Quand Emmanuel Macron, président de la République, offre un entretien aux Français un 14 juillet, fête nationale, ce n’est pas pour ne rien dire, comme dirait Freud. Vulcain à la hauteur de l’évènement ? Bienvenue chez Uber France, maître d’ouvrage, entre autres, de l’Uber Architecture.
Chacun se souvient peut-être de l’intervention du président de la République lors du 14 juillet 2022. Interrogé sur ses accointances avec la société Uber dévoilées par Le Monde (11/07/2022) : « je défendais totalement cette ouverture du marché et je la défendrai demain », a-t-il répondu, avant d’ajouter : « Je n’ai pas un tempérament à être sous influence ». Parce que cette dernière précision est utile ? Qu’en dirait Freud ?
Un président libéral donc et par conséquent évidemment apôtre de la concurrence non faussée par les lobbies industriels et financiers.
Encore qu’apôtre ne soit pas ici le mot adéquat. En effet, lors du même entretien a-t-on appris qu’il fallait oublier Jupiter, bienvenue à Vulcain. « Doit-on encore parler de Jupiter ? », l’interroge gentiment une journaliste. Macron aurait pu simplement répondre à la question, pour paraphraser Michel Sardou, « ne m’appelez plus jamais Jupiter ». Mais non, fin de Jupiter, « plutôt Vulcain », dit-il. La journaliste n’a pas rebondi.
Vulcain donc, un dieu de la Forge, comme avant lui Héphaïstos à l’origine obscure, voire encore avant avec YHWH (celui dont on ne prononce pas le nom), le dieu unique d’un groupe dénommé les Qénites, des forgerons à la réussite florissante dans la Protohistoire des religions. YHWH devenu plus tard Yahvé, le dieu unique des Juifs puis dieu unique tout court des religions monothéistes.
Lors de son premier quinquennat, Jupiter n’était donc encore qu’un dieu parmi les autres ; une fois réélu, le voilà devenu dieu unique. Belle promotion interne. Comme quoi sont utiles aux bourgeois de province les études classiques latin-grec, même si Freud aurait en l’occurrence sans doute encore là-aussi beaucoup à dire. Sans parler d’Œdipe !
Vulcain, dieu de la forge et du feu donc, comme ces feux qui ont dévasté la Gironde, moins gironde soudain sur le bassin d’Arcachon. Et, lors de son déplacement sur place pour le Tour de France cycliste, que propose Vulcain, dont la foudre a le don d’embraser la planète de « méga-feux » ? « Plus de canadairs », dit-il avec l’air docte du type concerné.
Plus de Canadairs ? En voilà une idée originale qui n’est pas démagogique. Pourquoi pas plutôt une politique nationale et audacieuse d’entretien et de gestion des forêts pour éviter que de tels incendies ne se multiplient à l’avenir ? S’attaquer aux causes plutôt qu’aux conséquences, anticiper, c’est cela que les philosophes antiques nomment « politique ». A propos d’un cautère sur une jambe de bois, les mêmes parlent de charlatanisme. Parce qu’en réalité, le nombre d’agents de l’Office des forêts, odieux fonctionnaires, est en baisse constante, comme il se doit pour toute politique libérale bon teint parce qu’à moitié comprise. Made in France les canadairs au moins ?
Pourtant les Aborigènes d’Australie et les Indiens d’Amérique savaient eux gérer leurs forêts – des cathédrales s’extasiait Christophe Colomb – et étaient de vrais maîtres du feu ; ce ne doit donc pas être tellement compliqué d’imaginer une politique cohérente de prévention des feux de forêts… En tout cas, les forêts Uber de France ne seront d’aucun secours. Heureusement que la majorité de notre bois obligatoire dans la construction est importée…
Alors c’est vrai, en Gironde, Macron comédien hors pair – il a rencontré madame sur une scène de théâtre – s’est exprimé des trémolos dans la voix, tout comme il le fit lorsque fut dévastée la vallée de la Roya, tout comme lors d’une canicule l’autre, d’une inondation l’autre, d’un orage meurtrier l’autre, d’un variant l’autre. Déjà lors de la COP 21 à Paris qui commence pourtant à dater, il était dans le cortège des gens souriants pour lesquels l’avenir s’annonçait radieux. Deux ans ministre de l’Economie – le coût du dérèglement climatique, il ne savait pas – et cinq de présidence du pays plus tard, il tombe de l’Olympe devant l’étendue de la catastrophe ? Sans doute ce pourquoi aujourd’hui, ses trémolos, on a « du mal à les entendre ».
