumanisant les métropoles ? En acceptant cette soi-disant fatalité ? La profession d’architecte est en pleine évolution avec la conscience de l’urgence climatique et les transformations de la société. Quelle est la position des architectes face à ce désarroi, face à cet immense sentiment d’injustice ?
Alors que les questions urbaines semblent éloignées des réflexions du gouvernement, les architectes pensent, pour leur part, que le mouvement de protestation en cours leur est directement lié. Le défaut de stratégie sur la ville et le logement en France depuis des années a conduit directement aux situations de déshérence et de désespoir des populations paupérisées et reléguées du péri-urbain.
Les difficultés et les inégalités d’accès aux services vitaux, (travail, éducation, santé, etc.) sont au cœur des problèmes qu’il faudra bien, pour faire société, comprendre, appréhender et résoudre. Il semble évident qu’au-delà du logement, qui reste un objectif majeur, il faille penser l’aménagement du territoire comme une priorité nationale. Et se donner les moyens, en réorganisant l’État et les professionnels de la ville, de relever les défis majeurs de notre temps.
Face à cette «France moche» que tous nous identifions et face à la pénurie du logement, on pouvait s’attendre à un grand projet de loi dans lequel l’aménagement du territoire et la politique du logement seraient une grande cause nationale de ce quinquennat. La loi ELAN aurait dû être ce vecteur, mais elle n’est au contraire qu’une succession d’articles techniques, sans aucun projet d’envergure sociétale, balayant l’intelligence politique et législative antérieure, et sans même répondre à l’un des objectifs énoncés : « construire plus, mieux et moins cher ». Ses dispositifs écartent de fait les architectes, les paysagistes et les urbanistes en dépouillant les projets de leurs savoir-faire, confiant notre cadre de vie à des groupes d’intérêt dont la priorité sera la rentabilité financière.
Il n’y a pas qu’une solution. En dehors du système du logement social, tout doit être expérimenté. Du logement partagé aux différenciations des normes pour chacun, au partage financier, à la vie en collectivité etc. À l’auto-construction sous contrôle et formation par des sachants. Et le prix des terrains doit être encadré…. Tout système qui permettra de baisser le coût du foncier doit être envisagé. Le logement sera la mère des réformes et de la réforme de la société et du vivre ensemble.
Il faut par ailleurs baisser beaucoup le coût de réalisation des logements neufs en faisant baisser radicalement et mécaniquement le coût du foncier. Le poste Logement est devenu tellement élevé dans le budget des familles (souvent proche de 35 à 40%) que le faire baisser, ne serait-ce que de 15 %, augmenterait le plus souvent de 5 à 6% leur pouvoir d’achat mensuel disponible. Or le coût du foncier rentre de plus ou plus souvent pour 40% dans le budget d’une opération de construction de logements proche des commerces, services et équipements collectifs qui font qu’une ville ou un quartier sont propres à être habités. Baisser les coûts fonciers faciliterait du même coup la mixité sociale impérative qui ne peut plus être confondue avec les origines des habitants. On contrerait ainsi la pénurie d’espace disponible à la construction qui a souvent été organisée localement pour éviter cette mixité et qui s’est traduite à force par des centaines de milliers de logements qu’on n’a pas pu construire.
En effet, on a significativement augmenté le coût du foncier en organisant une raréfaction entretenue de l’offre foncière, souvent là où il est agréable d’habiter. On l’a laissé faire par différents mécanismes toujours à l’œuvre, y compris par la manipulation des densités et la tolérance d’une ségrégation sourde des populations. On l’a fait en maintenant pour des raisons politiciennes et élitistes, les structures urbaines des villes (notamment les limites internes de communes dans les grandes agglomérations) quasiment telles qu’elles étaient au XIXe siècle parce qu’on faisait perdurer ainsi les hiérarchies, les stratégies de pouvoir, les partages d’influence politique, l’image d’appartenance à l’élite, les équipements, la considération des lieux, les carrières et l’illusion des emplois et des recettes fiscales.
Finissons-en avec la spéculation, les hausses sans fin des loyers, des prix de vente… qui grèvent d’autant le pouvoir d’achat, d’épargne et d’investissement productif. Qui dégradent notre attractivité (salaires élevés pour payer des loyers élevés). Qui relèguent les classes moyennes en dehors des villes. Qui vident ces villes de sa vie et de sa diversité. Pour dilater l’offre foncière et réduire l’anomalie actuelle de l’incidence des coûts fonciers sur le prix exorbitant du logement, il faut dorénavant que les plans de développement et d’urbanisme des villes françaises et la gestion des solidarités entre leurs habitants, soient conçus sur des périmètres suffisamment vastes pour englober et organiser toutes les fonctions dont les habitants, les activités économiques et les équilibres environnementaux. Il faut accueillir les importantes progressions démographiques auxquelles nombre de villes et d’agglomérations doivent se préparer pour recueillir les effets des regroupements et de concentrations à l’œuvre à cause des transformations mondiales des pratiques économiques et des technologies apparues depuis le début du XXIe siècle.
Signataires : l’Académie d’architecture ; l’Union nationale des syndicats français d’architectes (UNSFA) ; le Syndicat de l’Architecture ; la Société Française des Architectes (SFA) ; la Mutuelle des Architectes Français (MAF) ; la Maison de l’Architecture ; l’association Architectes et Maîtres d’ouvrage (AMO) ; l’association Architectes Français à l’Export (AFEX) ; le Pôle de formation Environnement, Ville & Architecture d’Ile-de-France (Pôle EVA).
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