Une nouvelle gare à Paris, voilà qui n’est pas courant. De fait la dernière, la gare Haussmann/Saint-Lazare, remonte à 15 ans. Pour la gare Rosa Parks, ouverte dans le XIXe arrondissement depuis décembre 2015, le «programme tenait en une page». Comme quoi, quand l’architecte n’est pas contraint par un programme figé d’avance, il peut proposer une réponse sensible. Explications.
Parlant de la nouvelle gare Rosa Parks, Etienne Tricaud, président du groupe AREP, se félicite de «l’expression de la vérité structurelle et des matériaux» de l’ouvrage. Sans doute mais, au-delà de l’exploit technique – c’en est un –, que raconte cette gare de la façon dont Paris peut se reconstruire ? Son nom en est sans conteste l’une des clefs.
Rosa Parks est le nom de cette femme afro-américaine qui, le 1er décembre 1955 à Montgomery, dans l’état raciste de l’Alabama, aux Etats-Unis, a refusé de céder sa place et de s’installer dans les sièges réservés aux noirs au fond du bus. Arrêtée, elle se voit infliger une amende. Militante du NAACP*, dotée d’une éducation rare pour les noirs de l’époque, son acte était cependant parfaitement réfléchi. «La seule fatigue que j’avais était celle de céder», dira-t-elle. Cet évènement est le déclencheur du mouvement de protestation de Martin Luther King qui aboutira à la décision de la Cour suprême des États-Unis de déclarer anticonstitutionnelle la ségrégation dans les bus. Soixante plus tard, un noir entrait à la Maison Blanche.
Très bien, mais pourquoi une gare Rosa Parks à Paris en 2015 ? De fait, la nouvelle gare était initialement connue sous l’appellation «gare Evangile» du nom d’un terrain adjacent appelé Triangle Evangile, un nom parisien donc. Mais Etienne Tricaud explique que le choix du nom «est le fruit d’une réflexion collective, à laquelle ont été associés les habitants du quartier qui ont plébiscité le nom de Rosa Parks lors d’une consultation publique en 2010».
Qui sont ces habitants ? Certainement pas ceux qui ont emménagé dans les nouveaux logements des entrepôts Macdonald pas encore construits en 2010. Il ne peut s’agir donc que de ces habitants les plus concernés, c’est-à-dire ceux de la Cité Edmond Michelet – Curial, l’un des quartiers les plus pauvres de Paris, juste de l’autre côté de la rue, plus de 700 logements sociaux dans un quartier alors de sombre réputation, dont les tours n’avaient pas encore été remises en valeur par le Groupe Arcane. Ceux-là ont donc «plébiscité» Rosa Parks. Ont-ils perçu dans le combat de la militante américaine une revendication qui faisait écho à leurs propres préoccupations ?
Bref, ce nom pourrait parfaitement être interprété comme un acte de défiance et il y avait sans doute une part de provocation dans ce plébiscite. Sauf que Rosa Parks, comme Martin Luther King, a toujours prôné l’action non violente et l’histoire a montré que c’est ainsi qu’ils sont parvenus à leurs fins. Aussi le nom de cette gare, choisi en 2010, peut également être interprété comme le désir d’un monde meilleur et plus juste et comme un message d’espoir de la part de ces habitants d’un quartier qui, en 2009, était encore le théâtre de violences faisant un mort et des dizaines de blessés.
C’est cette seconde hypothèse qu’ont apparemment retenue Etienne Tricaud et AREP.
Le maître d’ouvrage** pensait au départ édifier un front bâti tout au long de la rue Gaston Tessier qui borde le talus ferroviaire. De fait, nombre de bâtiments sont en construction sur ce côté de la rue, face à la Cité Curial. Mais, en arrivant lors de la visite de presse du 23 mars sur le large parvis sud menant à cette gare, puis en découvrant au nord celui encore plus vaste du côté du boulevard Macdonald, on comprend qu’il n’en fut rien.
«Le programme tenait sur une page», se souvient Etienne Tricaud. Non que cela l’inquiète, bien au contraire. C’est avec ce type de programme simple qu’AREP, constructeur et parfois également opérateur, travaille habituellement en Asie et au Moyen-Orient. Puisque l’architecte avait voix au chapitre et puisqu’on lui demandait de «faire une gare qui marche», plutôt qu’un ouvrage engoncé dans le bâti comme le sont nombre de stations parisiennes, les concepteurs ont pris le parti du vide et d’un ouvrage à l’air libre transformant ainsi en vrai morceau de ville un espace urbain auparavant majoritairement dévolu à des équipements de logistique ferroviaire et à des espaces servants.