« Il faut réduire les besoins », découvre Vulcain du fond de son atelier parisien en surchauffe en faisant la leçon et la morale aux Français. Réduire les besoins ? Ha, Eureka, le gouvernement interdit la climatisation portes ouvertes et réduit la publicité lumineuse indique Le Monde (24/07/22). Il est vrai que laisser les portes ouvertes, « c’est 20 % de consommation en plus et (…) c’est absurde », a expliqué avec componction la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher. Il était temps d’y penser et, ouf, nous voilà déjà un peu sauvés.
Ce n’est d’ailleurs pas tout. « Je vais demander dès à présent aux administrations publiques et à toutes les entreprises qui le peuvent que l’on se mette en situation de consommer moins. On va construire un plan et on va essayer de faire attention à l’éclairage le soir. On va faire un plan de sobriété et de délestage dès cet été », a encore annoncé Macron, expliquant : « on doit rentrer collectivement dans une logique de sobriété ». Monsieur le Président, plus personne ne parle de sobriété depuis Bison futé, il est question aujourd’hui de frugalité, relisez Philippe Madec.
Et puis, c’est qui On ? Pas grave parce qu’« on va faire un plan ». Et, tremblez canicules, « on va essayer de faire attention à l’éclairage ». Essayer ? Parce que ce n’est pas sûr ? Que dirait Freud de ce vœu pieux d’un dieu unique impuissant ? Allez, une commission citoyenne « sans filtre » et c’est parti « dès à présent » !
J’insiste, deux ans ministre de l’Economie, cinq ans Président et, concernant le dérèglement climatique, le plan reste à « construire » ? Par On ? Certes trop d’anticipation tue l’anticipation. D’ailleurs, une fois le plan « construit », les architectes le savent, il s’agit encore de « construire » l’ouvrage, ce qui est en soi une tout autre affaire. Décidément un visionnaire cet homme ! Il est vrai que Vulcain était entouré de Cyclopes bienveillants à son égard dont l’entretien lui coûtait des bonbons de dingue. Ils n’avaient qu’un œil certes mais l’œil droit assurément, et le premier d’entre eux portait un nom américain. Il demeure, cela n’aurait été pas plus mal si ce dieu brillant comme une planète Gemini avait eu un plan AVANT d’être élu, la première fois ; cinq ans plus tard, peut-être n’en serions-nous pas là.
Interrogé ensuite sur une taxe sur les « superprofits » des profiteurs de guerre et de la crise Covid lors de cet entretien durant la fête nationale, Macron, martial, a affirmé : « oui, il y aura une contribution mais elle ne sera pas dans la démagogie ». Vous imaginez l’inverse ? Freud, encore lui, verrait sans doute de l’inconfort dans cette négation alambiquée. De fait, la question fut évacuée en dix secondes chrono, passez votre chemin, il n’y a rien à voir. Les « superprofiteurs » devaient trembler…
En effet, quelques jours plus tard, l’Assemblée nationale, portée par Renaissance, du nouveau nom de la Vulcanie, votait le rejet de la taxe sur les « superprofits » (à 18 voix près). Les dirigeants de l’Espagne, de la Grande-Bretagne et de l’Italie ayant, eux, adopté des taxes exceptionnelles sur les « superprofits », sont évidemment, selon notre président, « des démagos ». Ils apprécieront. Pourtant, plus libéral que l’Angleterre, il faut se lever de bonne heure. Et puis, s’attaquer à la publicité et au pétrole, pour Macron, c’est renier ses classiques en anglais des écoles de commerce. Renaissance, et c’est parti comme pour un ‘new born’ au Texas ! La foi des conquérants sans doute…
Foin de défaitisme, les Français sont résilients et adeptes des lois de bon sens. Par exemple, une loi qui ne coûterait pas cher serait d’autoriser à nouveau les citadins à faire sécher leur linge dehors. Non seulement, les draps et chemises éclatants feront de l’ombre – îlots de fraîcheur – et sécheront vite en temps de canicule, mais cette disposition permet d’interdire, du jour au lendemain, la vente de sèche-linge aux particuliers, surtout les derniers modèles, les intelligents bourrés d’électronique, importés d’Asie ou de quelque part loin. Ceux-là seront réservés aux professionnels et encore, sur autorisation. S’ils ont une belle et grande terrasse, c’est non ! Il n’y a pas de petites économies parait-il.
