Dubois l’architecte sème la panique à Rio de Janeiro. Ethel Hazel, sa thérapeute, sait qu’il signe ses hautes et basses œuvres. Aïda découvre l’architecture.
Psychanalyse de l’architecte : les personnages à l’œuvre
Relire le prologue de la saison 7 (et le résumé des saisons précédentes)
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« Ce n’est pas par leur architecture mais plutôt par la puissance de leur pensée abstraite que les nations devraient essayer de se perpétuer dans la mémoire des hommes ».
Henry David Thoreau
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Samedi, 5h00 (heure locale) – Rio de Janeiro, Brésil
Après leur passage au Jornal Nacional, le journal télévisé du soir sur la télévision O Globo, Dubois et Gloria sont instantanément devenus des stars, un quart d’heure de célébrité dont visiblement ils se seraient bien passés. Traqués désormais par la presse, ils se sont refusés jusque-là à répondre aux questions des journalistes. Dans les kiosques à journaux, la presse sérieuse s’interroge gravement : « Y a-t-il un tueur en série français à Rio ? », titre en Une O Globo ; une manchette de la Folha do São Paulo indique « Affaire Dubois : quels sont les faits reprochés à l’architecte ? ».
Surtout, les sites des magazines à sensation et les réseaux sociaux se sont enflammés à coups de manchettes insolentes : « Dubois l’architecte, un assassin parmi nous ! » sur le site des Notícias sensacionais ; « Alerte aux blondes, elles sont les cibles de Dubois », sur le site du Playboy brésilien. « Dubois est-il un vampire ? Nos révélations sur ses étranges rituels », en Une du quotidien Notícias do mundo ; « Pourquoi un émigré français est-il autorisé à tuer nos Brésiliennes ? » sur le site de Bnews. Même Capricho, un magazine pour adolescents s’est senti tenu de parler de l’affaire avec un article titré « Dubois l’architecte : qu’est-ce qu’un tueur en série ? ».
Plus étonnant, le site du magazine Design do Brasil a publié un reportage titré « Gloria Da Silva : l’architecte complice de Dubois ». La journaliste, n’ayant rien de plus que ce qu’annonce la presse, a présenté une série des réalisations de Gloria da Silva, lesquelles n’avaient soudain plus l’heur de plaire aux critiques à lire les commentaires fielleux de l’auteure.
Dans les pages locales du Diário Catarinense (« Quotidien de Santa Catarina »), un entrefilet signé Bianca Bertoldi et titré : O arquiteto Dubo é um serial killer ? As primeiras dúvidas… (L’architecte Dubois un tueur en série ? Les premiers doutes…)
URGENTE: Enquanto sopra um vento de pânico sobre o Rio com a presença dos arquitetos Dubois e Glória da Silva na cidade, podemos manifestar dúvidas iniciais quanto à responsabilidade por todos os assassinatos atribuídos a Dubois pela imprensa sensacionalista. Com efeito, sabemos agora de fonte fidedigna que não assassinou Isabella da Rocinha nas Piscinas Naturais do Cachadaço, embora a sua presença tenha sido comprovada no dia do crime. Na verdade, Isabella é vítima de um feminicídio banal, se assim podemos escrever. O marido foi encontrado e confessou. A investigação sobre Dubois merece, portanto, cautela, mesmo que a assistência de um policial francês à polícia brasileira permaneça inexplicável neste momento.
(Continua)
URGENT : Alors qu’un vent de panique souffle sur Rio avec la présence des architectes Dubois et Gloria da Silva en ville, nous sommes en mesure d’exprimer de premiers doutes quant à la responsabilité de tous les meurtres qu’impute à Dubois la presse à sensation. En effet, nous savons désormais de source sûre qu’il n’a pas assassiné Isabella da Rocinha à Piscinas naturais do Cachadaço, bien que sa présence soit avérée le jour du crime. En réalité, Isabella est victime d’un banal féminicide, s’il est permis de l’écrire ainsi. Le mari a été retrouvé et a avoué. L’enquête sur Dubois mérite donc de la circonspection même si l’assistance d’une policière française à la police brésilienne demeure à cette heure encore inexplicable.
(À suivre)
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Samedi 15h (heure de Paris), dans le bureau du chef
– Merci Nut d’être venu, je sais que c’est samedi.