Bonne pioche car entre-temps, depuis sa rénovation en 2012, la Cité Edmond Michelet étincelle et perd peu à peu sa réputation de lieu interdit tandis que les bâtiments de l’entrepôt Macdonald sont livrés les uns après les autres et qu’une nouvelle population – plus mixte ? – prend racine. Pour le coup un passage urbain de grande largeur – 40 m de long sur 14 m de large, avec une hauteur moyenne de 4 m 70 – fait la couture et relie, pendant les heures d’ouverture de la gare, ces deux quartiers différents et auparavant isolés l’un de l’autre par le plateau de voies. Ce passage accessible de plain-pied est selon l’architecte «une pièce, un grand salon» ; la fresque en mosaïque conçue par les habitants du quartier et illustrant la vie de Rosa Parks finissant d’enlever à ce tunnel tout aspect anxiogène.
Il fallut certes passer sous les voies de chemin de fer – plus de mille trains par jour, aucune interruption de trafic – et la réussite technique de l’ouvrage est à louer mais ici, autant sinon plus qu’un projet d’infrastructure, les enjeux étaient bien ceux d’un projet urbain. Grâce à la gare, la Cité Curial n’est pas seulement désenclavée – accès au hub de Saint Lazare en deux stations RER – mais ses habitants disposent désormais également d’un accès court et direct avec le nouveau quartier Macdonald, ses services et commerces et son pôle multimodal de transports, dont le tramway T3b qui relie depuis 2015 le quartier aux communes voisines, Aubervilliers et Pantin, et aussi au futur campus Condorcet, à la ZAC Claude-Bernard, au parc Millénaire ainsi qu’à la Cité des sciences (tient au fait, sur la même ligne, il y a une station Ella Fitzgerald). Sans compter encore les nombreux arrêts de bus et, pour permettre la conjugaison de déplacement vélo / RER, des stations Vélib’ et un abri-consigne sécurisé Véligo de 64 places (le premier dans Paris), installés sur les parvis. Bref, en novlangue, «toutes les mobilités parisiennes». En tout cas des transports en commun, c’est le cas de le dire, que n’aurait pas renié Rosa Parks elle-même qui dû aller à pied plus souvent qu’à son tour.
Toujours est-il que, dans le vide créé, les architectes ont eu toute faculté de concevoir des circulations généreuses baignées de lumière naturelle via une faille dans le toit, de montrer la vérité constructive d’un ouvrage d’art et celle de matériaux – béton, métal, bois – aptes à absorber le passage du temps. «Le minimum nécessaire pour supporter un train», s’amuse Etienne Tricaud***.
«La gare doit devenir un lieu d’intensité et de reconquête urbaine. A ce titre elle doit être le plus accessible possible car elle dessert toute une série de programmes urbains, ce pourquoi il s’agit de l’un des lieux les plus fréquentés de la ville», explique l’homme de l’art. Si la gare Rosa Park n’accueille encore que 20 000 voyageurs/jours, elle en attend 85 000 à l’horizon 2023. Sans doute alors que les m² de la Cité Curial auront pris de la valeur. AREP semble donc bien avoir entendu le message envoyé par les habitants de la Cité Edmond Rostand.
Lors de l’inauguration de la gare Rose Parks le 6 février 2016, le ban et l’arrière-ban des VIP, dont le Premier ministre Manuel Valls, le Secrétaire d’Etat chargé des Transports, Alain Vidalies, la maire de Paris Anne Hidalgo, la présidente de la région Valérie Pécresse (LR) et le maire du XIXe, François Dagnaud (PS), étaient présents. Si la gare porte finalement bien son nom, quelle interprétation ceux-là en font-ils ?
Christophe Leray
*NAACP : National Association for the Advancement of Colored People, principale association de lutte contre la discrimination des noirs aux Etats-Unis.
** Maîtrise d’ouvrage : SNCF Réseau. Montant des travaux : 130 M€ financés par État (22,7 %), Région Île-de-France (51,2 %), Ville de Paris (25,7 %), SNCF Réseau (0,4 %)
***Lire à ce sujet le dossier de presse détaillé du projet