Une façade, puisque c’est ce qui se voit et donc l’élément où le maître d’ouvrage ne rechigne pas à mettre de l’argent, peut coûter de 1 500 à 1 800 € le m², voire (beaucoup) plus si affinités. A comparer peut-être avec le coût du logement, quand les architectes se battent fréquemment pour livrer un bâtiment de bonne tenue à 1 500 € le m² tout compris, voire (beaucoup) moins. Alors une façade de briques noires ? Visite à Nantes.
Au coeur du quartier de la Création de l’île de Nantes aménagé par la Samoa avec les équipes d’urbanistes d’UAPS, il y avait encore l’un des derniers terrains disponibles, coincé entre l’école d’architecture de Lacaton & Vassal et la future école des Beaux-Arts de Franklin Azzi enchâssée dans les anciennes halles Alsthom.
En 2014, Sandra Planchez (SPLAAR) et Réalités Promotion, devenu en dix ans un acteur important de l’immobilier dans le Grand Ouest de la France, ont gagné la consultation pour cette parcelle avec le pari d’un bâtiment réellement partagé dont la conception est issue d’une réflexion de fond sur les nouveaux modes d’habiter, de mutualiser, de partager et de produire de la mixité. Termes à la mode certes mais à tester dans une réalité construite.
Le projet, baptisé UNIK et livré au printemps 2017 pour un coût de travaux de 6,7M€, propose en effet une étonnante mixité. Sur 5 000m², ce qui n’est pas énorme, deux bâtiments distincts, de hauteur et de forme différentes mais qui se répondent dans leur matérialité, accueillent des bureaux, des commerces ainsi que 12 logements sociaux et 23 en accession.
«Une telle mixité programmatique et sociale est un enjeu intéressant», souligne l’architecte. «Que se passe-t-il pendant la journée ? Le soir ? Quels droits au soleil ? A la vue ? A la lumière ? Quelle qualité d’usage ? Pour qui ?».
Le premier parti pris de l’ouvrage est lié aux notions de durabilité et de qualité d’usage contenues dans les intentions d’UAPS et les prescriptions environnementales de Frank Boutté. «Il n’y avait pas de jardin en rez-de-chaussée, nous avons décidé de le mettre sur le toit», résume Sandra Planchez.
Ce jardin, devenu une vaste terrasse protégée, fut l’un des enjeux du permis de construire car le mur périphérique de cet espace aérien en faisait «une pièce en plus», pas un toit ni un étage. Un espace par ailleurs accessible à tous les habitants… Déconcertant pour les services d’urbanisme de la ville sans doute. Une bataille administrative difficile dont l’architecte sort finalement gagnante.
Cette terrasse collective mais aménagée de façon à pouvoir accueillir tous ses utilisateurs – un espace pour enfants, un espace jardinage, un espace de sport, un espace détente, des tables pour le barbecue, un espace de rangement pratique – a dicté la circulation dans la ‘tour’ de sept étages. Une entrée commune et, tout en haut, utilisable par chacun, la terrasse. La grande terrasse basse du second bâtiment, cette fois accessible à tous les usagers, est de même une sorte d’agora résidentielle ni totalement publique, ni totalement privée. Partagée !
Certes, chaque programme possède son interphone mais l’entrée est la même pour tous les occupants de l’immeuble, quel que soit leur statut – de fait des logements sociaux et en accession sont sur le même palier et quasi impossibles à différencier, la plupart bénéficient d’une position d’angle et d’une double orientation et tous disposent un prolongement extérieur.
Une passerelle réunit les deux bâtiments. Pourquoi une passerelle ? Il s’agissait au départ d’une réalité technique et de la nécessité de création d’un EAS (espace d’attente sécurisé). De cette contrainte est née au rez-de-chaussée un espace ouvert, passage permettant aux piétons de traverser la parcelle et de rejoindre à 100m les Halles, ses services, ses restaurants, son école, ses bureaux. Une vraie politesse, puisque il s’agit d’un espace privé retourné à la ville qui s’inscrit dans une trame viaire qui a été peu ou prou conservée et qui, avec le patrimoine industriel sauvegardé et stylisé, donne à la ZAC de l’île de Nantes un caractère urbain de dimension humaine foncièrement rassurant.
«Le plus compliqué a été de réussir à superposer et réunir toutes les différentes normes, incendie, code du travail, etc.», souligne Amédée Brétignière, directeur Programme chez Réalités Promotion. D’aucuns s’en doutaient et ce n’est rien de l’écrire.
Comment par exemple, d’un point de vue juridique, restreindre l’accès d’une partie commune ? Comment concilier le bail commercial des bureaux et commerces installés au rez-de-chaussée et premier étage avec les baux des logements au-dessus et la copropriété des accédants ? Qui sort les poubelles ? La maîtrise d’oeuvre a donné tous les moyens pour les habitants de s’organiser. Un subtil et contraignant règlement intérieur codifie désormais ces nouvelles règles de vie pour tous. Pas de bruit sur le toit après 22 h ! L’innovation est aussi sans doute dans l’invention de ces nouveaux métiers de gestion juridique et pratique de ces espaces partagés.
Ainsi pour les places de parking, il y a un abonnement jour pour les employés et commerçants et un abonnement nuit pour les habitants. C’est une organisation, qui n’ira pas sans quelques frottements comme c’est toujours le cas quand il faut s’adapter à de nouvelles habitudes. Autre trouvaille, la passerelle a permis de réunir dans un même plan des espaces de bureaux pourtant insérés dans deux bâtiments différents.
«Il a fallu rassurer tout un chacun au moment de la commercialisation», s’amuse Amédée Brétignière. Il est vrai qu’il aurait été beaucoup plus simple de ne faire que du logement ou que des bureaux et de ne pas s’embêter avec ces histoires de parkings et terrasses partagés. Architecte, c’est un métier…
L’expérience pour le promoteur s’avère pourtant concluante, aussi parce que Sandra Planchez, dans un paysage de sheds, a pu dans ses toits à deux pentes créer de ‘beaux volumes’ comme disent les agents immobiliers. Encore que… Le prix de vente maximum au m² ayant été fixé par la SAMOA, ces appartements ‘luxueux’ furent finalement de très bonnes affaires pour leurs acquéreurs. De fait, même s’il regrette qu’ils soient des investisseurs à 80%, le promoteur a finalement réussi assez facilement à trouver preneurs – locataires et propriétaires – pour tous ses espaces. De quoi lui donner des idées. «La mixité commerces, bureaux, logements est un concept que nous sommes amenés à reproduire», indique-t-il.
Un mot pour finir sur la brique noire en façades, élément remarquable, identité de l’opération. Par-dessus l’isolation par l’extérieur, la peau est composée de 600 000 briques posées une par une par quinze personnes pendant quatre mois. Comme quoi, un bâtiment peut-être vertueux également dans sa capacité à faire travailler la main-d’œuvre locale.
Pourquoi noire la brique ? «C’est une couleur déjà présente sur le site», indique Sandra Planchez en référence au tribunal de Jean Nouvel situé à un jet de pierre. La brique rend bien sûr également hommage au passé industriel du site mais, encore, «le noir affine les formes et la ‘tour’ n’est pas très élancée», relève l’architecte, qui ne sera pas démentie par ses confrères et consoeurs.
Bref, un bâtiment de bonne tenue à 1 500 € le m².
Christophe Leray