
Portlantis est un espace d’exposition et centre d’accueil des visiteurs destiné à raconter l’histoire, encore à inventer, du port de Rotterdam, Pays-Bas. Conçu par MVRDV, Winy Maas régional de l’étape, l’ouvrage de 3 533 m² se veut tant à l’intérieur qu’à l’extérieur l’expression poétique d’une moderne saga industrielle. Visite.
8h30 – Par une journée ensoleillée de mars 2025, dans un salon de l’hôtel Marriott face à la gare, Robert Simons, vice-maire de Rotterdam en charge du Port, de l’Economie, de l’Hospitalité et de la Gouvernance accueille la presse nationale et internationale – dont Tintin – pour la présentation de Portlantis, un nouveau « centre d’information » à la pointe de la pointe du port. « Nous ne sommes pas Paris, Rome, ni même Amsterdam, nous sommes différents, avec un focus sur l’innovation où chacun peut s’extasier devant l’architecture contemporaine », dit-il. « Portlantis est une attraction qui raconte l’histoire de notre port ». Une attraction ?
De comprendre que la ville a une vision claire du tourisme qu’elle entend promouvoir et qu’une partie de la stratégie de communication est de faire venir les gens sur le port lui-même. Et le port de Rotterdam, ce n’est pas Saint-Tropez. Pour autant, avant même l’inauguration le 19 mars 2025 de Portlantis, qui leur est en partie destiné, 110 000 personnes viennent déjà d’elles-mêmes chaque année visiter l’infrastructure portuaire. C’est cet engouement, qu’il faut canaliser, qui explique en partie la création au bout du monde de ce nouveau centre d’information permanent.
C’est encore aujourd’hui une expédition de s’y rendre car il faut traverser un écheveau industriel de routes et d’autoroutes, de tunnels, de voies de chemins de fer et de quais de débarquements, le tout tapissé d’immenses raffineries – le port de Rotterdam est le premier en Europe en hydrocarbures, le soir nous pourrions être à Houston, Texas. Dans ce paysage de grues et d’éoliennes, des navires immenses et d’innombrables entrepôts de logistiques, tous plus ou moins similaires, tout au bout du bout, au bout de la terre, d’ailleurs déjà dans la mer, trouver Portlantis, un étonnant bâtiment conçu par MVRDV. Une folie peut-être dirions-nous en France. En tout cas un programme suffisamment intrigant pour tout architecte français orthodoxe.*
11h, dans le mini et intime auditorium. « Portlandis est un phare, il attire le regard, mais c’est aussi une sorte de tour de guet », explique Winy Maas, associé fondateur de MVRDV. « Quand on vit à Rotterdam, le port se dresse à l’horizon – il est là-bas, et beaucoup de gens ignorent ce qui s’y passe. Portlantis offre aux visiteurs un moyen d’explorer, de voir comment les choses évoluent dans le port, comment cela se répercute sur la ville et comment cela influence leur vie en ville. Il le fait avec une efficacité redoutable – comme une machine à raconter des histoires », dit-il.
Raconter des histoires, exactement ce que disait l’adjoint au maire. Il est vrai que Rotterdam est une ville neuve à la prospérité somme toute récente. Une fois le port et une grande partie de la ville rasés par la guerre, ne restait plus en effet aucun contexte quand il fallut reconstruire et Rotterdam, tirant parti de sa géographie, est en quelques décennies devenue, outre une ville moderne du XXe siècle ayant réussi sa mue, le premier port d’Europe. Au point d’atteindre très vite le littoral de la mer du Nord.
Quelle histoire raconter donc ? Une histoire des Pays-Bas évidemment, avec des terre-pleins en mer. C’est ainsi qu’est né Maasvlakte (« plaine de la Meuse ») construit de 1966 à 2000. Un chenal maritime appelé l’Eurogeul, long de 65 kilomètres et profond de 25 mètres, a été creusé et approfondi à partir de 1970. Depuis, Maasvlakte 2, plus loin encore dans la mer, a été construit et livré dans les années 2020. Ses nouveaux quais peuvent accueillir les plus gros porte-conteneurs du monde. Enfin, au bout du bout du terrain gagné sur la mer, Portlantis.
« Ce bâtiment n’est pas un espace clos comme les nombreux centres de distribution et de données de la région », poursuit Winy Maas. « C’est une boîte composée de cinq niveaux torsadés, chacun doté d’une fenêtre panoramique offrant une nouvelle perspective sur une partie différente du port. Grâce à cette rotation, chaque étage dispose de terrasses accessibles par des escaliers extérieurs, permettant une promenade tridimensionnelle autour du bâtiment. Chaque niveau explore un thème différent, reflétant le passé, le présent et l’avenir du port de Rotterdam. La conception démontre comment optimiser l’espace en superposant et en densifiant des bâtiments comme celui-ci, tandis qu’à l’intérieur, l’énergie du port reste l’expérience centrale des futurs visiteurs de Portlantis », dit-il.
Le bâtiment est littéralement bâti sur le sable, le sable ayant permis de construire Maasvlakte 2 venant du fond de la mer du Nord. Un sable dense – qui contient des fossiles d’animaux préhistoriques quand la mer du Nord n’était qu’une savane – et stable qui a permis d’élever ce bâtiment sans fondation.