Le chef est dans sa position habituelle, du haut de son bureau dans le TGI, il regarde au-delà de la banlieue, vers sa chère Normandie et apparemment, se dit Dr. Nut, ce n’est pas encore ce week-end qu’il ira y rejoindre madame et les enfants.
– De rien. Comment vont Madame et les enfants ?
– Ils vont bien. Ils sont en Normandie…
Un ange passe…
– Bon, dit le chef, venons-en aux faits. Vous savez pourquoi je vous convoque ?
– Dubois j’imagine.
– Dubois évidemment. C’est la pagaille au Brésil. Au fait, comment êtes-vous arrivé si vite ?
– J’étais à mon bureau, j’ai pris l’ascenseur.
– Vous étiez au bureau, un samedi ? On ne fera jamais de vous un bon fonctionnaire Dr. Nut.
– Je sais mais c’est la pagaille au Brésil.
– Oui, et Dubois qui passe à la télé, avec… comment s’appelle-t-elle déjà ? Isabella quelque chose…
– Gloria, Gloria da Silva.
– Ah oui, Gloria. La presse en est devenue dingue. C’est la panique, Dubois l’architecte, un Français, serait un tueur en série ! La télé, les magazines, les gazettes à scandales, tout le monde en fait des choux gras et en rajoute. J’ai même arrêté de lire toutes les traductions d’articles que m’envoie l’ambassade. Le ministre m’a appelé pour en savoir plus. Je lui ai dit ce que vous avez écrit dans votre rapport reçu hier soir – c’est pourquoi je vous croyais aujourd’hui à la maison… (« à la maison » ? il est troublé le chef se dit Dr. Nut) – mais en y repensant, je voulais revoir les faits avec vous parce que si ça continue, le ministre il va me rappeler ! Bref, vous êtes certain, absolument certain – y compris Aïda sur place et son partner bodybuildé – que Dubois n’est pour rien dans ces morts mystérieuses ?
– Oui, autant que l’on peut être certain de quoi que ce soit avec Dubois. Merci d’ailleurs à Thiago, le partner Bodybuildé d’Aïda, qui est d’un plus haut niveau que je ne le pensais au début, y compris j’ai l’impression au sein de la hiérarchie. Il demeure cependant des parts de mystère. Par exemple la mort de Léonie Meunier, celle qui a été retrouvée sur la plage près de chez Gloria où résidait Dubois, n’a pas encore été élucidée. C’est elle pourtant qui a tout déclenché mais rien n’indique que Dubois y soit pour quelque chose. Il y aurait également une autre équivoque – c’est pourquoi il nous faut éviter le mot mystérieux qui prête à confusion, vous avez vu la traduction en portugais au Brésil – car Dubois et Gloria étaient bien dans l’hôtel où est décédée la femme de chambre mais l’enquête se dirige vers un employé de l’hôtel qui la harcelait sur les réseaux sociaux ; elle avait porté plainte mais là-bas comme ici, tout le monde s’en fout de ces plaintes, apparemment elle ne savait pas que son harceleur était son collègue, qu’elle voyait tous les jours, qui la harcelait à peine rentrée chez elle… Il aurait fini par passer à l’acte en la droguant. Elle en est morte mais les preuves manquent encore.
– Une triste histoire qui, je l’espère, ne donnera pas des idées à tous les tarés que nous avons ici. Continuez.
– À Paraty, nous savons avec certitude que le premier meurtre est un féminicide, le mari a été retrouvé, il a avoué. Rien que nous ne connaissions nous-mêmes.
– Hélas. Et cette femme dans sa boutique – une vieille dame !!! – dont la presse a dit que c’était un meurtre de Dubois maquillé en suicide.
– C’est un suicide. D’ailleurs si ces journalistes pouvaient interroger Thiago et Aïda, ces deux-là n’auraient aucun mal à dissiper toutes les rumeurs.
– Je vois, laissez-moi y réfléchir. Et cette Julie Durantin, vous êtes certain que ce n’est pas Dubois ?
– J’ai beaucoup de respect pour Dubois, vous le savez, car comme tueur en série, dans le genre, c’est la ligue des champions, nous n’avons même pas une trace de sang ! Et sans la réapparition du corps de Gina à Turin, nous en saurions encore moins. Cela dit, nous savons qu’il n’est pour rien dans tous ces meurtres, de toute façon, sa proie, c’est Gloria, elle a un tour de taille en or qui l’attend à Paris.
