Dans le marasme ambiant, la moindre réussite architecturale prend par effet de contraste un reflet particulier. Ainsi en est-il du centre-bus de Lagny, dans le XXe arrondissement de Paris, conçu par Brigitte Métra et officiellement inauguré le 7 mars 2016. Si les huiles invitées se sont montrées dithyrambiques, y compris Valérie Pécresse dont on ne savait qu’elle avait un goût quelconque pour l’architecture contemporaine*, c’est à l’audacieuse stratégie d’un formidable maître d’ouvrage qu’il faut en premier rendre grâce en la personne de Rémi Feredj, directeur du département des espaces et du patrimoine de la RATP.
C’est en effet lui qui, depuis plus de 20 ans maintenant, mène une politique proactive de valorisation immobilière en «inventant des fonciers». Il y parvient en ‘viabilisant’, en quelque sorte, des «friches en volume», c’est-à-dire l’espace au-dessus des bâtiments et des ateliers/garages/parkings existants, lesquels ont parfois plus de 100 ans et datent de l’âge de l’hippomobile, propriété du groupe RATP. Dit autrement, faute de terrain, Rémi Feredj crée des «superpositions fonctionnelles» qui lui permettent de financer en propre ses installations neuves et/ou rénovées tout en ouvrant sur la ville, au travers de programmes mixtes, d’anciens sites industriels fermés.
De fait, ces «opérations d’aménagement verticales» deviennent ainsi, à l’occasion, de véritables morceaux de ville ; c’est le cas du centre-bus de Lagny. Cette solution programmatique permet à la RATP de maintenir ses ateliers au plus près des besoins tout en pérennisant l’emploi en centre-ville, le tout accompagné d’un programme immobilier de logement, social ou non, cohérent avec la volonté de maintenir le domicile des employés, qui travaillent par nature en heures décalées, près des lieux d’emploi. Les montages financiers et juridiques sont complexes, parfois périlleux, mais d’évidence pas impossible. La preuve, Rémi Feredj y parvient avec, en plus, une volonté de qualité architecturale affirmée : chaque opération fait d’ailleurs l’objet d’un concours rigoureux (se souvenir qu’au début des années 1990, les concours de conception architecturale étaient quasiment réservés à la commande publique).
Ce projet de centre-bus de Lagny est pourtant atypique à plusieurs titres, notamment par son ampleur – à l’échelle d’un îlot au cœur d’un quartier résidentiel et doté d’un budget de 140M€ – et par la complexité du programme. En effet, il s’agissait d’une part d’accroître de 60% la capacité de stationnement et de maintenance du centre-bus et de construire en surélévation plus de 30 000m² de bureaux, une crèche et l’extension d’un collège. Le défi architectural était doublé du défi d’une organisation cohérente des différentes maîtrises d’ouvrage, la RATP bien sûr, mais aussi Icade pour les bureaux et la Ville de Paris pour les équipements publics (crèche et collège).
Au final, force est de constater que le projet de Brigitte Métra (avec ARTEO architectes associés pour la crèche et le collège), répond parfaitement aux enjeux. Après avoir creusé une immense tranchée à 30 mètres de profondeur, l’architecte a dessiné pour la RATP une «cathédrale industrielle» semi-enterrée en béton brut sur trois niveaux (5,5m de hauteur sous plafond), les ateliers de maintenance disposant pourtant de lumière naturelle grâce aux puits de lumières inscrits dans le vaste jardin de 2 800m² posé en cœur d’îlot. Au-dessus et autour du jardin, 2.400m² de bureaux réservés à la RATP et les 30.000m² achetés par le ministère de l’intérieur. Le projet sera enfin achevé avec la livraison en 2017 de la crèche au sommet et celle de l’extension du collège. Les vues sur le jardin sont partagées par tous les usagers.
A l’extérieur, si les règles du PLU ont sculpté la masse construite, les lignes de fuite cinétiques des façades aux couleurs évolutives soulignent l’insertion urbaine, tout en donnant une cohérence à l’ensemble, loin des habituelles distinctions surlignées des éléments d’un programme mixte. «Tel un rocher fissuré, des failles brutes et irrégulières aménagent des percées visuelles dans le prolongement des rues existantes, rythment le bâtiment à l’échelle du tissu environnant, et dévoilent le cœur d’îlot végétal», explique l’architecte. Le long des 160 m de la façade rue des Pyrénées, une fresque à hauteur du piéton évoque la mémoire industrielle du site et protège l’atelier des regards tout en y laissant pénétrer la lumière. Bref, un bâtiment réussi sur le fond, c’est le cas de le dire, et la forme.
«Pour moi un bon maître d’ouvrage est celui qui fait un bon programme», nous expliquait déjà Rémi Feredj en 2008, précisant par ailleurs que «chez [lui], personne ne tient le crayon des architectes à leur place ou n’impose de choix de couleurs, de matériaux, etc.» Il suffit pour le constater encore de découvrir les autres projets en cours : la reconstruction d’un atelier de maintenance situé à Boulogne-Billancourt (92) accompagné de la création de 78 logements étudiants et jeunes actifs, projets confiés à deux agences ; dans le XIVe arrondissement à Paris, un autre centre-bus agrandi et 650 logements, un projet sur deux hectares confié à trois agences ; dans le XVe, pour deux autres agences encore l’intégration d’un atelier de maintenance et 360 logements.
Démonstration est donc faite qu’un maître d’ouvrage institutionnel associé à une maîtrise d’ouvrage privée et une maîtrise d’ouvrage publique peuvent avec un architecte s’emparer à bon escient des défis urbains laissés en déshérence par la seule commande publique.
D’ailleurs, aussi loin que Rémi Feredj est concerné, il n’est pas disposé à s’arrêter là. «Nous gardons désormais nos espaces en centre-ville, les agrandissons, et valorisons les sur-sols. Les infrastructures ont besoin d’espace et en 20 ans la demande en transports publics s’est accrue. Qu’en sera-t-il dans 50 ans ? En conservant ces espaces, nous ménageons leur valeur d’usage pour le service public de demain», explique-t-il.**
Anticipant sur le long terme, lui-même questionne son propre modèle. «Ces opérations mixtes en superposition de fonctions, techniquement beaucoup plus complexes, ne vont-elles pas figer la forme urbaine durablement en rendant délicate la reconversion des sites à terme ?», s’interroge Rémi Feredj. Bonne question. Sans doute que sous son égide (sa férule ?) des architectes devront bientôt à leur tour y réfléchir.
Christophe Leray
*Voir à ce sujet notre article Martine et le club des «maires reconstructeurs»
**Voir l’excellente interview de Remi Feredj paru sur le blog de Carlos Moreno
Lire également notre article : Une extension d’atelier «pêchue» pour la RATP à Paris