Chaque étage est parfaitement scénographié par Piet-Harm Strong, Creative Director (BIND) et Herman Kossman, Exhibition Designer (Kossmanndejong), il ne s’agit pas pour autant d’un musée, encore moins d’un office de tourisme, plutôt d’une vision en coupe dans le fonctionnement du port au travers de ses multiples activités et personnages avec, en filigrane, l’idée que ces présentations puissent susciter des vocations. De fait, tenter avec un simulateur de manœuvrer un navire dans le port de Rotterdam avec les deux manettes d’un capitaine est une expérience malheureuse pour les grands, moins pour les petits, ces derniers s’en sortant mieux, l’habitude des jeux vidéos sans doute. Idem pour le simulateur qui vous installe en haut d’une grue pour décharger les conteneurs d’un bâtiment plus imposant que Bercy à Paris !

Si lors de la montée les vues changent, comme l’a expliqué Winy Maas, il faut atteindre le toit pour enfin percevoir pleinement l’échelle de Maasvlakte 2. Portlantis – et sa terrasse – est protégé par une dune plantée qui semble avoir toujours été là. De l’autre côté de la dune, une plage de sable de 7,5 km de long à l’ombre des éoliennes qui fait le plein l’été : un tiers de la plage pour les sportifs, un tiers pour les nudistes, un tiers pour les autres. Ainsi à Rotterdam les autorités sont parvenues à développer leurs installations portuaires et industrielles tout en réussissant à inclure les loisirs et le bien-être des habitants dans le projet. D’où cet espace dédié aux visiteurs, et son restaurant au sommet.
Certes en ce pays la loi impose un tel lieu d’information pour tout projet d’envergure : les investisseurs doivent expliquer ce qu’ils font en somme mais en l’occurrence, pour 25 M€, nous sommes loin de la cabane en bois des promoteurs de chez nous. D’ailleurs la visite de presse est financée par le Port de Rotterdam, maître d’ouvrage. Que l’histoire se sache.
« Nous n’avions pas de collection, nous avions seulement une histoire et nous avions besoin d’un endroit pour raconter cette histoire », souligne encore Piet-Harm Strong, le Creative Director. Au fil des étages, au long des expositions et au travers des vastes baies, tous les aspects du port sont présentés dans leur réalité brute. Toutes les pièces ensemble d’un simple vélo, de la gourde au dérailleur, ont voyagé plus de 80 000 kilomètres autour de la terre. Il n’y a pas à se méprendre, on n’est pas chez Disney.
Ici Industrie n’est pas un gros mot, ce que Winy Maas explique en disant essayer de « faire se rencontrer la réalité et l’ambition dans une seule boîte ».
En tout cas, au bout du bout du port et de la terre, il y a désormais une destination pour les habitants et les touristes pour s’approprier cette histoire industrielle sans discours lénifiant. De fait, au-delà de la seule visite du centre, Portlandis propose des activités diverses qui n’ont rien de muséales, comme des visites du port en bateau. Il est prévu désormais d’y faire parvenir les transports en commun. « Quand les gens arrivent ici, ils savent ce que le port représente pour le pays, pour l’Europe, pour la ville et pour eux-mêmes », indique l’architecte.
Le bâtiment est plus haut et profond qu’il n’apparaît de l’extérieur ; il est petit à l’échelle du port, immense à l’intérieur à l’échelle de l’homme, plus spectaculaire encore sans doute à hauteur d’enfant. Un atrium vertigineux de 22 m transperce le bâtiment jusqu’au ciel. Il accueille au sol une carte digitale qui raconte les 45 km du port depuis le village perdu au milieu de nulle part jusqu’au bout du bout du temps qui passe : Portlantis.

14h. Nul ne peut nier aux Néerlandais leur capacité d’anticipation. Pour bien s’en rendre compte, l’accès au toit par l’extérieur est gratuit. Il n’y a plus alors que la mer du Nord et les bateaux au loin à l’ancre attendant leur tour d’accoster et, pour les pétroliers, les cours de la Bourse. Pour autant, nous sommes bien dans le royaume de l’illusion : les dunes semblent naturelles et sauvages, Portlantis à l’abri du vent, entouré de parkings, est parfaitement accueillant, de nouveaux monstres marins sont à quai mais, il y a vingt ans à peine, c’était à cet endroit même la mer, le large. C’est la façon aux gens d’ici de déplacer des montagnes.
Le port de Rotterdam n’est pas le seul concerné par l’extension en mer. L’aéroport de Schiphol, malgré la dernière extension en 2017 signée KAAN Architecten, est aujourd’hui trop contraint dans ses limites urbaines et la compétition est déjà en cours pour concevoir sur la mer le prochain Schiphol, comme Narita au Japon. Sur ce projet, seules des agences néerlandaises sont retenues. D’aucuns se demandent pourquoi. Pour le projet de Portlantis, le concours sans doute international, n’avait également retenu que des agences locales.
Dernier détail. Le site de Portlantis est, à 15 m au-dessus du niveau de la mer, l’endroit le plus sûr du port en cas de submersion.
« Dieu a créé la terre, les Néerlandais ont créé les Pays-Bas » dit le dicton.
Christophe Leray
*Découvrir Portlantis en images : À Rotterdam, Portlantis, centre d’accueil et espace d’exposition signé MVRDV