– Mais Julie Durantin…
– Voyons, Dubois est arrivé à Rio le soir même de la mort de cette Julie, étudiante en échange universitaire à Rio. Comment Dubois, accompagné de Gloria, à peine arrivé dans une ville qu’il découvre pour la première fois, dont il ne parle pas la langue, aurait-il eu le temps à peine rentré à son hôtel – les caméras de surveillance en témoignent – d’aller tuer Julie dans son appartement ? Certes elle habite à environ 20 minutes de son hôtel mais il faudrait imaginer que Dubois, à peine arrivé trouve sa victime, trouve son chemin pour la retrouver, trouve l’appartement de la petite, y pénètre on ne sait comment et la tue on ne sait pas pourquoi parce qu’il n’a vraiment pas le temps de s’amuser avec puisqu’il lui faudrait la déshabiller vite fait et rentrer à l’hôtel, tout ça en moins d’une heure puisqu’il est vu au bar avec Gloria une heure après leur arrivée.
– Mais comment une telle coïncidence ?
– Comme pour Léonie Meunier. Si elle avait été brésilienne ou asiatique, nous n’aurions jamais fait le rapprochement avec Dubois. Si nous cherchons des blondes qui se font assassiner dans un périmètre autour de Dubois dans une ville de 30 millions d’habitants, on a de grandes chances d’en trouver plusieurs…
– Et des Françaises une fois de temps en temps ?
– Et des Françaises une fois de temps en temps. La communauté française installée au Brésil, principalement à São Paulo et Rio de Janeiro, compte 30 000 personnes et, selon l’Ambassade de France au Brésil, deux millions de Brésiliens ont des ascendants français, alors la loi des grands nombres…
– Il en faudra peut-être plus pour convaincre le ministre. En attendant, je vous informe que l’avocat de Gloria da Silva, et je suppose aussi celui de Dubois l’architecte, a déclaré à l’ambassade qu’il allait aujourd’hui publier un communiqué indiquant que ses clients n’ont absolument rien à voir avec tout ce dont on les accuse, sans preuve, et qu’ils se réservent le droit de poursuivre pour diffamation quiconque affirmera le contraire. Pour autant, je me demande si, comme vous l’évoquiez, ce ne serait pas une bonne idée de laisser ce Thiago et Aïda dégonfler la baudruche.
(À suivre)
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Dimanche, 10h08, dans la cuisine d’Ethel Hazel
Ethel est extraordinairement agitée. Ce matin, en prenant son petit-déjeuner, elle a comme tous les jours fait sa veille scrupuleuse des faits divers dans les journaux, guettant depuis longtemps un signe que Dubois aurait été arrêté ou tué par la police ou aurait assassiné une autre femme. Cette lecture assidue qu’elle s’impose est à la fois une source d’angoisse – et s’il y avait quelque chose à propos de Dubois ? – et une source d’excitation – et si je trouve quelque chose à propos de Dubois ? Ce matin, parce qu’elle pensait à Gloria, elle a effectué une recherche simultanée Dubois – Gloria (elle ne connaît que son prénom) avec la mention architectes. Et soudain elle l’a vu, lui : pleine page dans un journal brésilien et, à ses côtés, une jolie femme, blonde, Gloria d’évidence. Ethel n’en a pas cru ses yeux. Mais il lui a fallu se rendre à l’évidence : il y avait plein de liens internet avec des articles à propos de O arquiteto Dubois e a arquiteta Gloria da Silva. Elle s’appelle donc Gloria da Silva se dit Ethel. Puis, impatiente, elle s’est énervée avec son traducteur automatique avant que ça marche. Puis elle a tout lu ! Elle les a même vus à la télé dans les infos brésiliennes !!!!! Excitée, elle s’est mise au travail. Elle a d’abord fait minutieusement le point des victimes : Léonie Meunier, une Française retrouvée sur la plage près de là où Dubois résidait à Florianopolis, puis Augustinha Dos Santos, assassinée dans l’hôtel 5* à São Paulo où il séjournait, puis encore Isabella da Rocinha et enfin une vieille dame. Toutes blondes aux yeux bleus. Pensant à Dr. Nut – il est forcément au courant, se dit-elle – la thérapeute se demande s’il saura reconnaître la signature de Dubois car, elle en est certaine, Dubois, à sa façon signe ses œuvres. Doit-elle appeler Dr. Nut ? Si son cœur a un élan, la raison le calme immédiatement. Et pour lui dire quoi ? Non, plutôt expliquer dans l’article d’où lui vient cette certitude que Dubois l’architecte signe ses œuvres, les hautes et les basses.
