«Nous n’avons pas été brutal avec le bâtiment», expliquent Anne Forgia et Didier Leneveu (ARTEO). Du coup le projet est rentré au «chausse-pied». Des objets indépendants avec leur propre structure, une passerelle légère qui lie tous les éléments du programme, des détails de conception acoustique qui respectent l’existant… Une réalisation entièrement réversible appelée à durer.
Contexte de l’opération
La ville de Jeumont s’est longtemps appuyée sur deux composantes majeures de son activité : d’une part l’activité ferroviaire expliquée par sa position frontalière avec la Belgique, sur le tracé de la ligne internationale Paris Moscou, et d’autre part par la présence de ‘Jeumont Industrie’ qui a construit sa réputation sur le génie électrique et nucléaire.
Les échanges avec le bassin industriel de Charleroi entre 1860 à 1960 entraîneront un développement rapide de la vallée Sambrienne et de la ville de Jeumont en particulier. Ce développement, contrarié par les frontières, se fera au travers de la Rivière canalisée de la Sambre et du réseau ferroviaire déjà en place.
Le déclin économique de la région et la disparition des frontières douanières ont laissé des espaces et bâtiments en friches dans lesquels le bâtiment de la Gare s’inscrit. La gare fait partie de la politique menée par la Ville pour réutiliser et revaloriser ses bâtiments dont la qualité architecturale et le caractère patrimonial les destinent à être transformés en équipements emblématiques.
Dans le cadre de l’Europan, un schéma directeur a été réalisé proposant un nouvel axe parallèle aux voies SNCF, reliant la Gare à l’Hôtel de Ville dans un parcours paysager. Ce parcours intègre dans une succession d’espaces actuellement vides les grandes carcasses des bâtiments désaffectés. L’activité réduite de l’ancienne gare SNCF s’est réfugiée à une extrémité du bâtiment. Restait à redonner vie au reste de cet édifice de 150m de long.
Présentation générale
Le programme du Pôle Culturel et de Haute Technologie se caractérise par la diversité des activités à regrouper dans un bâtiment dont la force architecturale se caractérise par sa longueur et son étroitesse : salle d’exposition, bar, salle de spectacle, studios son et vidéo, plateau de tournage, conservatoire de danse et musique, cybercentre. Le défi consistait à regrouper ou isoler les activités entre elles sans détruire la simplicité et l’évidence des volumes d’origine, d’intervenir en conservant l’identité de la gare, ses matériaux, la poésie liée aux lieux, salle des pas perdus ou hall des douanes.
L’intégration du nouveau programme dans l’édifice s’est faite grâce à deux principes adoptés pour le projet :
– à l’extérieur, par le choix d’une architecture à l’écriture contemporaine rapportée sur l’architecture classique de l’édifice. Les éléments rapportés sont le Plateau de Tournage et la passerelle de liaison à l’étage courant devant la façade – symbole des échanges dans le bâtiment,
– à l’intérieur, grâce aux jeux des circulations longitudinales permettant de décoller des façades les volumes abritant les activités et du parti adopté pour la salle de spectacle, structure en bateau totalement indépendante du volume du hall qui l’abrite.
Ces volumes rapportés, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, transforment l’image du bâtiment dans sa nouvelle vocation de Pôle artistique basé sur les nouvelles technologies, ouvert sur le site.
Les boîtes dans la boîte, les objets acoustiques
Le principe adopté permet de traiter les différentes entités le long de la colonne vertébrale du bâtiment comme des boites différenciées les unes par rapport aux autres dans l’enveloppe de la Gare.
Principe technique
Les exigences acoustiques extrêmement contraignantes liées au programme (enregistrement audio et video) ont été prises en compte en traitant individuellement chaque entité fonctionnelle.
Chaque boîte concernée comprend le traitement anti-vibratoire ou acoustique approprié, par exemple boites à ressort au niveau des fondations, de façon à isoler l’entité du passage des trains, à assurer l’isolation des boites entre elles et vis à vis des bruits extérieurs.
Principe esthétique
Le principe de ‘boîtes dans la boîte’ permet également d’identifier visuellement chaque activité fortement affirmée par le choix de sa géométrie, le traitement des matériaux de revêtement et la couleur adoptée. Cette disposition est un choix non seulement esthétique mais également ludique pour le confort du visiteur qui repèrera facilement dans le bâtiment l’activité qu’il vient rechercher. La salle de spectacle se matérialise par un volume de bois décliné dans un camaïeu de rouges, le conservatoire de musique est revêtu d’un mur lumineux orange. Les studios de musique sont traités dans une ambiance gris et rouge, les studios images dans un univers de briques laquées en blanc….
Sur le parvis
La façade de la Gare, caractéristique de l’architecture ferroviaire, est mise en tension par la présence des deux volumes nouveaux, la passerelle et le plateau de tournage. Ces deux volumes sont traités comme des objets lumineux posés la nuit sur le no man’s land de l’esplanade de la gare.
L’extension contenant le Plateau de Tournage est réalisée en avant de l’Aile Erquelinnes. C’est un bloc d’une hauteur comparable à celui de la Gare. Il fonctionne comme un signal depuis la rue Léon Blum. Sa forme reprend le changement de direction entre la place de la gare et la suite de l’axe vert correspondant au fléchissement des voies. Il est habillé de verre support de film. Les films reconstituent une image de la gare pixellisée et colorée donnant une perception différente de l’objet, un effet d’anamorphose en fonction de la distance. En arrivant en train le volume du studio de tournage évoque l’architecture classique de la Gare dont elle reprend les modules rythmés. Au pied du bâtiment le jeu graphique des pixels répond de façon formelle à la brique, aux mosaïques et aux carreaux du sol de la gare. La couleur bleue joue de l’opposition et du complément par rapport à la brique. L’ensemble est rétro éclairé.
