Fin juin 2020, à grand renfort de communication, nous voilà tous rassurés : le Covid n’aura pas eu la peau des futures carottes de Romainville (Seine-Saint-Denis), le chantier de serre verticale a repris ! D’ici quelques mois, alors que les humains seront tous déconfinés, elles pourront être confinées bien au chaud dans cette formidable trouvaille du genre humain…
Mon arrière-grand-père, maraîcher, en serait sûrement tout retourné… une serre verticale ! Pourquoi n’y avoir pas pensé plus tôt !
Dans l’imaginaire collectif, une serre est une construction légère et élancée tout de verre et d’acier, l’archétype de l’architecture fin XIXe siècle dont le Crystal Palace londonien en serait le joyau, l’aboutissement ultime…
Pour ce qui concerne l’élancement, avec ses 26 mètres de hauteur la serre verticale de Romainville se pose là, pour la légèreté en revanche il faudra repasser ! Hé oui, la terre pèse lourd ! Presque la même densité que le béton ! S’il faut donc l’élever au 7ième ciel, mieux vaut prévoir les structures en conséquence. D’autant que pour entretenir tout cela, chariots élévateurs et nacelles ciseaux sont prévus, le monte-charge s’impose, un vocabulaire plus proche de l’industrie lourde que de l’agriculture.
Pour faire tourner notre petit coin d’agriculture perché, point de structure légère en acier, du bon gros béton. Lorsque l’on connaît le coût environnemental de la production du béton, fusse-t-il bas carbone, mieux vaut que cette dépense soit justifiée. Mais faire de l’agriculture en pleine ville ne justifie-t-il pas en soi toutes les dépenses engagées ? Pour les politiques en tout cas, c’est une évidence…
A 16 tonnes par an de carottes « envisagées », le bâtiment va devoir cependant fonctionner durant de très nombreuses années pour équilibrer ne serait-ce que l’impact écologique de sa construction !
Ne peut-on pas légitimement s’interroger sur l’invention de cette géniale idée de serre verticale ?
Ne sommes-nous pas là en face d’un syndrome « vélib » qui sous couvert d’un affichage politique écologique réinvente une pratique ancestrale vertueuse pour la rendre désastreuse. En l’occurrence la pratique du vélo qui ne consomme que de l’énergie musculaire, en l’asservissant à un système ultra libéral qui veut que pour un vélo qui fonctionne il faut en produire deux, et pour que le système fonctionne il faut un ordinateur dans chaque station, des connexions haut débits, et des batteries de serveurs qui tournent « non-stop ». Bref, Voici l’invention du vélo qui nécessite une centrale nucléaire pour avancer en plus de l’énergie musculaire !
Dans le cas de la serre verticale, ce qui est surprenant est que, tout au long de la genèse – près de 10 ans – d’un projet développé avec un aréopage d’experts, de comités scientifiques et d’écologistes de tous poils, personne ne se soit dit à un moment, « cette solution est pire que le problème que l’on souhaite résoudre ! »
Car finalement quel est le problème : la distance entre les lieux de production vivrière et le centre de la capitale ? une production plus écologique ? une production plus massive ?
Selon les données connues du projet, nous sommes assurés que les cultures se feront sur un substrat naturel et issu du compostage fait sur place. Rien de nouveau par rapport au maraîchage traditionnel. Point de pesticide, dans une atmosphère contrôlée ; c’est sans doute préférable ! mais rien de nouveau par rapport à un maraîchage bio. La récupération des eaux de pluie ? Les maraîchers n’ont pas attendu les effets de mode pour s’en préoccuper. En clair, pas grand-chose de nouveau sous le soleil.
De fait, c’est même presque ouvertement annoncé : la serre est « low tech » pour pouvoir être exploitée sans recours à des formations d’ingénieur et employer de la main-d’œuvre peu qualifiée. Là encore rien de nouveau.
Alors qu’est-ce qu’apporte ce bâtiment ?
Une production ultra-locale, certes, mais à quel prix ! Au prix d’une construction extrêmement onéreuse en fait, 2 500€/m² c’est-à-dire presque le double du coût consenti par un promoteur pour construire des logements ! Passons évidement sur la construction d’un ouvrage dont le dimensionnement laisse peu de place à une hypothétique reconversion et encore moins à un éventuel démontage en fin d’exploitation…
Passons encore sur le fait – un détail – qu’il faut compter la construction d’un bâtiment de 2 000m² pour 1 000m² de culture ; Il en va des cultures comme des hommes, la recherche absolue de la densité est souvent pervertie par l’efficience des systèmes pour y parvenir ! Heureusement que les maraîchers « horizontaux » ont une densité de production plus élevée !
