Dans un Pavillon de l’Arsenal débordant de toute part, il fallait le 15 janvier 2020 chercher le bon angle pour voir ce qui se passait en contrebas et apercevoir la figure longiligne de Renzo Piano.
Pendant près d’une heure, Renzo Piano a raconté, s’est raconté mezzo voce. Plus que son œuvre, il a raconté ce qu’est son travail. Pour les auditeurs, architectes et étudiants, une petite madeleine pour commencer cette nouvelle année, un moment suspendu par la tranquillité d’un homme heureux.
Renzo Piano, 83 ans, loin, très loin, de l’âge pivot, est un homme émouvant. Il est jeune et pimpant avec sa silhouette élancée et le conférencier évoque non pas tant son architecture que ce qu’il aime passionnément dans la vie et mêle intelligemment, intelligiblement, l’homme et l’œuvre.
Renzo Piano fait partie de cette génération qui, à l’aube des années ’70 et ‘80, a connu la grande commande publique qui a permis de lancer nombre d’architectes. Renzo Piano n’a plus jamais ralenti. Il le reconnaît, recevoir la commande du centre Pompidou a changé sa vie. Avec son humour teinté d’accent italien, il se surnomme «le Quasimodo de Beaubourg» et demeure toujours proche de son œuvre, l’agence parisienne à 300 mètres à peine du «lieu du délit», suffisamment proche pour en prendre soin aussi.
Mais ce soir-là à l’Arsenal, Beaubourg n’était pas au cœur du propos. L’homme de l’art parle de ce qui parcourt son œuvre : le chantier. Enfant de constructeur, c’est finalement là qu’il aura passé sa vie. Il aime ce lieu de solidarité et d’enthousiasme et s’extasie encore sur une courte vidéo de la construction du Shard à Londres : «1 000 personnes, plus de 70 nationalités, des mineurs jusqu’aux acrobates des sommets».
Le chantier ou la fierté de réaliser quelque chose ensemble, le lieu où oublier la tragédie, comme celle de Gênes, sa ville, et ce pont Morandi qui unit et qui s’effondre. Il a encore du mal à réaliser encore aujourd’hui, dit-il.
Le chantier comme une prolongation de l’agence, celle où il arrive le matin, après avoir flâné dans Paris, sans savoir ce qu’il va faire. «Quand j’arrive la danse commence, c’est ça le bonheur. Un travail créatif, ça se partage, et il y a un âge où avoir des jeunes autour de soi, c’est une merveille», s’amuse-t-il. Cette jeunesse, il la retrouve aussi à Rome. Nommé sénateur à vie en 2013, il ouvre son bureau et s’entoure de douze jeunes pour travailler sur ce qu’il pense être un enjeu du XXIe siècle : la périphérie.
Chez Piano, la rencontre fait œuvre. Faire avec les uns pour les autres. Jamais il ne mentionne la responsabilité sociale de l’architecte mais celle-ci est au centre de tout. «L’architecture est l’art de construire des lieux pour les gens», dit-il. Tout simplement.
La beauté est ce qui unit le lieu aux gens et il en parle longuement. Evoquant le marketing qui a rendu l’utilisation du mot ‘beau’ désuet et empreint de légèreté, il revendique la réappropriation de ce mot par l’architecte, dans sa complexité. Selon lui, le kallos grec ou bello italien contiennent en eux-mêmes autant de beauté que de bonté ; sémiologiquement imbriqués, l’un ne peut dire que l’autre.
«En construisant des bibliothèques, des musées, des écoles, des universités, des salles de concert, la ville devient plus belle et les gens en deviennent meilleurs», souligne Renzo Piano. L’architecture ou le lieu de la rencontre entre la beauté et la bonté. Ému, l’architecte cite Dostoïevski et cette phrase de L’idiot : «la beauté sauvera le monde».
«Je m’arrête là sinon je vais pleurer», dit-il.
Belle conclusion d’un homme sensible.
Julie Arnault