La passerelle de liaison longitudinale est rapportée en avant de la façade de la Gare au premier étage. Elle est close par un plan de verre support d’écriture côté place. Cette animation graphique provient du transcodage numérique d’une photo de la gare. Les lettres sablées se découpent sur le fond composé en brique et pierre du bâtiment. La passerelle est portée par de grands poteaux métalliques. Ils sont situés en avant de la façade. Ils ont une forme de quadripode, ce qui permet d’alléger l’ossature de l’ouvrage. La toiture en méthacrylate sert de réflecteurs à l’éclairage situé sous le plancher caillebotis.
A l’intérieur
La façade intérieure de la Gare est conservée à l’identique – carrelage mosaïque de grès cérame en allège rénové dans Salle des Pas Perdus, l’accueil et la circulation longitudinale dans le Hall des Douanes.
L’aile Maubeuge
Elle est occupée par la SNCF. Une faible partie est dévolue aux activités de la plateforme : le cybercentre à RDC et l’administration à l’étage
La salle des Pas Perdus
Le grand volume unique du Hall est conservé et accueille l’espace Bar et Expositions. Il est surplombé par le volume de l’Auditorium, coque de bois de contre plaqué vernie rouge foncé évoquant la nef d’un bateau. Il est posé sur 6 grands poteaux d’acier habillés de bois. L’escalier monumental de métal et bois en extrémité du Hall donne accès à une passerelle reliée à l’administration, à la passerelle extérieure ainsi qu’au foyer de l’Auditorium. Le meuble bar est matérialisé par un bloc d’inox poli miroir.
A l’intérieur de l’auditorium les parements en bois laqué, perforés de fentes lumineuses et dorées, offrent un dégradé de rouges sombres. Ils servent de correcteurs acoustiques. Les sièges sont revêtus de trois rouges différents. C’est une salle dont la scène est intégrée qui servira pour la création, la diffusion et l’enregistrement de spectacles vivants.
Le Hall des Douanes
Le RDC abrite le conservatoire de musique. La salle de danse occupe l’étage. Une boîte orange posée au centre du hall abrite 6 petits studios de musique habillés de rouge et de gris, le conservatoire de musique. Sur cette boite est posé un plancher de bois blond. La salle de danse bénéficie de la totalité de la surface d’origine du Hall. Les corniches existantes ont été conservées, le volume sous la charpente récupéré. Sous la corniche basse vient se glisser un parallélépipède habillé de miroirs qui contient les loges.
La Tour de l’Horloge
Située entre les deux grands halls, on y trouve l’espace d’accueil et de réception organisé autour d’une longue banque traitée en inox et prolongeant le meuble du Bar.. Ce vestibule dans l’alignement des circulations principales distribue l’ensemble des activités du RDC ainsi que celles de l’étage.
l’Aile Erquelinnes
En RDC, les Studios Son dédiés à l’enregistrement sont également traités comme des « boîtes dans la boîte ». Ils sont désolidarisés des façades existantes avec fondations spécifiques sur boîtes à ressorts. Les salles sont isolées entre elles, construites par alternance en parpaings pleins ou en Placostyl. A l’étage sont situés les studios vidéo, succession de pièces aux murs de brique peinte en blancs. Les portes vitrées et les vitrages hauts permettent la circulation de la lumière et la fluidité visuelle.
Le plateau de Tournage situé dans l’extension est isolé du bâtiment et éloigné des voies ferrées. Il est monté sur boîte à ressorts. Dédié à la location, il bénéficie d’une entrée privative par le pignon de l’Aile Erquelinnes. On pourra également y organiser des spectacles et le lieu pourra recevoir du public. Il est équipé d’une porte à décor pour le passage des grands volumes depuis l’espace public.
Anne Forgia, Didier Leneveu
Fiche technique
Programme : Transformation de l’ancienne gare de Jeumont en pôle culturel et de haute technologie
Répartition des entités spatiales dans le sens France / Belgique
Aile Maubeuge ; Cybercentre ; Administration ; Salle des Pas Perdus ; Hall d’exposition / Bar ; Salle 200 places ; Hall des Douanes ; Conservatoire de musique ; Conservatoire de danse ; Atelier d’Arts Plastiques ; Aile Erquelinnes ; Studios Son ; Studios Image : Extension ; Plateau de Tournage
Surfaces : 3.711 m2 SHON,
Coût des travaux : 5,6 M€ HT,
Calendrier : Concours en 2000, chantier de juin 2005 à Septembre 2007.
Maître d’ouvrage : VILLE DE JEUMONT
Conducteur d’opération : ICADE Agence régionale Nord Picardie
Maîtrise d’œuvre
Architectes : AST Sophie THOMAS ; ARTEO Anne FORGIA & Didier LENEVEU
Conception graphique : Eric FAYOLLE
Ingénierie
Structure : KHEPHREN
Economiste de la construction : ECRH
Ingénierie fluides : ALTO
Acoustique : JP LAMOUREUX
Scénique : Eric TUTRICE/scène consulting
Multimédia : Vincent TAURISSON
Photographe : François Bergeret / Cécile Septet
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 28 novembre 2007