A la fois architectes et femmes (ou femmes et architectes), Corinne Vezzoni, Gaëlle Péneau et Manuelle Gautrand ont toutes les trois – depuis 2013, date de sa création – été distinguées par le Prix femme architecte, remis par l’ARVHA (l’Association pour la Recherche sur la Ville et l’Habitat). A l’heure de la féminisation de la profession, chacune séparément nous a livré son point de vue sur ce prix et sur la place de la femme architecte aujourd’hui. Regards croisés.
Chroniques : Avez-vous été approchée ou avez-vous candidaté pour le Prix Femme Architecte 2015 ?
Corinne Vezzoni : J’ai été sollicitée pour répondre à la consultation. L’existence de ce prix ne m’était pas inconnue mais la question de m’y présenter ne m’était pas apparue. Ma réponse s’est faite sans a priori. Le jury se fonde sur un parcours professionnel tandis que la dimension d’enseignement y est prépondérante. Je trouve cela intéressant de mettre en avant ces deux critères.
Cette invitation m’a d’abord surprise, puis j’ai choisi d’y répondre, ne serait-ce qu’en raison de la qualité des femmes lauréates lors des deux premières éditions.
Gaëlle Péneau : Lorsque j’ai été sollicitée pour répondre à ce prix, dont je connaissais l’existence, j’ai dans un premier temps été gênée. Ce prix me semblait d’abord reconnaître ma condition de femme au détriment de ma qualité d’architecte.
Manuelle Gautrand : En 2013, j’ai postulé à ce prix, comme je le fais pour d’autres, en le considérant d’abord comme un prix d’architecture, mais pas que pour «femme architecte». Je n’ai eu aucun prix. En 2014, je n’ai pas postulé de nouveau, mais l’ARVHA m’a réinscrite sans me le demander… et j’ai obtenu le prix principal, celui de la femme architecte 2014.
Le métier d’architecte se féminise, plus de 60% des étudiants sont aujourd’hui des étudiantes mais l’Ordre compte seulement 25 % de femmes inscrites. Est-ce, selon vous, révélateur d’une logique inégalitaire dans la considération des femmes et des hommes, en architecture, mais aussi dans la société en général ?
GP : Les femmes architectes sont l’égales des hommes. Il n’y a pas de différences dans les relations avec les maîtres d’ouvrage, les ingénieurs et les entreprises vis-à-vis des femmes architectes. En revanche, être une femme peut éventuellement présenter un avantage sur un chantier car il existe néanmoins un respect certain de l’ouvrier et de l’entrepreneur. Les discussions techniques s’en trouvent d’ailleurs apaisées.
L’inégalité hommes-femmes n’est sans doute pas spécifique au milieu architectural. Il se ressent également chez les médecins ou encore parmi les ingénieurs. Elle reflète les difficultés que vivent les femmes dans leur quotidien dans lequel elles doivent parfois porter quatre casquettes : femme, amante, maman et professionnelle. Il est difficile de mener les quatre de front et les femmes se retrouvent à faire des choix. Elles sont peut-être moins carriéristes que les hommes qui vont vers le pouvoir.
CV : De mon point de vue, l’architecture n’est pas un domaine inégalitaire. Tout dépend de la culture de ceux qui la font, de leurs références et de leur éducation.
Quelle est la pertinence de ce prix qui a été accusé de créer des clivages ou du communautarisme à l’heure où au contraire, il s’agirait plutôt de renforcer les cohésions ?
MG : J’ai des doutes sur sa pertinence. Cependant il est peut-être pertinent comme peut l’être toute «discrimination positive», du moins pour le moment, tant que cette discrimination existe.
Le féminisme n’est pas mon combat. Il faudrait bien sûr idéalement que ce prix n’existe pas. Il n’existerait pas si les femmes et les hommes étaient réellement «à égalité» dans ce métier. Il faut donc souhaiter qu’il disparaisse au plus vite, cela prouverait qu’il n’y a plus besoin d’un tel prix.
CV : Ce prix doit dire à toutes les jeunes femmes qui sortent de l’école qu’il ne faut pas avoir peur de se lancer. Que devenir une femme architecte, avoir sa propre agence et ses propres projets, c’est faisable.
Par ailleurs, c’est également une manière de se montrer solidaire des autres femmes dans le monde. Je crois en effet qu’il nous faut demeurer très vigilantes car les libertés ne sont pas acquises. On peut le constater chaque jour en ce moment. J’ai grandi au Maroc et je constate dans ce pays une régression depuis ma jeunesse dans le statut de la femme. C’est un prix qui doit montrer notre résistance.
GP : Oui, c’est un prix qui est clivant. Il ne viendrait à personne l’idée de faire le prix de l’homme architecte. Ce prix marque la différence entre les hommes et les femmes et fait une distinction en terme de genre et non plus en terme de qualité de la production. Cela dit, je crois qu’il est cependant important de participer. La libération de la femme est récente. Je fais partie de la génération qui a connu mai 68, la libération du corps et de l’esprit, la contraception. C’était hier, et les femmes doivent être vigilantes et consolider ces valeurs encore fragiles. La parité et la liberté ne sont pas complètement acquises.
Je crois que ce prix trouve sa pertinence pour éviter un retour en arrière, comme l’Iran par exemple en a connu un. C’était en effet un pays très en avance et où aujourd’hui les femmes sont opprimées.
L’évolution des façons de penser se fera-t-elle d’elle-même avec l’arrivée de nouvelles générations d’architectes et de maîtres d’ouvrage ?
CV: Les mentalités vont évoluer selon les cultures et l’éducation. Tout dépend de la sensibilité de chacun, de ses références. C’est ce qui influence les comportements. Il faut rester vigilant afin de progresser et non de régresser.
GP : Il faut renforcer les noms des grandes femmes architectes dont la célébrité est récente. Je crois à l’importance de créer une lignée de femmes architectes de talents. Mise à part Zaha Hadid en 2004, peu de femmes ont reçu de grands prix d’architecture en France et à l’internationale. Il faut apporter un éclairage, qui est encore nécessaire, aux femmes talentueuses qui nous ont précédées et influencées. La prise de conscience sur une recherche d’identité de la femme architecte n’est pas gagnée.
Cependant, je ne crois pas à une architecture de femme. L’architecture est un métier d’équipe, avec des hommes dedans. La parité existe dans les agences. Les orientations données aux projets sont propres à chaque individu, qu’il soit homme ou femme.
MG : Oui certainement, en Europe en tout cas. Dans d’autres pays ou régions du globe, on en est encore très très loin…
Il y a peu de femmes architectes qui mènent leur agence seule. Avez-vous, rencontrez-vous, des obstacles parce que vous êtes une femme ? Avez-vous dû davantage faire vos preuves ?
GP : J’ai commencé associée à des hommes mais cela a été une libération de reprendre les choses en main, de faire mes propres choix, d’être le seul maître à bord, ce qui n’a posé aucun problème à mes interlocuteurs de toujours. Cependant, l’association reste une nécessité, et si je détiens les parts les plus importantes, je ne suis plus seule à tenir les rênes.
MG : M’associer a été pour moi une nécessité pour partager un métier difficile et ne pas porter seule tous les problèmes d’une agence sur mes épaules, mais j’aurais pu m’associer avec une femme ou un homme. Il se trouve que la personne avec laquelle je suis associé est aussi celle avec laquelle je vis et que c’est un homme … Cela dit je suis seule à l’origine de la création architecturale de mon agence, mon associé en étant le gestionnaire.
Propos recueillis par Léa Muller