« Tout être blessé est contraint à la métamorphose » Boris Cyrulnik. Nous pouvons constater que, depuis des décennies, l’organisation mondiale des territoires est structurée autour et à partir d’un seul modèle : un développement exclusif des mégalopoles ou métropoles suivant l’échelle du territoire concerné.
Dans ce monde globalisé les métropoles échangent entre elles, indépendamment du reste de leur territoire. Les transports, le numérique sont à l’unisson, rendant abstraites les distances, la notion de territoire et même d’appartenance à ce dernier. Ces concentrations de personnes, d’activités, de déplacements ont accéléré le réchauffement climatique, généré des conditions sanitaires précaires à l’échelle du globe, mis à mal nos écosystèmes et notre biodiversité.
Par ailleurs, chacun a pu observer, très récemment, lors des manifestations des « gilets jaunes » notamment, que notre contrat social a été mis en cause par une partie de nos territoires se sentant oubliée, souvent hors des métropoles. La tendance est mondiale, déclinée nationalement et localement.
Fort de ce constat général, quelle est la situation des territoires ?
La dernière grande réforme territoriale est celle du quinquennat Hollande avec la loi NOTRe : constitution de supra-régions et reconnaissance du statut de métropole, cette dernière devant en principe porter le dynamisme et le développement des régions et exercer leur solidarité à l’égard des territoires connexes. La course au statut de métropole, au gré des influences, a banalisé l’efficience envisagée. La solidarité à l’égard des territoires connexes est restée un vœu pieux.
Comment inverser ce constat et proposer un aménagement conforme à notre situation écologique, sanitaire, sociale, organisationnelle ? En faisant preuve de résilience dans nos modes d’élaborations et de prospectives dans nos visions.
Un aménagement résilient de nos territoires
Déglobalisation des échanges et défocalisation sur les métropoles signifient organiser des circuits courts pour les activités, qu’elles soient stratégiques ou pas et à l’échelle adaptée. Pour cela, la seule concentration des ressources dans les métropoles est un échec, il est impératif de répartir harmonieusement ces dernières sur l’ensemble des territoires, productions comme services.
Cette déconcentration permettant d’assurer plus de sécurité sur les plans économique et sanitaire mais aussi de recoudre des territoires paupérisés par l’absence de ressource, de service public ou privé.
Il faut donc amender la loi NOTRe, rééquilibrer les territoires en s’appuyant sur les villes moyennes et non plus se focaliser sur les métropoles. Les villes moyennes doivent assurer un rôle de relais avec leurs territoires connexes, permettant un maillage géographique beaucoup plus fin. Le maintien d’équipements publics, privés, d’activités, de productions permettant alors de décongestionner les métropoles et d’exercer une réelle solidarité sur l’ensemble de leurs bassins de vie.
La déglobalisation des échanges nécessite de revoir le système de l’échange. Le numérique tisse une toile où chacun est en rapport avec chacun, alors que pour les échanges physiques nous constatons toujours plus de concentration à travers des « Hub » mondiaux ou à l’échelle des pays, à travers les capitales ou métropoles majeures.
Le système en étoile doit être équilibré par un maillage transversal de villes moyennes en villes moyennes. Pour intensifier la vie dans les territoires, il faut mettre en œuvre un urbanisme circulaire quelle que soit l’échelle de la ville ou de l’agglomération.
Un urbanisme circulaire
Le premier point à observer est de cesser définitivement l’étalement urbain qui génère toujours plus de déplacements, d’artificialisation des sols, de réchauffement urbain, etc. Cela ne signifie pas figer la vie collective ou individuelle mais l’organiser d’une manière intense et flexible. A ce titre, il faut identifier l’ensemble des ressources urbaines existantes : friches de toutes natures, immeubles sous habités, délaissés dans l’espace public, routiers, ferrés, etc… pour les investir.
Pour rendre la ville flexible et adaptable, notamment aux usages émergeants, l’ensemble de l’activité humaine, le logement, l’activité, les services publics et privés, doivent pouvoir réinvestir la ville circulaire mais aussi faire preuve d’imagination pour s’installer là où ce n’était pas pensable, d’une manière fixe ou provisoire, le temps d’un besoin collectif.
Le deuxième point est l’optimisation des sols : l’hyperspécialisation des sols est dépourvue de sens et a fait son temps. Il faut au contraire les rendre polyvalents et adaptables, dans un décloisonnement, public/privé, fonctionnel, d’usage et de temporalité.
Quelques exemples : un parking de supermarché à l’extérieur de la ville peut servir de parking relais pour cette dernière. Un espace public peut recouvrir plusieurs fonctions : représentation collective, usage marchand, festif, de loisirs, etc. Un même espace peut, suivant les moments de la journée, accueillir des fonctions différentes, versus les centres-villes qui deviennent piétons aux heures de loisirs.
Le troisième point est l’anticipation réglementaire par les collectivités territoriales. Pour cela, la loi NOTRe doit être modifiée et prendre en compte les réalités territoriales. Les EPCI (établissement public de coopération intercommunale) doivent modifier leurs documents d’urbanisme pour permettre la ville circulaire et limiter l’usage de la voiture dans l’aménagement des territoires.
Le quatrième point est d’envisager drastiquement un réseau des déplacements doux permettant un maillage total de la ville. Ne plus imposer de coefficient d’occupation des sols ou de nombre de places de voiture, attirant toujours plus de véhicules.