Il suffit de considérer en ces temps confinés, parce qu’il fait trop chaud, trop froid ou trop d’inquiétude, toute la place que prend un séchoir, même manuel, dans le petit appartement d’une famille de quatre. Faire sécher son linge dehors aura aussi le mérite, non des moindres, de recréer du lien social, le linge à sécher pas seulement en famille. Des vies de femmes et d’enfants seront sauvées. Les promoteurs eux-mêmes n’y verront pas d’inconvénient et les architectes sauront organiser le linge pour lui rendre ses aspects joyeux et lumineux avec une efficacité maximale pour rafraîchir les façades.
Nul en revanche ne demandera l’interdiction des machines à laver, avec la pilule sans doute l’invention du XXe siècle la plus utile aux femmes.
D’ailleurs si Agnès Pannier- Runacher, la ministre de la Transition énergétique qui n’a jamais lavé son linge à la main cherche des idées, à défaut de missionner McKinsey pour des Uber Publicité expliquant aux Français qu’il faut aérer les chambres au moins une fois par jour, voici une ou deux autres propositions gratuites.
A commencer par un vélo d’appartement, branché au secteur, obligatoire dans chaque logement. En effet, nous le savons désormais, les coupures de courant seront bientôt inévitables et choses communes, comme à Caracas, dans le Venezuela du grand Satan Chavez. Alors, pour ne pas avoir à choisir entre recharger son téléphone ou maintenir le frigidaire à température, autant pédaler. Un vélo de dernière génération ultra-efficace devrait fournir assez d’électricité aux membres d’une famille qui pédaleraient, quand nécessaire, à tour de rôle pour maintenir la lumière.
En effet, si un soldat allemand bon de la pédale pouvait à lui seul éclairer en 1943 tout un bunker de quarante personnes perdu au milieu de nulle part face à l’Atlantique, un seul vélo high-tech, et pourquoi pas made in France, devrait pouvoir illuminer un logement et recharger le téléphone et garantir l’accès à Internet et aux boissons fraîches. Cela existe déjà, dans nombre de gares en France ; pédaler pour de l’énergie, personne ne rouspète ! Voilà une nouvelle norme dans le bâtiment qui aurait l’avantage, pour le prix d’un sèche-linge, de participer à la bonne forme, donc la bonne santé globale, de la population.
Pour autant, dans son palais de l’Elysée, Macron sait bien qu’il n’y a déjà plus de belle journée à Paris : soit il pleut, soit il fait beau et c’est alors une alerte à la pollution. Pas de « quoi qu’il en coûte » pour AirParif et ses dizaines de milliers de morts annuels. A cela une bonne raison, il nous faudra bientôt payer pour l’air que l’on respire, l’oxygène livré à domicile : l’Uber respiration en somme, la logique de la croissance libérale.
Et dire qu’il y a aujourd’hui, à l’heure où j’écris ces lignes, 86 départements en Alerte sécheresse – c’est-à-dire toute la France – avec des restrictions pour l’usage de l’eau et bientôt de nouvelles lois d’exception dont Vulcain ex-Jupiter et Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, sont coutumiers. Comme le soulignait en son temps Nicolas Sarkozy, ex-président également agité qui partage avec Macron une vison oblique de l’intérêt de la nation et des Français : « l’écologie, ça commence à bien faire ». Et Yahvé d’annoncer sans rougir 14 EPR qui, grâce à lui, n’auront pas besoin d’eau en quantité phénoménale pour refroidir. Les rivières et fleuves français transformés en laboratoire de la diversité pour poissons exotiques et franchis à pied sec comme autant de mers rouges asséchées, c’est un projet écolo et innovant sans doute. Un président visionnaire assurément, comme Moïse !
