L’avenir du périphérique parisien est une vraie question pour les futurs candidats, une vraie question d’actualité, même si les difficultés sont telles que d’aucuns préfèrent habituellement penser qu’il n’y a rien à faire.
Plus la technologie avance, plus on va vite, et plus l’imaginaire collectif est en demande de lenteur. Remarque liminaire, plus on s’éloigne de la ville à la recherche de nature et plus on a besoin des technologies nouvelles, internet, la 5G et de transports performants. C’est un des paradoxes de la vitesse. Notre univers est de plus en plus occupé par ces « techniques nouvelles » et l’inquiétude est de plus en plus palpable. Cette attente de lenteur, de ralentissement des vitesses de déplacements dans la ville n’est pas justifiée par la pollution mais bel et bien par la peur face à ces innovations.
C’était déjà vrai à la fin du XIXe siècle, la naissance de l’art nouveau en a été une conséquence. C’est encore le cas aujourd’hui avec le patrimoine urbain et architectural qui rassure comme une compensation à l’inquiétude causée par les nouveaux envahisseurs numériques, informatiques, électroniques, peut-être même parce qu’ils sont de plus en plus invisibles.
La ville est devenue un terrain d’expérimentations sans limite où s’agitent des apprentis sorciers. Si on n’y prend pas garde, plus il y aura de végétation, plus la lenteur trouvera sa place et plus le bien commun se réduira à des « espaces verts ». En fait il faut observer la place que prennent les vitesses dans l’espace de la ville
Il y a un autre phénomène à considérer, une sorte de vase communiquant entre la vitesse verticale (l’ascenseur) et la vitesse horizontale (les transports), ces deux vitesses ne pouvant être compatibles dans un même lieu. D’où le ralentissement de la vitesse de circulation sur le périphérique qui devrait en toute logique s’accompagner d’une élévation par les constructions qui le bordent. Le peu d’attention à ce postulat a conduit, entre autres, aux erreurs observées à la Défense.
La tentation est grande de transformer « le périphérique parisien », anneau de 35,04 kms, en ceinture verte. Le risque serait de renforcer la coupure existante entre Paris intra-muros et la périphérie, alors que la vraie question est comment proposer un lien, une couture entre les deux rives par un traitement approprié du périphérique. La seule solution est justement ce que Paris et sa périphérie refusent pour le moment : faire des deux rives une ville intense, seul moyen de donner à la fois une place à la nature et une place à l’activité.
L’occasion est unique de réaliser enfin un projet de ville sur la ville. Il n’est peut-être pas encore trop tard pour offrir une vision de la ville moderne qui s’accommoderait de son histoire, tout en protégeant son patrimoine et son activité.
La ville européenne, par sa dimension patrimoniale ne laisse pas d’autres possibilités que d’avoir un centre lent, vert, patrimonial ou vidé de son activité, avec une couronne dense et active, qui remplacerait les remparts et une périphérie riche de sa diversité, faite de villages et de campagne.
Cette représentation pourrait être le nouveau paradigme de la ville européenne. Le projet pourrait correspondre à dix-huit fois la distance de la place de l’étoile à la place de la Concorde, avec une alternance de séquences urbaines et de « séquences forestières » pour concevoir un paysage du XXIe siècle. Dans cette couronne, la ville ferait une place belle à la nature.
Cette « ville linéaire », conforme à l’évolution du modèle européen, donnerait le choix entre urbanité, mixité, diversité, entre résidence proche des services et maison avec potager. Elle composerait les vitesses et la nature, dans la perspective de créer du bien commun.
Ces trois composantes, l’espace urbain, la place de la nature et les technologies, autrement dit les vitesses horizontales et verticales, auraient une relation forte qui contribue à donner une définition de la qualité urbaine. Si la vitesse horizontale n’est pas remplacée par la vitesse verticale, celle des immeubles, l’urbanité sera remplacée par une présence plus forte de la nature. Entre urbanité et nature, il faut choisir, même si le choix est douloureux avec un risque de démagogie. Il est nécessaire de rechercher le meilleur équilibre entre espaces minéraux et végétaux, supports de bien commun suffisamment ouverts pour que les utilisations soient multiples et évolutives.
Il est dit d’un certain nombre de sujets qu’ils sont régaliens, je pense que dans certaines circonstances « Le projet de ville » doit l’être. Je ne dis pas l’urbanisme qui est bien souvent devenu un outil de gestion du droit des tiers et a oublié la dimension qui devrait le sous tendre, celle du projet, la dimension qui se débat et se partage, celle sur laquelle il y a l’enjeu de l’intérêt général. Un projet suppose une vision qui se construit à partir d’un appareil théorique, d’une culture, autrement dit d’une expérience, celle de la ville. C’est d’autant plus important qu’aujourd’hui se développe une idéologie du refus qui, sans le dire, nous enverrait bien faire un tour à la campagne.
Le périphérique n’est pas une obsession, c’est un enjeu urbain majeur, surtout lorsque la maire de la capitale et la présidente de la même région sont candidates à la magistrature suprême. Le sujet est difficile, passionnant, et je crains qu’il ne fasse pas l’objet d’un projet riche de la diversité des situations qu’il va falloir affronter et mettre en scène.