SYNDROME DE LA BELLE AU BOIS DORMANT DE L’ARCHITECTE DUBOIS
Droit d’auteur
Nous savons désormais que Dubois est parfaitement conscient de ses choix et sans doute sait-il lui-même – même s’il ne les a jamais partagées avec moi – les motivations profondes qui le poussent à choisir ce type de femme, exclusivement blonde aux yeux bleus. Mais il serait faux de penser que pour Dubois elles se ressemblent toutes. Au contraire, si elles vivent toutes le même climax et meurent de plaisir dans une effrayante ambiguïté, Dubois a certainement pour elles, avant et après, des attentions qui n’appartiennent qu’à chacune. Je suis certaine qu’il ne les garde pas à l’égaillé ou en tas, rangées n’importe comment sur une étagère sale – on parle quand même peut-être d’une dizaine de corps et il faut parfois des années avant qu’elles disparaissent ce qui lui laisse largement le temps de « préparer » leur arrivée. Je suis certaine qu’elles ont chacune « un lit » à leur nom dans lequel reposer pour l’éternité mais à chaque fois différent et signé.
Lors d’une séance, comme j’apprenais qu’il embauchait une nouvelle personne, déjà méfiante, je lui demandais ce qu’il était advenu d’une stagiaire, Hilda, dont il me disait pourtant le plus grand bien et qui semblait avoir disparu de ses pensées.
Je me souviens bien de cette séance car c’est la première fois qu’il a exprimé le plaisir qu’il a (avait?) à me voir. Sa phrase m’est restée à l’esprit, car je croyais alors que le transfert était en marche et que donc la thérapie se passait parfaitement. Voilà ce qu’il me dit ce jour-là : « à force de vous raconter mes histoires, j’ai l’impression que vous savez tout de moi et je vous vois désormais moins comme une psychanalyste que comme une complice, surtout quand vous laissez ainsi libres vos cheveux. Je trouve que cela vous va très bien ». Une complice ? J’avais alors commencé à discerner sa nature criminelle mais je n’avais aucune certitude. En plus, c’était au début de la disparition de Dr. Nut et je croyais qu’il m’avait laissée tomber. Que ne savais-je alors que Dubois avait déjà commencé à tisser sa toile autour de moi… Et jusqu’où cela me conduirait… Bref…
« Hilda n‘aura donc pas laissé de traces à l’agence, rien pour signer son passage ? », lui demandais-je. Comme d’habitude, il a répondu à côté de la question en me parlant de son travail mais je sais aujourd’hui que ses réponses valent explication de ses meurtres.
Question : Hilda n‘aura donc pas laissé de traces à l’agence, rien pour signer son passage ?
Citation : Il faut croire que non. Malgré la nouvelle loi, tiens, quand j’y pense.
Question : Que voulez-vous dire ? De quelle loi parlez-vous ?
Citation : Il s’agit d’une loi liée à l’architecture, qui date de 2016 je crois (ici je transcris mes notes, je ne sais rien de cette loi), et qui autorise les architectes à signer leurs bâtiments, voire leur enjoint de le faire. C’est sûr que parfois, c’est vrai, le crime est signé… Hahaha
Question : Parce que vous ne signez pas les vôtres ?
Citation : C’est moi qui signe le permis de construire, il y a le nom de l’agence sur tous les plans, mais je ne visse pas de plaque à mon nom sur mes bâtiments.
