
Une nouvelle couronne a été placée sur une tour de bureaux cylindrique brutaliste. Non pas à Paris XII* mais au cœur de Londres, sur un bâtiment construit à l’origine par l’équipe d’architectes-promoteurs britanniques la plus controversée des années 1960. Chroniques d’Outre-Manche a visité Space House.
Lorsque les Soviétiques et les Américains étaient en compétition pour la conquête de l’espace dans les années 1960, un promoteur londonien appelé Harry Hyams aimait donner à ses immeubles de bureaux des noms de l’ère spatiale comme Telstar House, Orbit House, Planet House, Astronaut House. Son architecte préféré était Richard « Colonel » Seifert, passé maître dans l’art de manipuler les règles d’urbanisme pour tirer le meilleur parti des sites que Hyams avait agglomérés. Bien qu’ils soient désormais pour la plupart perdus ou submergés par la frénésie actuelle de gratte-ciel à Londres, ceux de Seifert ont poussé partout dans la capitale britannique et ils n’étaient pas des boîtes rectilignes standards, la forme par défaut privilégiée par les architectes d’après-guerre. Le New York Times a déclaré que le « style pop art » de Seifert était en train de ruiner Londres.
Space House est le petit frère de Centre Point, peut-être le gratte-ciel le plus élégant d’Europe du XXe siècle. Cette tour ultramince de 118 m de haut, achevée en 1965, est recouverte d’une façade modulaire en béton (dont nous parlerons plus tard). L’indignation du public s’est accrue à mesure que Hyams a accumulé de la valeur en capital en laissant simplement l’immeuble vide pendant 14 ans. Il est revenu à un nom de l’ère spatiale pour un projet voisin : la Space House de 55 m de haut. Elle a fait l’objet d’une refonte complète – livrée en 2024 – par l’agence Squire & Partners, qui a travaillé avec Pell Frischmann, les ingénieurs structure d’origine de ces deux icônes répertoriées de Seifert que Tim Gledstone, associé principal chez Squire, compare aux R2-D2 et C-3PO de Star Wars.
Avec le jeu d’angles, de polygones pavés et de formes élémentaires de Space House, « nous voulions célébrer la géométrie du bâtiment », explique Tim Gledstone, mais le projet du développeur Seaforth accomplit bien plus. Au-delà de la création d’un espace de travail du XXIe siècle, de la structure aux éléments intérieurs jusqu’au mobilier groovy, l’architecte joue avec brio de ses racines plongeant dans les années 1960. De l’extérieur, Space House a l’air aussi frais et avant-gardiste que lors de sa construction en 1966, avec maintenant un peu plus de hauteur et une touche de verdure et des bancs dans les espaces publics (par Gustafson Porter + Bowman, qui ont aménagé le projet primé ONe Site Tour Eiffel).

Space House est si chic qu’elle est même devenue une star de la Fashion Week de Londres, accueillant le défilé de mode de la collection printemps-été 2025 de la célèbre créatrice Roksanda. Tim Gledstone précise que « la mode est comme l’architecture, on utilise ce que l’on a ». Les coupes et les formes des créations colorées de Roksanda sont certainement influencées par l’architecture, qu’elle a initialement étudiée à Belgrade. Bien sûr qu’elle saurait reconnaître un bâtiment extraordinaire comme Space House !
L’ouvrage comprend deux volumes. Un bloc rectangulaire de huit étages aux longues façades lisses parallèles à Kingsway, une avenue bordée d’arbres, est entouré de solides façades perforées de bandes verticales dans un motif abstrait. Il est relié via un pont à deux étages à la tour tambour emblématique de 39,4 m de diamètre et 16 étages, juste derrière lui. Pour ce qui concerne Centre Point, il y a débat quant à savoir si la conception était davantage celle de Seifert ou de son principal architecte George Marsh. Toujours est-il qu’en 1961, c’est bien Seifert qui a proposé les éléments de façade en béton armé en forme de T. Ils sont porteurs, emboîtables, à profil angulaire et créent l’effet hypnotique de la façade en treillis de la tour.
La façade cylindrique de Space House y ressemble mais le béton et les éléments en granulats de marbre sont cruciformes. Tous les éléments originaux ont été réutilisés, même si certains ont dû être réparés. Space House soulève son tambour du sol avec d’épais pilotis angulaires (colonnes) qui se ramifient comme une abstraction moderniste d’un arbre.

La première chose que vous rencontrez à la réception de Space House est la nouvelle banque d’accueil en béton signée Squire qui, comme les murs derrière elle, est nervuré verticalement. La réceptionniste dispose d’une platine vinyle et d’une sélection de disques pour la musique de fond du salon. « Squire conçoit pour tous les sens et célèbre ici la beauté analogique du vinyle », souligne Gledstone. Avec des sols en terrazzo et des boiseries nervurées, le salon de réception, meublé d’un mobilier de style années ‘60, s’étend autour d’un arc baigné de lumière grâce aux vitrages toute hauteur.
De l’autre côté du salon de réception, un restaurant public est nommé Old Filling Station, en mémoire d’une station-service qui était nichée sous un auvent original en porte-à-faux et en forme d’éventail. Trois rampes menaient au parking souterrain, il n’y en a désormais plus qu’une pour les cyclistes. Elle mène à un parc à vélos souterrain d’une capacité de 550 places et doté de douches et vestiaires. Ces espaces suggèrent des loges de théâtre avec des tabourets orange vif de style années ‘60, sous une banquette de maquillage à surface en terrazzo et des miroirs oblongs. Ce n’est pas tout ce qu’il y a sous Space House. Squire a aménagé un espace événementiel à double hauteur en découpant le sous-sol sur deux niveaux ; d’une surface de 1 530 m², il peut accueillir un millier de personnes.

