France-Allemagne, c’était l’affiche de la demi-finale de l’Euro 2016 de Football qui avait lieu le 7 juillet 2016. Ce même jour, les journalistes conviés à une présentation de la ZAC des Deux-Rives, à Strasbourg, ont pu assister, sur le futur pont sur le Rhin reliant leurs villes, aux pronostics de Toni Vetrano, le Bourgmestre de Kehl, et d’Alain Fontanel, adjoint au maire de Strasbourg. En plein Brexit, tout un symbole.
Le match du soir était «Oh combien!» symbolique au regard des relations parfois plus que tendues entre les politiques des deux pays, pourtant coudes serrés pour soutenir l’Europe. Les années 2015 et 2016 ont dû faire face à des drames inimaginables. L’Europe en constate chaque jour un peu plus les conséquences : les frontières se referment, des murs sont construits, les nationalismes sont exacerbés, les tensions et la méfiance vis-à-vis de Bruxelles sont prégnantes. Le Royaume-Uni, qui a toujours su ménager la chèvre et le chou, demande le divorce. Le vase est plein. Pourtant, en ces temps troublés, deux villes résistent encore et toujours à l’envahisseur «eurosceptique». Strasbourg en a même fait un slogan : «Strasbourg, the Europtimist».
Depuis, quinze ans, Strasbourg (275 000 habitants) sur la rive ouest du Rhin se rapproche doucement mais sûrement de sa petite-cousine germaine, Kehl (35 000 habitants) de l’autre côté du fleuve. En témoigne le nouveau pont, signé Marc Barani architecte, livré cet été pour enjamber la frontière naturelle. «Le pont sur le Rhin du tram D sera le cinquième construit en 60 ans entre la France et l’Allemagne sur le territoire de Strasbourg», relève Alain Fontanel, premier adjoint à la mairie en charge de la culture et de la coordination et président de la Compagnie des transports strasbourgeois. «Mais ce sera le troisième depuis 2004, ce qui démontre le rapprochement accéléré entre les deux pays et les deux villes», souligne-t-il, arborant l’écharpe de l’équipe de France.
Pour aimer les ouvrages d’art, les deux villes les adorent ! La passerelle de Marc Barani sera réservée aux circulations douces : à la nouvelle ligne de tramway, aux vélos, aux piétons. Une initiative remarquable au moment des replis sur soi et de la montée des communautarismes, en Gaule, en Germanie et dans toute l’Europe. La ligne de tram sera d’ailleurs très empruntée, et ce dans les deux sens, preuve s’il en est que Kehl et Strasbourg ne font presque qu’une.
Toni Vetrano est Bourgmestre de Kehl depuis 2014. Né en Sicile et naturalisé allemand en 2004, il se considère comme un pur produit européen. Au milieu du Rhin, c’est tout naturellement de l’écharpe de la Mannschaft dont il était affublé. A l’heure des penaltys et quelques jours après le Brexit, c’est dans la même équipe que se joue la solidarité des deux pays frontaliers.
«La construction d’un pont ne constitue pas seulement une belle image. Bientôt on parlera de Strasbourg-sur-Rhin», imagine le Bourgmestre. En réalité, un peu comme à Saint-Louis et à Bâle, l’Alsace et le Bade-Wurtemberg se rapprochent pour former un seul et même territoire d’usage. «Evidemment, Strasbourg, qui est une ville très dynamique, influence considérablement l’économie de la ville de Kehl. Un tiers des habitants de Kehl sont français tandis que beaucoup de Kehlois vivent à Strasbourg», souligne le maire allemand. «Nous ne voulons plus ressentir la frontière. Le pont offrira un bénéfice économique mais également du lien social. Nous projetons une crèche transfrontalière et des antennes communes entre le pôle emploi et l’agence de travail fédérale», poursuit-il.
D’ailleurs, le pont a été financé à parts égales entre la Ville de Kehl et la Communauté urbaine de Strasbourg, et conçu par des entreprises allemandes et françaises. Ce n’était pas une mince affaire puisqu’il fallait concilier les lourdeurs administratives des deux pays.
Traditionnellement, et encore plus depuis le milieu du XXe siècle, Strasbourg s’est développée dos à l’Allemagne, reniant la Neuestadt héritée de la seconde guerre mondiale. Mais depuis les années 90, avec une accélération depuis 2000, la ville rhénane se tourne vers l’Allemagne, assumant enfin son statut de carrefour de l’Europe. Un autre clin d’oeil à l’Histoire, à la demande de la ville, la Neuestadt se verra reconnue par l’UNESCO, rejoignant la ville historique et réconciliant les Strasbourgeois avec leur histoire.
Construire l’Europe, ce n’est pas seulement discuter dans des bureaux bruxellois. La livraison de ce nouvel ouvrage, destiné à réunir plutôt que séparer, en témoigne.
Oh, et ce jour-là, Toni Vetrano pronostiquait 2-0 pour l’Allemagne, Alain Fontanel 2-0… pour la France.
Léa Muller