Question : Vous ne laissez donc pas de traces non plus…
Citation : Je n’ai pas dit ça. En fait, je trouve toujours un moyen d’inscrire mon nom quelque part, même si c’est caché, recouvert de placo par exemple. Qui sait si dans 100 ans quelqu’un ne va pas démolir le bazar et retrouver ma signature ? On trouve tellement de choses coincées entre deux murs, des gens qui disparaissent à jamais dans ces interstices et que l’on retrouve complètement momifiés quand un nouveau propriétaire veut refaire sa cuisine. Et puis Dubois, c’est un nom passe-muraille et c’est parfait pour un architecte comme moi, plutôt discret quant à mes hobbies.
Ici, il faut donc comprendre que si ses œuvres – ses bâtiments et ses « hobbies » – ne sont pas signées, ce qui pourrait être une preuve de modestie, ce n’est qu’apparence. Il signe bien son travail mais sa signature est dissimulée, ce qui s’accorde parfaitement à son caractère.
Pour autant, maintenant que je repense à tous ces articles au Brésil qui le décrivent comme un tueur en série, voire un monstre sanguinaire, je me demande comment lui, si discret a pu se laisser embarquer dans une telle histoire. Et pourquoi cette furia de meurtres atroces qui ne lui ressemble pas ?
La dissimulation donc. Il n’est pas question de la dissimulation freudienne pour Dubois – encore que, aurait-il agressé des petites filles ? Aurait-il débuté tôt dans la carrière, dès la maternelle et, en ce cas, le retour du refoulé freudien aurait du sens mais, en cinq ans de thérapie, il n’a jamais évoqué une quelconque tendance à la pédophilie, il ne s’agit donc pas de la dissimulation freudienne. Celle de Jean-Jacques Rousseau quand il évoque le « triomphe de l’éthique de la sincérité, de la transparence des sentiments, qui appréhende spontanément la dissimulation comme un défaut psychologique, sinon comme une faute morale », comme l’explique le professeur en sciences sociales Jean-Pierre Cavaillé, ne me semble pas plus pertinente. Qui plus est, Dubois ne veut pas laisser autrui se tromper quant à l’identité de l’auteur des œuvres. C’est ce qu’il a fini par m’expliquer :
Citation : plutôt qu’une plaque pompeuse comme au XIXe siècle, ce qui ne nous rajeunit pas, je préfère inscrire mon nom dans quelque endroit discret. « Dubois était là » en somme, et ce sera aux exégètes de se débrouiller… »
Les exégètes ? Il n’est donc pas question pour Dubois de modestie, au contraire, ni d’une véritable volonté de dissimuler puisqu’il espère bien qu’un jour un œil averti saura le reconnaître.
Il est donc parfaitement clair que les filles (pourquoi dis-les filles ?) les femmes que garde Dubois ne sont pas rangées n’importe comment, je suis certaine qu’elles ont chacune leur propre « couche », peut-être même avec son nom, son décor et sans doute quelque attention pour chacune. Je ne les ai jamais rencontrées, je n’ai vu que les photos que Dr. Nut a bien voulu me montrer et si elles semblent toutes du même genre, blonde aux yeux bleus, je suis certaine que Dubois, à la suédoise, sait les différencier.
D’ailleurs, il signe sans doute la mise en scène de son harem silencieux tant il l’aborde sans doute comme un travail d’architecte.
Je suis d’ailleurs allée me renseigner sur le droit d’auteur en architecture pour tenter de faire la part des choses. J’ai appris que chaque architecte a droit au respect de l’esprit et de l’intégrité physique de l’œuvre. « Ce droit permet, je cite, d’une part, à l’auteur de faire condamner un tiers qui altérerait son œuvre. En matière d’architecture, la plupart du temps l’altération doit être substantielle, du fait du caractère utilitaire de la plupart des bâtiments. D’autre part l’auteur peut interdire toute utilisation ‘dégradante’ de son œuvre, comme l’apparition de cette dernière dans une publicité jugée ‘dégradante’ ».
Et si Dr. Nut retrouve son mausolée, et que les corps des Belles, jusque-là préservés avec attention – avec amour ? – sont finalement récupérés et dûment enterrés ou incinérés, sans doute Dubois y verra-t-il une utilisation dégradante de son œuvre et, à bien y réfléchir, pour ce qui concerne les corps et l’image de ces femmes, il aurait peut-être raison.