À l’étage, les 21 000 m² de bureaux d’origine ont été agrandis de plus de 10 %. Les rénovations ont tendance à commencer par la suppression des ajouts accumulés au fil des décennies, libérant ainsi de l’espace. Les étages ouverts de Space House forment désormais des anneaux complets autour de la tour et s’étendent à travers le bloc Kingsway. Sur le plan structurel, un grand changement opéré par Squire concerne le noyau du tambour, qui présentait un vide central en forme de losange pour la ventilation transversale, une cage « semblable à une étoile de la mort », relève Gledstone (clairement un fan de Star Wars). Cela suffit cependant pour offrir plus d’espace pour les nouveaux ascenseurs, lesquels sont étonnamment recouverts de béton nervuré de 18 mm d’épaisseur.
Le passage des ascenseurs au 12ème étage est bordé de photos, d’un côté des clichés contemporains, de l’autre des images des années ‘60 – Jimi Hendrix, Buzz Aldrin sur la lune, une scène de bureau stéréotypée où une jeune femme est assise en attente avec un bloc-notes pendant qu’un homme se concentre sur un document… Au-delà se trouve la suite marketing de Space House, un autre salon en arc où rétro et contemporain se fondent harmonieusement : c’est comme un espace rêvé de coworking. Comme ailleurs dans la tour, les écoinçons situés sous les fenêtres ont été remplacés par du verre incrusté de treillis métallique, apportant la lumière jusqu’au niveau du sol. Un système de plafonds à poutres froides fonctionne dans des coffres exposés comme les rayons rayonnants d’une roue de vélo – l’une des caractéristiques de Space House qui a contribué à atteindre les objectifs du Défi climatique 2030 du RIBA en matière d’énergie opérationnelle. (L’objectif carbone intégré du RIBA pour 2030 est également atteint grâce au réemploi des matériaux).

Aux extrémités du rez-de-chaussée du bloc Kingsway se trouvent deux chefs-d’œuvre du design moderniste : des escaliers Seifert autonomes avec des rampes en bois, des marches en terrazzo et des côtés en mosaïque. Mais un seul est d’origine Seifert, l’autre est une fidèle reconstitution de Squire, ses rampes en chêne traitées à l’huile Osmo. Il en va de même pour un autre nouvel escalier rétro indépendant au 16ème étage de la tour, qui monte jusqu’à l’étage supplémentaire que Squire a ajouté, remplaçant l’équipement de service sur le toit. La réingénierie du bâtiment signifiait que « nous pouvions cacher toute l’usine », explique Gledstone, et donner à la tour une « silhouette épurée ».

Le nouvel étage abrite en retrait un espace événementiel circulaire vitré, un bar/salon privé entouré d’une terrasse au bord du tambour. La hauteur du toit atteint ainsi 59,5 m. Gledstone suggère que « c’était le rêve de Seifert », et certainement Seifert voulait une tour plus haute – mais de quelle hauteur ? Peut-être qu’avec ses façades porteuses en béton, Space house aurait pu compter autant d’étages – 34 – que Centre Point… Quoi qu’il en soit, ayant été le siège de l’Autorité de l’aviation civile et de British Aerospace, Space House avait des aspirations élevées. Désormais, la nouvelle terrasse emmène ses visiteurs vers le ciel, elle est plus haute que les cadrans de l’horloge de Big Ben mais suffisamment proche des toits et des rues environnantes pour n’en être pas détachées mais, au contraire, intimement proches. Au-delà, les horizons de Londres sont à couper le souffle.
En 2017, Centre Point a été restauré et transformé en appartements par le designer Conran et l’architecte Rick Mather pour un promoteur nommé Almacantar. Space House a évité de peu la tendance à réutiliser des bureaux modernistes pour le marché résidentiel de luxe, comme cela s’est produit en 2008 avec une autre tour cylindrique emblématique, la Rotonde de 81 m de haut à Birmingham. Plus récemment, si la fin de l’immobilier de bureaux a été proclamée lors de la pandémie de Covid, en 2025 la demande pour des espaces tertiaires de haute qualité est de retour à Londres. Les tours de bureaux à l’échelle de Manhattan qui fleurissent dans le quartier financier, The City, éclipsent la plus haute que Seifert ait jamais édifiée, la Tower 42, haute de 183 m.

Aujourd’hui, nous savons qu’il est préférable pour la planète de rénover les bâtiments existants, même les boîtes banales héritées du modernisme. Cela dit, Space House n’a jamais été banale et sa ré-imagination par Squire est allée plus loin qu’une simple restauration puisqu’elle a rendu Space House vraiment « groovy ».
Herbert Wright
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*En référence à l’article À Paris, Tour Racine couronnée par Maud Caubet