Pour finir, le projet s’inscrit dans un système économique dont la rentabilité n’est pas encore trouvée ! ce qui va nécessiter 400 000€/an de subventions par la communauté, soit un ratio de 25€ de subvention/kilo de légumes produits… les carottes ont intérêt à avoir du goût à ce prix-là ! Tout cela pour finalement éviter quelques trajets de camionnettes et, bien sûr, afficher l’engagement politico-écologique de la municipalité, ce qui, évidemment, n’a pas de prix !
Lorsqu’à la fin des années 90 la ville de New-York s’est rendu compte que son eau devenait de plus en plus polluée, elle s’est interrogée sur la façon de remédier à la situation. Deux choix s’offraient à elle : comprendre pourquoi l’eau se dégradait et agir pour y remédier ou mettre en place une usine de traitement des eaux pour assurer une qualité d’eau à ses résidents.
Le politique français aurait sans nul doute opté pour cette seconde hypothèse. En effet il suffisait de signer un gros contrat avec une multinationale de l’eau et quelques mois après inaugurer en grande pompe ce nouvel équipement permettant d’afficher très vite son action auprès de ses électeurs.
La mairie de New York a elle choisit la première hypothèse. Elle est allée rencontrer les agriculteurs du bassin-versant, a négocié avec eux pour stopper l’usage des pesticides en contrepartie de quoi la ville s’engageait à offrir un débouché à leur production. Ainsi s’est créé un cercle vertueux qui, en plus, n’a rien coûté au contribuable, contrairement à la construction et l’exploitation d’une usine de traitement qui aurait impacté le coût de la vie des New-yorkais pour des années.
Il y a là sûrement matière à méditer. Si au lieu de créer une serre verticale, les élus s’étaient rapprochés d’exploitants proches de la ville, près de 4 500 ha en Ile-de-France, pour organiser avec eux une distribution vertueuse, peut-être la mise en place d’un accord avec les mairies qui les hébergent pour les aider à ne pas céder à une éventuelle pression foncière et ainsi garantir la pérennité des installations, ou en les aidant à produire l’électricité nécessaire à l’alimentation de véhicules de livraison… bref, leur offrir un vrai partenariat. Peut-être aurions-nous alors pu avoir une véritable recherche écologique plutôt que la « bobocologie » politique habituelle, mais évidemment ce qui ne se voit pas dans la ville ne rapporte pas de voix…
L’exploitation de mon aïeul a disparu depuis bien des années sous des tonnes d’asphalte et de béton, à moins de deux kilomètres des tours de la Cathédrale d’Orléans. L’agriculture urbaine n’a pas résisté à la pression foncière bien longtemps mais au moins le démantèlement de ses serres a pu être vertueuse, de simple verre et d’acier, on peut imaginer qu’une nouvelle vie les a attendus, les terres nourricières amendées du limon de la Loire et qui ont nourri des générations d’Orléanais et de Parisiens sont, elles, en revanche à tout jamais perdues.
Dans cette démarche pernicieuse, l’Etat porte sa part de responsabilité. En corrélant ses dotations aux collectivités au nombre d’habitants de celles-ci, il les incite à grossir sans cesse. On peut imaginer que s’il y avait dans la répartition des dotations un coefficient lié au pourcentage d’artificialisation des sols par la commune ou de maintien d’activité vivrière sur la commune, nous n’aurions pas ce type de démarches qui consiste à bâtir sur des terres arables de qualité pour faire pousser des légumes sur des toits dans des substrats artificiels et dont les racines n’ont d’autre choix que d’aller lécher des étanchéités bitumées pour se nourrir. Ou, pire encore, en artificialisant des sols pour construire des bâtiments, pour faire pousser à l’intérieur des plantes dans des bacs de substrats aseptisés !
Pour autant, il ne s’agit pas de jeter le bébé avec l’eau du bain, si la construction d’une serre verticale en pleine Ile-de-France est une aberration, elle n’en demeure pas moins un prototype qui dans, certains cas, pourrait avoir une pertinence, dans des pays ou le sol manque, dont la qualité nutritionnelle n’est pas bonne, ou dont les conditions climatiques ne permettent pas une exploitation des terres…
Mais l’Ile-de-France n’a d’île que le nom et la France regorge de terres nourricières, si tant est que le politique prenne conscience de la valeur que ces terres représentent et qu’en fin de mandat il ait plus de fierté à présenter dans son bilan le nombre d’hectares de terre arable qu’il a contribué à préserver et valoriser, fussent-elles hors de sa commune, plutôt que les fausses bonnes idées écologiques qu’il a réussi à échafauder…
Stéphane Vedrenne
Architecte – Urbaniste
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