(À suivre)
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Dimanche 18h (heure de Rio), à l’aéroport international du Galeão
Aïda est installée dans la salle d’attente de sa porte d’embarquement, le bruit des annonces de vols en fond sonore. Devant elle, son ordinateur ouvert, les yeux concentrés sur son rapport pour Dr. Nut. Son vol est dans une trentaine de minutes et elle prend le temps de prévenir son chef par mail qu’elle part pour Brasilia.
Bonjour chef,
Comme convenu suite à notre échange de vendredi, nous avons vérifié Thiago et moi les vidéos de surveillance de l’hôtel, Dubois y rentre le soir et n’en ressort que le lendemain matin, ce qui confirme notre hypothèse qu’il n’a pas pu rejoindre l’appartement de Julie Durantin. La police locale a pris le relais, Thiago s’est assuré qu’elle nous rappelle s’il y a le moindre doute. J’ai comme convenu informé le consulat.
« Para você, querida ». Aïda lève les yeux, elle n’avait pas vu arriver Thiago qui lui tend une bouteille d’eau gazeuse, un sourire au coin des lèvres avant de s’asseoir à ses côtés. Depuis leur nuit imprévue de jeudi soir, ils ont repris leur routine de travail et leur chambre séparée mais le regard de Thiago est depuis teinté d’une chaleur différente, difficile à ignorer. Aïda se sent de plus en plus attachée à lui, une complicité qui dépasse largement celle d’une relation professionnelle, même si elle n’a encore jamais eu de ‘partner’ comme dans les films. Elle ne regrette rien mais elle se demande quand même ; a-t-elle dépassé les limites ? Et si Dr Nut l’apprend ? Est-ce juste un coup d’un soir ?
Dubois et Gloria ont effectué vendredi des visites architecturales. Thiago a récupéré une voiture et nous pouvions les filer facilement, il a y tellement de monde et de circulation ici, aucune raison qu’ils aient remarqué notre présence. Bien qu’on ait croisé quelques journalistes, la pressionsemblait plus détendue.
En fait, ces visites furent aussi l’occasion pour Aïda de voir enfin un peu du pays ! Les grands classiques de Rio : Ipanema, Copacabana mais aussi la Casa de las Canoas de Niemeyer, Cidade das Artes de Portzamparc, et le Palácio Gustavo Capanema de Lucio Costa, elle aussi découvrait les chefs-d’œuvre de l’architecture brésilienne. Elle en a profité pour faire un reportage photo à sa sœur architecte Sofia qui en mourait de jalousie. Et puis évidemment, les commentaires de Thiago pleins d’esperanto…
Vendredi soir, Dubois et Gloria sont restés dîner à hôtel. Là, à notre grande surprise, ils ont été rejoints par un jeune homme que nous avons d’abord pris pour un ami, un collègue ou un client, mais la ressemblance physique était troublante. Quelques recherches et connexions plus tard, j’avais retissé le fil : Ulysse Dubois ! Le fils de Dubois qui vit au Brésil depuis 2018. Une certaine distance était palpable entre le père et le fils, ce dernier semblait perdu dans ses pensées, Gloria mal à l’aise. Ulysse est finalement parti avant le dessert.
Aïda a retrouvé dans le dossier de Dubois, qu’elle a depuis longtemps scanné sur son ordi, que le père et le fils ne s’étaient pas vus depuis longtemps. Ce dîner était-il prévu ? Ou bien a-t-il été organisé car Ulysse les a vus passer à la télé ? Savait-il que son père était au Brésil ? Pas étonnant d’être perturbé, avait-elle pensé avec une pointe de tendresse, s’il a découvert par hasard aux infos que son père était 1. à Rio 2. soupçonné d’être un serial killer.
Samedi, Dubois et Gloria ont poursuivi leur itinéraire architectural, cette fois de l’autre côté de la baie de Rio pour visiter le Musée d’Art Contemporain de Nitéroi de Niemeyer. Nous les avons attendus un long moment à l’extérieur et pendant ce temps-là nous avons vu des petits groupes de journalistes s’agglutiner devant la sortie du musée. Dès la sortie de Dubois et Gloria, qui semblaient ne pas s’y attendre, la meute s’est mise à les harceler de questions, de flashs, et de caméras.
La tension était plus que palpable, les journalistes s’agitaient, certains criaient, posant des questions provocantes, en français parfois :
– Monsieur Dubois, êtes-vous un tueur en série ?
