Xavier Fabre était le 24 mai à Venise dans le cadre de l’exposition de l’AFEX consacrée aux lauréats du concours 2018, dont l’agence Fabre/Speller. L’occasion de découvrir cette commande d’un grand chef d’orchestre russe pour un salon de musique de 300 places en extension d’une maison d’accueil et de rencontre pour jeune solistes musiciens à Saint-Pétersbourg. Communiqué.
Le grand chef d’orchestre Valery Gergiev, chef permanent et directeur général du Théâtre Mariinsky, disposait dans une petite ville de l’isthme de Carélie, à Repino, située à une trentaine de kilomètres au nord-ouest de Saint Pétersbourg, de bâtiments inachevés d’une maison d’accueil pour jeunes musiciens solistes qu’il souhaitait compléter par une salle de concert et de répétition.
C’est à l’agence Fabre/Speller Architectes qu’a été confiée la tâche de concevoir et de réaliser ce projet en étroite collaboration avec la maitrise d’ouvrage assurée par la fondation Valery Gergiev. Les uns et les autres étaient en terrain connu puisque Fabre/Speller (avec SETEC et SCENE) avaient remporté en 2003 l’appel d’offres pour la rénovation du Théâtre Mariinsky historique à Saint Pétersbourg et construit la salle de concert symphonique du même théâtre en 2006.
Pour le chantier de Repino, les contraintes étaient fortes :
– concevoir à petite échelle un salon de musique modulable pouvant accueillir jusqu’à quatre-vingt musiciens pour les répétitions, un public restreint (300 places) pour les concerts, et environ 200 convives pour les réceptions ;
– étudier, en réutilisant certains éléments du chantier inachevé de la maison d’accueil pour jeunes musiciens, un ensemble en parfaite concordance avec les conceptions musicales de Valery Gergiev ;
– utiliser les capacités constructives des entreprises russes pour un chantier relevant presque d’un artisanat d’art pour satisfaire aux contraintes architecturales et acoustiques.
La conception de la salle, réalisée par l’agence Fabre/Speller et développée avec l’acousticien Yazu Toyota, se caractérise par trois spécificités :
– un volume de 15×20m avec 14m de hauteur, développant deux niveaux de galeries, illuminé par un cône de lumière zénithal ;
– une construction entièrement en charpente de bois blanc (Pin de l’Oural) – structure et parois – couverte par un grand toit en cuivre ;
– un parterre modulable, s’adaptant aux diverses configurations d’orchestres et permettant de varier les formats musicaux (solistes, orchestre de chambre, répétition de grandes formations).
Ce type de format intime constitue une alternative artistique nouvelle et une réponse économique efficace pour une diffusion populaire de la musique, comparée aux grandes salles de la scène musicale internationale, pour un budget limité de 1,4 millions d’euros (soit 5 000 € par place).
Le volume resserré – qui assure la proximité du champ sonore direct et du champ diffus – et facilite la maîtrise de la réverbération, permet une écoute musicale naturelle exceptionnelle, d’une très grande netteté sonore, alliée à une proximité inhabituelle avec les musiciens.
Valery Gergiev, interrogé sur les méthodes complexes d’enregistrement d’une œuvre symphonique avait répondu : «Je préfère une méthode plus simple qui consiste à capter directement, sans mixage, une acoustique naturelle».
L’expérience d’une construction entièrement en bois pour un édifice public en Russie est aussi exceptionnelle car des préjugés et des interdits de sécurité (incendie) marquent encore la culture professionnelle alors que la Russie est un des premiers producteurs de bois au monde.
S’il n’est pas rare que les musiciens, depuis Wagner à Bayreuth, se soient investis dans la réflexion sur les théâtres, la construction du Salon de Musique Repino n’aurait pas été possible sans la détermination de son maître d’ouvrage Valery Gergiev ainsi que l’engagement d’un charpentier de très grand talent Andrei Kazlov, perpétuant la culture constructive russe.
La conception acoustique de la salle de Repino
Le travail d’étude acoustique a été constamment associé à l’évolution architecturale du projet pour en constituer progressivement l’argument principal.
Bien sûr la dimension restreinte de la salle, de 240 places initialement, la recherche de hauteur pour renforcer la résonance acoustique et la proximité du public, ainsi que l’argument d’une grande baie vitrée, ouverte sur la forêt et la mer, étaient des choix présents dès l’origine, lors de la première esquisse.
Mais les échanges continus menés avec Yazu Toyota (Nagata Acustic) et son assistant français Marc Quiquerez, ont progressivement induit une accentuation du projet architectural et fait émerger quatre innovations acoustiques expérimentales.
