
Le doute paraît omniprésent, et le vide semble définitif ! L’architecte et le philosophe parlent à l’absence. Laquelle ? Celle dont seul le vide ne doute pas de la nature. Chronique du philosophe.
Toute construction est semblable à l’incendie allumé par un pompier pyromane – et comme de la mort provient la vie, de l’étouffement du vide naît un espace creux !
L’expérience du vide oppresse immanquablement tout être dont la projection d’horizons chromatiques oscille entre le bruit du noir et le silence du blanc, entre la sobre excitation du sombre et la sage limpidité du clair.
Un bâtiment ne comble jamais le vide !
Au contraire, il soulève sa présence en en dépendant, en entravant partiellement le champ visuel qui lui est rattaché, et surtout, parce qu’en entourant un nouveau cubage vraisemblablement vide, il souligne à quel point toute matière existant, au fond, est atteinte par la dépression, quelque robuste qu’elle puisse paraître.
Architecte ou philosophe, que fût choisie comme thématique d’une question posée à propos du grand problème de l’existence, de la remplir ou bien de la comprendre, il existe une notion qui n’accordera comme répit que les instants de l’oubli ; celle de l’absence !
D’ailleurs, comme le son émis par les cordes d’une guitare n’est audible que si celles-ci sont grattées dans un espace qui n’est pas réellement vide, les lignes tracées par un architecte ne peuvent être érigées que si elles viennent s’imposer à un vide qu’il convient de caractériser plus par l’absence que par le néant.
L’absence est à l’architecture ce que le doute est à la philosophie – et comme lorsqu’il s’agit de cette dernière les problématiques traitées démontrent l’omniprésence de la perplexité qui teinte les certitudes, l’édification, en architecture, montre combien l’absence est importante.
Il faut être quelque peu insociable afin de bâtir pour autrui, comme l’usage prouve qu’il faut être misanthrope pour comprendre les autres, pour comprendre leurs doutes, comprendre leurs peurs, connaître leur vide !
Là se trouve peut-être la dimension romantique planant au-dessus de la philosophie et de l’architecture – mais, dans la première comme dans la seconde de ces disciplines, la raison intervient trop fréquemment comme pierre angulaire pour que celui ou celle qui la pratique sache encore s’enivrer du vide, comme un artiste saurait le faire.
Les artistes entretiennent un rapport éthylique avec le vide ; plutôt que de quêter vainement en espérant qu’il les regarde, ils préfèrent le montrer aux autres, croyant présomptueusement que ceux-ci verront dans la mise en scène de la carence, la représentation de l’absence qui tourmente l’artiste, mais aucun public ne sera jamais vraiment comblé, et un artiste ne sera jamais totalement vidé – entre eux existera toujours la gêne de l’absence.
L’un des principaux aspects artistiques de l’architecture est celui-ci ; manier ce qui saura recouvrir le désert terrestre et, par suite, l’en dénuer de son aptitude à faire brûler de l’angoisse. Aussi, comme le philosophe a conceptualisé avant d’écrire, l’architecte, dans son esprit, a toujours un peu ébauché avant de dessiner. Parce que, maîtriser le vide – l’analyser ou le créer – ne peut se faire que plongé au creux des deux arides coteaux de la solitude, laissant de côté les affres ou les sourires de la multitude.
Bien sûr, l’évolution mimétique de chacun dépendant de la nature caractérisant un entourage et, de facto, de la culture constituant un concept géopolitique, l’appréhension du vide diverge considérablement d’une région du globe à une autre.
Ce qu’il faut, n’est pas omettre le vide, le craindre, le bannir, le combler ou encore l’aimer – comme le prônent fadement les courants minimalistes – mais simplement le comprendre et, par suite, le placer comme point de départ d’où apparaîtra toute création de l’esprit ou de la nature en général.
En architecture, puisqu’il dispose d’une double représentation – celle de l’avant et celle de l’après – le vide est doté d’une primauté faisant de lui celui qui saura s’imposer au milieu de chaque espace et autour de chaque assemblage de matière.
La matière dépend du vide mais le vide ne dépend pas de la matière !
Tom Benoit
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