– Gloria, vous sentez-vous en sécurité avec lui ?
– Avez-vous un message pour les Brésiliens qui s’inquiètent de votre présence ?
Bref tout le monde s’échauffait et Dubois, visiblement agacé, tentait en vain de percer la foule pour s’éloigner avec Gloria, qui finissait par ne plus trouver cela drôle. Ne voyant pas d’autre solution pour faire baisser la tension et craignant le pire, Thiago a alors pris les devants pour évacuer Dubois et Gloria.
Aïda revoit la scène, la situation était hors de contrôle, les journalistes ayant avalé les deux architectes. Comme la situation allait dégénérer, Thiago a murmuré à l’oreille d’Aïda « je n’ai plus le choix » avant de s’élancer dans la foule, badge de police en main, en criant à pleine voix : « Policia Policia ! Dexiem passar !!! » Et quand Thiago se met en mouvement…
Les journalistes, surpris et impressionnés, ont ouvert le passage. Le colosse, en tout cas c’est ce à quoi il ressemblait à ce moment-là, a chopé Dubois et Gloria, dont les visages trahissaient la plus totale incompréhension, avant de les guider sur la cinquantaine de mètres qui les séparait du premier taxi. Il leur ouvrit la portière, les poussa à l’intérieur, donna un ordre au chauffeur – l’adresse de l’hôtel Ricano, Aïda le sait maintenant – et, juste avant de les laisser partir, il leur a déclaré, dans son esperanto compréhensible par tous : « Inspector José Luiz da Silva, on se recroisera bientôt ». Et savez-vous ce que lui a répondu Dubois ? « Bien sûr, ce n’est jamais aujourd’hui que la seconde fois ». Dubois s’est donc souvenu de l’avoir déjà vu à Paraty.
Bref, nous voilà donc totalement démasqués aux yeux de Dubois et Gloria qui savent désormais que nous sommes la police. Nous sommes rentrés tard à l’hôtel, espérant ne pas les croiser. Et puis dimanche matin, un fonctionnaire a annoncé à Thiago que Dubois et Gloria avaient pris un vol pour Brasilia. Ils ont certainement fui Rio exaspérés par la pression des journalistes. Thiago et moi avons pris les premiers billets dispos pour les suivre et nous décollons d’ici peu.
Maintenant quelles sont vos recommandations ? On la joue comment avec les journalistes ? Et avec Bonnie and Clyde ? :-)
@ bientôt
Aïda
Aïda relit son mail et l’envoie.
« Last Call for Brasilia ». La queue s’est réduite à son minimum et Thiago et Aïda se lèvent pour embarquer quand, derrière eux, une voix s’exclame : « Just in Time ! ». Surpris, les deux policiers se retournent pour voir arriver, tout sourire, Bianca Bertoldi, la journaliste de Florianopolis, son petit bagage et son boarding pass à la main leur grillant la politesse.
Aïda se lève sur la pointe des pieds pour murmurer à l’oreille de Thiago, qui se penche obligeamment : « Comment dit-on ‘Et merde’ en Esperanto ? ».
(À suivre)
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Lundi, 5h00 (heure locale) – Turin, Italie
Dans les pages locales de La Stampa, principal journal de Turin, un article signé Lorenzo Antonetti et titré : Colpo di scena inaspettato nel caso di Dubois l’architetto, serial killer! (Rebondissement inattendu dans l’affaire Dubois l’architecte, tueur en série !)