Pourtant l’occasion est belle et ce projet n’est pas uniquement parisien, il est métropolitain, il s’applique à chaque métropole. Bordeaux, Lyon, Toulouse … sont confrontées aux mêmes problèmes, c’est le moment ou jamais de lancer le débat autrement sur la Ville, l’Architecture et la Nature, d’interpeller les futurs candidats et de déplacer une partie des préoccupations. On aimerait entendre : « si je suis élu.e, je ferai de Paris et sa région le modèle de la ville du siècle, une urbanité exemplaire ». Diversité/ mixité/ sécurité/ activité/ mobilité… sont des questions auxquelles tous les électeurs attendent des réponses.
Les remparts, qui autrefois défendaient les villes, ont été remplacés par des boulevards plantés. L’avenir du périphérique est un sujet difficile à aborder politiquement. Une seule chose semble possible, le verdissement. Une ceinture verte mettrait tout le monde d’accord mais ce serait la plus grande erreur.
Le périphérique parisien, les candidat(e)s à la présidence devraient s’emparer de ce programme comme d’une Opération d’Intérêt National parce que la ville, pas plus que la région, ne peuvent régler ce sujet de manière indépendante. C’est un sujet d’intérêt national. Vauban a contribué à donner ses limites à la France, il semble normal que la France se penche au chevet de sa capitale.
Ce sujet est l’objet de beaucoup d’attentions, puisque pendant que la mairie réduit la vitesse de déplacement dans Paris à 30km/h, la présidente de la région Ile-de-France envisage un référendum sur le périphérique. Si le référendum est à la mode, il faut énoncer un ou plusieurs projets, les analyser et attendre en retour des prises de positions qui mettent en avant l’intérêt général, pas celui de particuliers.
C’est ici qu’apparait la difficulté, proposer un projet unique : qu’est ce qui donnera cette indispensable unité, cette urbanité ?
La question du périphérique n’est pas nouvelle. La ville de Pékin a mis en chantier son 7ème périphérique. Son 2ème périphérique, à une échelle comparable, correspondrait à celui de Paris. La ville de Pékin envisage la suppression de la circulation automobile justement à l’intérieur du deuxième périphérique, ce qui n’est pas encore le cas pour Paris. L’écart entre chacun des périphériques pékinois est de 3 à 4 kms. Pas étonnant alors que notre banlieue se porte aussi mal !
L’urbanisme, comme discipline, a souvent cherché une légitimé dans des propositions originales, pas toujours « naturelle », et l’idéologie a conduit les différents projets vers le chaos de cette périphérie qui mérite mieux.
En niant la réalité radioconcentrique de la ville européenne, on en paye les conséquences ! Tournant le dos à l’urbanisme de projet, l’urbanisme a renvoyé les projets urbains à des écoquartiers, à des bribes et à toutes sortes de réponses conjoncturelles. Il n’y a pas le centre d’un côté et la périphérie de l’autre, la périphérie est la substance moderne de la ville, elle en est consubstantielle.
La décentralisation n’a pas permis la mise en œuvre de visions éclairées sur un avenir partageable nourri de prévisions vraisemblables. Si la région Ile-de-France n’est pas la France, vue de l’extérieur son attraction n’a aucune raison sérieuse d’être freinée, sauf à prendre le risque d’afficher une volonté de décroissance de l’ensemble du pays. Chaque métropole a ses atouts, la partie doit être jouée en mettant les différences en avant. Le cinquième plan est derrière nous.
Les hésitations ont été nombreuses pour aboutir au fol espoir de contenir la ville dans un nouveau rempart. L’ARISO* remplace l’ancienne « Grande Rocade » du projet d’aménagement de 1939 mais au lieu d’être, comme la précédente, tracée en pleine campagne, elle se situe à la lisière extérieure de la zone urbanisée, à une dizaine de kilomètres de ce qu’on nommait à l’époque la Rocade Périphérique de Paris. Ce choix était motivé par « la volonté de ceinturer l’agglomération et de stabiliser son expansion spatiale ». Le projet Laser, entre autres projets de désenclavement du centre, prévoyait un périphérique souterrain ; il a été vite enterré.
S’il est normal de réduire la place faite à l’automobile au centre des villes, il est indispensable de rendre les déplacements possibles et rapides par des moyens collectifs adaptés. Il est normal de comprendre comment évolue la ville moderne qui s’est faite derrière un rempart, autour du marché, et dans une perspective démocratique.
Il est normal de donner le choix au-delà du périphérique, d’un habitat pavillonnaire, d’y inscrire les fermes urbaines et de donner à la nature sa pleine expression. Il est normal de mettre en évidence les relations qui existent entre : la nature, les vitesses et les technologies, la nécessité de proposer de nouvelles formes de bien commun, des espaces de ville, propre à répondre aux aspirations de l’ensemble de la population.
Il est normal de s’étonner du manque d’intérêt pour les espaces urbains en France, pratiquement aucune création nouvelle remarquable en cinquante ans.
Il est normal de s’engager sur un grand projet qui se déroulera sur plusieurs mandats. C’est l’intérêt général qui est en jeu, la démocratie doit avoir son espace urbain autre que les stades, les parkings et les malls : ses rues, ses avenues, ses cours, ses terrasses ses balcons, ses promenades et son périphérique transformé en « boulevards ».
Alain Sarfati
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*L’ARISO : LA RISO ou Route interurbaine de Seine et Oise) devenue la Francilienne.