Issus de l’école de Paris Val-de-Seine, anciennement UP4, Olivier Misischi, 42 ans et Franck Dibon, 38 ans, se sont retrouvés quelques années plus tard pour fonder ensemble à Paris, en 2009, l’atelier d’architecture Ramdam. Une petite agence comptant aujourd’hui deux salariés et dont la qualité réside dans d’efficaces petits projets. Présentation.
Privilégiant une architecture non formaliste mais centrée sur l’usage, aussi peu interventionniste que possible, Ramdam travaille à des plans libres capables de laisser diverses situations se mettre en place. Ils mènent une démarche quasi primitive qui les mène jusqu’à la phénoménologie, soit une philosophie qui écarte toute interprétation abstraite pour se limiter à la description et à l’analyse des seuls phénomènes perçus. «Plus nous évoluons, plus la matière nous intéresse dans toute son imperfection, dans toute sa texture, dans son coté expérientiel. Nous cherchons des matériaux vivants, non usinés, non synthétiques, mais issus d’une fabrication in situ», expliquent les architectes.
Une inspiration tirée de l’Arte Povera, qui incite, selon Olivier Misischi, non pas d’utiliser des matériaux pauvres mais d’être pauvre en moyens.
Pavillon d’accueil d’une scierie familiale
Projet livré en 2018, le pavillon d’accueil d’une scierie familiale installée dans le Maine-et-Loire, à Corzé, prix national de la construction bois
«Nous avons vu dans ce projet un moyen concret de court-circuiter les modes de production et de fabrication classiques», expliquent les associés de l’atelier Ramdam.
En effet, le site disposait d’un stock de bois conséquent, provenant des forêts situées à moins de 50km autour de la scierie, non sans qualités en soi mais surtout sans débouchés commerciaux. Il y avait par exemple du séquoia, une essence constituée de nombreux nœuds et qui ne peut pas être découpé en dessous d’une certaine section sans risque de se disloquer. Or certains panneaux mesuraient jusqu’à 350 x 70 cm avec 15 cm d’épaisseur.
Les architectes ont décidé de valoriser cette matière première et, avec les ouvriers de la scierie, sont parvenus à transformer et débiter cette ressource. Les façades sont le fruit d’un énorme inventaire réalisé avec le scieur de ces bois stockés sur place. L’ensemble a été mesuré et dimensionné afin de dessiner le calepinage de la façade, ce qui donne des épaisseurs, des profondeurs et des tonalités différentes.
La mise en œuvre est assurée par l’assemblage à sec d’éléments simples par fixations mécaniques, empilés ou moisés les uns avec les autres. Les architectes citent à ce titre une œuvre de Bernard Pagès, «Assemblages», qui explore les nombreuses variations élémentaires dans l’assemblage de deux bouts de bois.
Les poteaux, quant à eux, sont les parties hautes des troncs de cyprès qui, traversés de nombreux nœuds, sont difficilement transformables. «Utilisés tels quels, ils deviennent presque des éléments totémiques qui tiennent le toit, racine de la maison», explique Olivier Misischi.
A travers ce projet, les architectes ont utilisé le bois dans toute sa matérialité, c’est-à-dire du matériau brut jusqu’à des travaux très précieux proche de la marqueterie en cloison intérieure, dans un collage brutal qui révèle et met en contraste les éléments.
Les architectes rappellent l’image de Corbu dans son cabanon, en maillot de bain entre deux palmiers. Paradoxe de l’homme primitif et de l’incarnation de la modernité, cette image pose selon eux la question de l’origine du mouvement moderne, dans sa forme d’épure qui faisait fi de tous les ornements et balayait les codes et signes architecturaux. «Une expérience aride qui n’endort pas mais stimule», disent-ils.
«Finalement, ce projet, c’est juste un toit», continue l’architecte. Un grand toit débordant à double pente, en charpente à chevrons. Autoporté, il dégage un espace libre de tout aménagement, abritant un espace d’accueil pour la clientèle, les bureaux de la direction, les vestiaires et un lieu de détente pour les ouvriers.
«Ce qui nous intéresse de plus en plus, c’est le rapport entre le matériau et la forme. Ici, l’archétype de la maison est nourri de la matière qui la fonde et des gestes qui l’ont constitué. Paradoxalement, plus la vie est dématérialisée, plus le besoin se fait sentir de revenir à une ‘physicalité’ de l’expérience», expliquent-ils.
En revenant à des processus primitifs de fabrication, les architectes combinent une économie tant dans la matière que dans les moyens et expriment une efficacité intellectuelle particulièrement poétique.
Le Bon Coin & Co
«L’agence a vraiment démarré quand elle a été missionnée pour la restructuration et extension du Bon Coin» (livraison 2014), un petit immeuble occupé situé au bord du canal Saint-Denis, qui abritait autrefois un café éponyme, photographié par Robert Doisneau, explique Ramdam.
Plus qu’à l’image, les architectes se sont intéressés au processus de fabrication. Matériel, d’une part. Ils ont cherché à minimiser la matière utilisée et l’ont transformée le moins possible afin qu’elle soit réemployable. Notamment, l’extension est constituée d’un bois non traité en façade, qui résiste naturellement aux intempéries.
D’autre part, ils se sont engagés dans une démarche sociale, en travaillant avec APIJ Bat une entreprise de réinsertion sociale, lorsque le bâtiment fut vidé, en négociant une convention d’occupation avec le 6B, un vivier d’artiste du coin.
Des démarches vertueuses qui les guideront tout au long de leur pratique, jalonnées de projets de petites tailles insérés dans des situations extrêmes.
Paris XVIIe, rue Boursault (livraison 2019), 12 logements doivent s’enraciner sur une parcelle exigüe (7,40m de large) orientée est / ouest et faisant face à un pignon de sept étages qui capte toute la lumière du sud. Là encore, l’efficacité du plan aura raison des contraintes du site. Du noyau central, tenant tout le bâtiment, partent des consoles de béton qui portent tous les planchers en porte-à-faux. Sont ainsi évités les voiles porteurs ce qui permet de ne pas titiller les fondations voisines et, surtout, d’économiser 40 cm dans la largeur et ainsi offrir des logements traversants tout en respectant les normes handicapés.
Autre exemple à la Courneuve (93), rue Rateau (livraison 2018). Le budget, 620 000 € était minime pour construire six logements dans un milieu urbain dense. Les architectes, en plus d’un plan structurellement très tramé, ont proposé des typologies en duplex. «Deux duplex superposés permettent de n’avoir que deux étages desservis et donc de faire des économies substantielles sur la réglementation incendie et handicapée, notamment en termes de désenfumage et d’ascenseur», expliquent-ils. Astucieux. A force d’économie, ils ont pu bénéficier de prestations et de matériaux de qualité supérieure.
Citons un dernier projet, le square Contenot-Decaen (livraison 2014) à Paris XIIe. Construit dans les années 50, le groupe immobilier qui le borde, habité d’une population vieillissante, voit arriver de jeunes familles avec enfants, culturellement plus hétéroclites et à moindres revenus. De quoi créer quelques tensions. C’est par la requalification des espaces extérieurs et par l’intégration des habitants au processus du chantier, via des activités participatives de plantations et autres, que les frontières se sont dissipées. «Dans ce genre de projet où il n’y a pas grand-chose à construire, il faut surtout mettre en place des situations», souligne Olivier Misischi.
Amélie Luquain