Le cinquième point est d’intensifier la ville ce qui signifie intensifier la sociabilité de cette dernière, où chacun se conçoit comme faisant partie d’un tout, d’une communauté. Si le vivre ensemble doit avoir un sens, cela veut dire partager le même espace. Dans les zones suburbaines, il faut définitivement abandonner la forme urbaine du lotissement, limiter la taille des parcelles en économisant le sol, permettre la densité, abandonner les surdimensionnements des voiries pour ne plus être dans un urbanisme égotique où chacun regarde chacun sans partager l’espace.
L’aménagement résilient est basé sur plusieurs principes dont, on l’a vu, la déglobalisation des échanges et des relations inter-métropoles la mise en œuvre d’urbanisme circulaire mais le plus important est, sans doute, la prise en compte effective du développement durable.
Le développement durable dans les territoires résilients
Le réchauffement climatique auquel nous assistons est l’expression des atteintes que nous faisons subir à notre environnement et à l’ensemble des écosystèmes naturels. La résilience peut être d’essayer de réparer ce qui peut l’être, de modifier nos comportements collectifs et individuels.
Prenons comme point de départ notre patrimoine naturel territorial : peut-il être valorisé dans le sens de sa sauvegarde, de la valorisation de ses écosystèmes ? Existe-t-il des friches, des délaissés, des non-lieux, des espaces naturels, des forêts, cultures qui pourraient être réhabilités ?
La déforestation, l’urbanisation sauvage, les cultures intensives doivent être arrêtées.
La connaissance de nos patrimoines naturels territoriaux est une première étape, pour sa gestion scientifique et respectueuse et ensuite pour sa valorisation notamment dans le bilan carbone de l’aire géographique concernée, vire au-delà (cf. notre concept du poumon vert du Grand Est).
Pour rendre la ville flexible, adaptable aux conditions climatiques extérieures – canicule, inondations, manque d’eau – la gestion du risque doit être synonyme de gestion du territoire par une approche écologique pragmatique.
Quelques exemples : verdissement de la ville pour lutter contre les canicules en milieu urbain et améliorer leur bilan carbone, gestion/stockage des eaux pour une régulation et l’alimentation des nappes phréatiques, lecture de mécanique des fluides pour les espaces sujets à inondation, délocalisation des biens et des personnes pour les zones côtières exposées à la submersion marine et que le trait de côté joue son rôle ancestral d’absorption du phénomène, etc.
La limitation des déplacements carbonés. Outre la modification des pratiques et usages, encore faut-il que les conditions soient requises, c’est-à-dire que les collectivités aient mis en œuvre un plan de déplacement urbain décarboné pour les transports collectifs ainsi qu’un réseau de déplacements doux effectif et efficient. A l’échelle régionale, les liaisons ferrées entre villes moyennes doivent permettre de limiter les effets de concentrations métropolitains. Les entreprises publiques et privées doivent mettre œuvre des flottes de véhicules vertueuses.
La prise en compte par les finances publiques d’une politique publique de développement durable. Les collectivités doivent établir une comptabilité de l’impact environnemental des organisations. Par ce biais, elles calculent ce que leur activité émet comme gaz à effet de serre et ce qu’elles captent également. Le principe est défini depuis le Grenelle 1 et 2 de l’environnement, notamment pour les collectivités de plus de 50.000 habitants et pour les plus petites ce sont les intercommunalités qui doivent s’en charger. Cette comptabilité permet d’analyser les sources et de se fixer des objectifs de réduction.
Conclusion
Un aménagement résilient est donc basé sur un urbanisme circulaire et sur la prise en compte du développement durable. Ce substrat doit permettre une économie circulaire dans le cadre d’une modification de nos usages.
Consommer local ne signifie pas seulement entretenir les circuits courts propres à l’alimentation mais signifie aussi d’utiliser toutes les ressources d’un territoire, services, entreprises, commerces … Cette modification de nos usages et modes de consommation mondialisés est un engagement citoyen. Le territoire est résilient pour répondre aux agressions dont il est la victime, l’objectif étant de créer des conditions de vie pérennes et équilibrées.
La crise sanitaire que nous vivons est l’occasion d’introduire de nouveaux usages, de nouvelles attitudes. Ce recentrage sur nos territoires doit permettre de développer leurs capacités à équilibrer les effets délétères de la globalisation et de la concentration.
Le tout Etat a vécu, il doit savoir déléguer, hors domaines régaliens, faire confiance aux territoires pour que ces derniers se gèrent avec rigueur et résilience, qu’ils aient confiance dans leurs capacités, dans leurs ressources, dans les femmes et les hommes qui composent leur communauté de vie.
C’est un nouveau volet de la démocratie française qui s’ouvre, se rapprochant ainsi de l’organisation politique de nos voisins européens. Cette décentralisation territoriale ne signifie pas moins d’Etat, mais un Etat plus anticipateur, coordinateur, penseur et moins acteur local.
Cette opportunité de modifier les rôles et devoirs entre l’Etat et les régions doit aussi être celle de la prise de conscience pour chacun que nos ressources naturelles sont limitées, que leur préservation est un enjeu vital en ce début de XXIe siècle.
Jean-Michel Jacquet
Reims, le 29 avril 2020