La recherche de verticalité
La montée du son dans le volume de la salle, la formation de la composition sonore pertinente de l’orchestre à sa verticale, là où les différentes tonalités des instruments se confondent harmonieusement par les réflexions du plateau, du plafond et du fond de scène, incite à renforcer la proximité du public à la verticale de l’orchestre.
Bien sûr, les voix, les bois, les cuivres… fonctionnent en « projection horizontale » mais, dans le cas d’une salle restreinte, c’est l’ensemble des parois qui interagissent directement et offrent une réponse musicale quasiment uniforme. D’où l’intérêt de rechercher une concentration verticale du public par des galeries entourant l’orchestre, et d’accentuer la hauteur de la salle par des parois inclinées. C’est ainsi qu’une première galerie presque hélicoïdale remonte vers la scène et qu’une deuxième galerie, détachée des parois pour ne pas bloquer la diffusion des murs, offre des places surplombantes à la périphérie de la salle.
La densité des parois
Pour obtenir un son naturel le plus clair et le plus précis, permettant l’écoute de chaque instrument et de chaque note, nous avons accentué la masse propre de chaque paroi, avec une moyenne de 80kg/m2 en plafond et 60kg/m2 en murs.
Cette exigence acoustique a été obtenue par la superposition de plusieurs couches de bois : platelage de support en lames de bois brut, plus panneaux de contrecollé épais vissés, complétés par un bardage de bastaings rabotés sciés en diagonale, posés de façon aléatoire (essentiellement pour tous les murs périphériques verticaux).
Seul le mur du fond de salle est traité en platelage ajouré, distant de la paroi lourde, pour assurer un effet d’absorption qui peut être renforcé par le coulissement d’un rideau intérieur en velours.
Une diffraction renforcée
La taille restreinte de la salle (15m x 22m irrégulier) et la neutralisation de la baie vitrée de fond d’orchestre, surface hyper réfléchissante, ont nécessité une accentuation du caractère diffractant de chaque surface et de l’irrégularité dissymétrique de chaque paroi.
Alors que la salle s’inscrit dans un volume simple, presque rectangulaire, les parois, les gradins, les galeries et la toiture introduisent une déformation légère de l’espace qui participe du mouvement ascensionnel de tout le volume.
Cette déformation des parois est marquée par les bardages diffractants, introduisant des vides en creux dans les bois, et des niches d’amplifications sonores dans les angles, avec un jeu de bois en saillie aléatoire en plafond.
Les bienfaits de la diffraction (éclatement des richesses sonores contre les parois) alliée à la masse du matériau employé, contribuent à la clarté et à la finesse musicale de l’acoustique… et témoignent d’une « reconnaissance » envers les parois « sculptées » des salles XIXe…
La mobilité des configurations musicales
La salle de Repino est aussi conçue comme un « unicum » acoustique, c’est-à-dire que la plus grande équivalence sonore est entendue dans les différents lieux de l’espace et permet de répondre, avec des qualités similaires, à une répétition occupant tout l’espace, à un concert de soliste, à une représentation d’orchestre de moyen format, comme à un récital de chant.
Pour mieux répondre à cette diversité de configurations musicales et de format de public, un podium « éclaté » a été proposé, constitué d’un court podium fixe devant la baie (deux rangs d’instruments), d’un podium surélevé pour compléter un orchestre léger par des cuivres ou des percussions (ce podium dissimulant le coffre de rangement du piano en partie inférieure) et un parterre d’orchestre extensible selon la disposition du public.
A l’origine du projet, un podium mobile a été envisagé, et reste possible, pour permettre une disposition d’orchestre en fond de salle ou en développement latéral (accompagnant le mouvement ascensionnel des balcons…). L’objectif étant de ne pas désigner une seule configuration frontale, mais d’ouvrir à une disposition libre des musiciens, ce qui n’a pas manqué de se développer dès les premières représentations, comme un jeu musical contemporain dans l’espace.
Ainsi, cette salle n’est pas figée dans un seul fonctionnement, elle ouvre à l’expérimentation musicale et à une vraie jouissance d’un son naturel direct par lequel nous sommes plongés dans le son complet de l’orchestre ou du soliste. Cela est essentiellement dû au volume réduit et à son mode de traitement acoustique.
Il y a deux tendances dans la diffusion musicale contemporaine, offrir les plus grandes salles dans les plus grandes villes aux plus grands orchestres pour assurer une attractivité et une rentabilité de la représentation, ou bien développer des formats économiques plus restreints où l’émotion se tient au plus près de l’écoute.
Sans opposer ces deux approches, c’est cette deuxième voie qui est explorée au Salon de Musique de Repino.