I nostri lettori sanno che ci sono molte zone grigie intorno alle preoccupanti sparizioni di Gina Rossi, Anna Rizzo e Marie-France Panoyaux, due architetti e un ecologista, tutti e tre più o meno legati all’architetto parigino Dubois. (Vedi i nostri articoli precedenti). Sebbene si sia rivelato irraggiungibile in Brasile, si scopre che Dubois l’architetto, con una compagna di nome Gloria da Silva, lei stessa architetto e bionda con gli occhi azzurri come Gina e Anna, sono il soggetto di una novella come li amiamo ai tropici. Immagina che i cadaveri sembrino accumularsi intorno a Dubois, abbastanza da permettere alla stampa scandalistica di costruire una storia sugli extraterrestri. Non c’è voluto molto perché la redazione, con l’aiuto della nostra corrispondente dal Brasile, Bianca Castaldi, constatasse che gli omicidi in questione non potevano essere tutti attribuiti a Dubois. Inoltre, l’avvocato di Gloria da Silva ha pubblicato un comunicato stampa in cui, con un po’ di umorismo, ha ovviamente esonerato i suoi clienti dai crimini mostruosi di cui il branco li accusa « fondandosi su una voce infondata ». Bianca Castaldi, però, dopo aver fatto il giro dei commissariati attorno all’hotel Ricano dove risiedono Gloria e Dubois a Rio de Janeiro, ha trovato sei donne bionde, se contiamo le finte bionde, morte in modo più o meno violento dall’arrivo di Dubois a Rio. Ha isolato un caso sorprendente, una donna francese, Julie Durantin, che morì nel periodo in cui Dubois e Gloria raggiunsero il loro hotel. Secondo Bianca sul posto, e secondo l’IA vista da qui, sembra che il coinvolgimento di Dubois in questo omicidio sia fisicamente impossibile. Ma esiste un legame tra Julie Durantin e l’architetto Dubois? In ogni caso ecco un architetto di cui si parla in tutto il mondo, e non è perché ha vinto il Pritzker.
Se avete informazioni su Gina Rossi, Anna Rizzo, Marie-France Panoyaux, Julie Durantin e sull’architetto Dubois, chiamate il giornale allo 0116568304. Discrezione assicurata. Premio per qualsiasi informazione utile.
(Continua)
Nos lecteurs savent que les zones d’ombre sont nombreuses autour des disparitions inquiétantes de Gina Rossi, Anna Rizzo et Marie-France Panoyaux, deux architectes et une écologue, toutes trois plus ou moins liées à l’architecte parisien Dubois. (Voir nos articles précédents). Alors qu’il se révélait injoignable au Brésil, il s’avère que Dubois l’architecte, avec une compagne nommée Gloria da Silva, elle-même architecte et blonde aux yeux bleus comme Gina et Anna, sont le sujet d’une novella comme on les adore sous les tropiques. Figurez-vous que les cadavres semblent s’accumuler autour de Dubois, suffisamment pour que la presse à sensation bâtisse une histoire d’extraterrestres. Il n’a pas fallu longtemps à la rédaction, avec l’aide de notre correspondante au Brésil, Bianca Castaldi, pour déterminer que les meurtres en question ne pouvaient être tous imputés à Dubois. D’ailleurs, l’avocat de Gloria da Silva a publié un communiqué qui, avec un peu d’humour, exonérait, évidemment, ses clients des crimes monstrueux dont la meute les accuse « en faisant foi d’une rumeur sans fondement ». Pour autant Bianca Castaldi, ayant fait le tour des commissariats autour de l’hôtel Ricano où résident Gloria et Dubois à Rio de Janeiro, a trouvé six femmes blondes, si on compte les fausses blondes, décédées de façon plus ou moins violentes depuis l’arrivée de Dubois à Rio. Elle a isolé un cas étonnant, une Française, Julie Durantin, décédée à peu près au moment où Dubois et Gloria parvenaient à leur hôtel. Selon Bianca sur place, et selon l’IA vue d’ici, il semble que l’implication de Dubois dans ce meurtre est physiquement impossible. Pour autant, existe-t-il un lien entre Julie Durantin et Dubois l’architecte ? En tous les cas, voilà un architecte qui fait parler de lui dans le monde entier, et ce n’est pas parce qu’il a gagné le Pritzker.
Si vous disposez d’informations au sujet de Gina Rossi, Anna Rizzo, Marie-France Panoyaux, Julie Durantin ainsi que de l’architecte Dubois, appelez le journal au 0116568304. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
(À suivre)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
* En librairie L’architecte en garde à vue
* En librairie, Le fantôme de Gina
Retrouver tous les épisodes de la saison 7 (Le syndrome de la Belle au bois dormant)
Retrouvez tous les épisodes de la saison 6 (Le Fantôme de Gina)
Retrouvez tous les épisodes de la saison 5 (L’architecte en garde à vue)
Retrouvez tous les épisodes de la saison 4
Retrouvez tous les épisodes de la saison 3
Retrouvez tous les épisodes de la saison 2
Retrouvez tous les épisodes de la saison 1