De fait, par exemple, l’agriculture et l’élevage intensifs, chers à ces deux présidents de même obédience libérale, sont grands consommateurs de flotte et grands pollueurs. Mais à ce sujet, apparemment, Vulcain n’essaye même pas d’avoir un plan. Ce n’est quand même pas de sa faute si par exemple, depuis sept ans qu’il est au pouvoir, la Bretagne, déjà noyée sous les algues pestilentielles – voire criminelles – commence à manquer d’eau potable et brûle comme jamais tandis que prospèrent les fermes à 10 000 porcs et 500 000 poulets nourris au maïs grand consommateur d’eau. Mais bon, les porcelets mâles ne sont plus castrés à vif, c’est déjà ça, non ?
Heureusement, face aux sécheresses parfaitement inattendues, le gouvernement surpris dans son sommeil prend des mesures radicales et interdit de remplir sa piscine et d’arroser son potager. Interdire tout court les piscines aux particuliers – après tout, l’homme a vécu sans pendant des milliers d’années – pourrait s’avérer pourtant beaucoup plus judicieux et les piscines publiques seraient sûrement ainsi mieux financées. Si chaque écolo a pour ses enfants un professeur de musique privé, qui a besoin de conservatoire ?
Mais interdire d’arroser son potager ? Pour continuer à acheter au supermarché les fruits et légumes de la grande distribution ? A tout prendre, tant qu’il y est, Vulcain devrait carrément interdire les potagers et la boucle de l’Uber alimentation serait enfin bouclée, la FNSEA plus ravie que jamais. Chroniques propose plutôt de transformer toutes les piscines des particuliers en potagers, ce qui permettrait également de participer à la bonne forme, donc la bonne santé globale, de la population.
Encore que question santé, il y a sans doute lieu de s’inquiéter des projets libéraux réitérés du président qui n’aime rien moins qu’emmerder ces Gaulois réfractaires qui n’ont foi ni en Jupiter ni en Vulcain. Chacun se souvient qu’avant la pandémie de Covid, le personnel hospitalier était déjà en grève mais la logique du gouvernement était cependant à l’époque de réduire le nombre de lits coûte que coûte. Les architectes le savent bien.
Jusqu’à ce que le covid crée la panique et qu’il faille en urgence rajouter des lits aux projets de Grand Hôpital Nord à Saint-Ouen (Hauts-de-Seine) comme à celui de Nantes (Loire-Atlantique), notamment. Il fallait voir le soudain branle-bas de combat du gouvernement pour ajouter des lits tandis que ça chauffait dans les agences concernées par le domaine hospitalier.
Le temps passe vite ; la panique Covid ayant disparu par magie, comme les urgences aujourd’hui fermées ici et là, il y a fort à parier que la réduction du nombre de lits sera de nouveau subrepticement à l’œuvre, ne serait-ce que parce qu’il n’y a plus personne pour vouloir travailler à l’hôpital public, l’uberisation de la santé des Français quasiment achevée.
Morale de l’histoire ? Pour les architectes, maintenant tout s’éclaire : dans un bureau de Bercy, voire à l’Elysée même, la loi ELAN a été conçue par les consultants de McKinsey – premier des Cyclopes donc – et les lobbyistes ad hoc. Pas étonnant que la grande majorité de la production architecturale française soit désormais de l’Uber architecture, livrée comme un repas absolument pas bio malgré l’étiquette mais servi tiède par des livreurs à vélo payés au lance-pierre – écolo le vélo.
A l’heure des effets de seuil imprévisibles, cet été 2022 doit être pour tous les acteurs de la ville l’occasion de prendre une profonde inspiration, au sens propre, car le nouveau monde qui se présente, dès la rentrée, va demander pour s’y adapter des ressources d’imagination et la capacité de s’inscrire dans le temps long. Cela, les architectes savent le faire (juste au cas où On a besoin d’un plan).
Bel été à tous.
Christophe Leray