Une résidence qui n’a de sociale que l’origine de ses résidents ? Par sa forme et ses qualités intrinsèques, il s’agit surtout d’un bâtiment pour personnes seules. C’est en ce sens que nous parle la réhabilitation du 50 / 52 Clisson à Paris par l’agence parisienne Séméio.* L’architecture, même quand on pense la faire pour les autres, ne parle jamais que de nous-mêmes. Visite.
Les habitants de la résidence sociale du 50 / 52 de la rue Clisson sauront-ils que les verres cinétiques qui offrent la lumière naturelle à l’escalier A sont l’œuvre de l’Atelier Bernard Pictet, collaborateur de Dior, Chanel, LVMH et autres prestigieux commanditaires partout dans le monde ?
Bernard Pictet et Aline Longatte, pour la conception des panneaux sérigraphiés Fundermax, ça change du foyer Sonacrota. Nul besoin de connaître son auteur pour reconnaître une œuvre et sans doute que les résidents remarqueront l’attention portée à leur logement par un architecte dont ils ignorent tout. Ils y verront peut-être un signe.
La plupart des voisins et les passants n’en sauront sans doute pas plus. A découvrir la réhabilitation de Séméio, au croisement de la rue Jeanne d’Arc et la rue Clisson, «à la jonction de deux visages du XIIIe arrondissement», difficile d’imaginer la fonction de l’ouvrage.
Un bâtiment rectiligne sur la rue Jeanne d’Arc, un bâtiment courbe sur la rue Clisson. Bien que fidèle à la composition originale du carrefour, la surélévation de Séméio donne un équilibre aux différentes échelles de l’environnement. Une entrée de belle facture privatise la résidence et relie ces deux bâtiments distincts.
La résidence est habitée par une population homogène, ici des Maliens, tous issus de l’émigration du travail des années 50. A partir d’un foyer initial de 134 chambres, le projet consistait donc à transformer, surélever et restructurer le bâtiment pour en faire une résidence de 183 studios individuels, avec salle de bains et kitchenette.
Considérant l’état du bâtiment avec lequel ils sont partis, l’exploit n’est pas loin pour les architectes de Séméio. Objectif atteint d’ailleurs pour les voisins qui furent nombreux à penser qu’il s’agissait d’une opération de promotion immobilière, ce qui évita peut-être des recours. Comme quoi, l’image d’un projet…
«Le bâtiment existant est en structure poteaux-poutres ce qui nous a permis de l’épaissir et le réaménager assez facilement. C’était le bon choix à l’époque, c’est toujours le bon choix car le bâtiment pourra muter dans le temps», explique Ivan Le Garrec. Le cloisonnement réalisé en éléments non porteurs permet de préserver le maximum de flexibilité au programme.
Le temps était un élément impératif de conception pour ce projet. En effet, le budget d’un tel ouvrage – 9,5M€ pour une surface de 5 150m² après travaux – est dimensionné dès la conception pour inscrire le bâtiment dans la durée, les options de maintenance idem. Il s’agit pour Coallia, maître d’ouvrage, et pour la ville de Paris, qui en assure le financement, de préserver et valoriser un patrimoine. Le surinvestissement (toutes proportions gardées) à l’origine du projet est donc à la mesure des problématiques de gestion ultérieures.
Il convient de fait pour le maître d’ouvrage, et donc pour l’architecte, d’anticiper l’élargissement de la population concernée. En effet, la population actuelle, issue des années 50, va peu à peu disparaître et le bâtiment devra alors s’adapter à de nouveaux besoins, des femmes seules, avec ou sans enfants, des enfants seuls, des familles, des ados en rupture de ban, des musiciens, etc. Ce n’est pas comme si le besoin allait disparaître.
S’il s’agit bien en l’occurrence d’une résidence sociale, Séméio avait donc beau jeu de miser sur la qualité, la solidité et la pérennité. Ce qui n’empêche pas l’inspiration. En témoignent les studios qui, s’ils déclinent la même typologie de base, sont variables dans leur volumétrie en fonction du bâtiment et de leur situation dans le bâtiment. Ils sont tous meublés avec soin, c’est spartiate mais appropriable. Les finitions et la qualité des matériaux dans les circulations n’ont rien à envier à n’importe quelle opération immobilière justement. Même les salles de bains préfabriquées sont «qualitatives». Chaque studio revient à 1 500€, tout compris. Lors de la visite de presse, l’architecte et le maître d’ouvrage n’étaient pas peu fiers, à juste titre.
Coallia, une association fondée par Stéphane Hessel en 1962, a depuis 1997 réhabilité 90% de son parc de foyers de travailleurs migrants. Il s’agit d’un maître d’ouvrage expérimenté donc avec lequel les architectes de Séméio ont travaillé en bonne intelligence. Chaque détail du bâtiment l’affirme et ce n’est pas Bernard Pictet qui me démentira.
Le rappel de l’architecte est salutaire : puisqu’il s’agit de fonds publics, il n’y a pas de raison que d’aucuns soient en résidence plus ou moins bien traités que d’autres. Il est permis de penser que les habitants du 50 / 52 de la rue Clisson s’en feront la remarque avec bonheur.
A visiter le bâtiment de Séméio, il ne faut pas un gros effort d’imagination pour rebaptiser l’ouvrage ‘résidence étudiants’ ou ‘résidence seniors’ ou ‘résidence jeunes travailleurs’ ou résidence quelque chose, ce d’autant que les bâtiments de ce type poussent partout en ce moment.
La demande croissante de cette typologie d’immeubles rappelle que la population vieillit certes mais, surtout, que de plus en plus de gens de toute sorte, de toute origine et de toute obédience vivent toujours plus seuls. Des immeubles entiers pour gens seuls, conçus selon le même principe que celui du logement d’urgence, sortent de terre. D’ailleurs, les architectes de ces résidences nous assurent qu’elles sont toutes réversibles, du senior à l’étudiant ou l’inverse selon les besoins démographiques.
De la résidence étudiants à la résidence séniors, boucle architecturale de l’expérience de vie au XXIe siècle ? Il n’y a pas d’autres solutions ?
Christophe Leray
* Séméio architecture est le nouveau nom de l’agence Daufresne, Le Garrec & associés, initialement créée par Marc Daufresne et Ivan Le Garrec. Ce nom marque l’arrivée de trois nouveaux associés : Carine Deschamps, Silvère Weiss et Paul Jubert. Séméio signifie «le signe» en grec et est la racine de tout le lexique de la sémiologie.