La presse internationale se rapproche de Dubois l’architecte tandis qu’Ethel Hazel, sa thérapeute, fait un détour chez Walt Disney. Aïda en pleine jungle et Dr. Nut en plein Paris sont en pleine confusion.
Psychanalyse de l’architecte : les personnages à l’œuvre
Relire le prologue de la saison 7 (et le résumé des saisons précédentes)
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« Toute beauté est fondée sur les lois des formes naturelles. L’architecture d’une ville est d’émouvoir et non d’offrir un simple service au corps de l’homme ».
John Ruskin
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Mercredi, 5h00 (heure locale) – Florianopolis, Brésil
Dans les pages locales du Diário Catarinense (« Quotidien de Santa Catarina » en français), le quotidien de l’État de Santa Catarina, un article signé Bianca Bertoldi et titré : Dois novos cadáveres em torno do arquiteto Dubois (Deux nouveaux cadavres autour de l’architecte Dubois)
Novas reviravoltas no caso dos assassinatos não solucionados de duas mulheres que morreram no ambiente imediato da arquiteta Glória da Silva, de quem já apresentamos as conquistas de sua agência localizada na R. Emílio Blum, 123 – loja 27 em centro-cidade de Florianópolis. Com efeito, para constar, o corpo de Léonie Meunier, uma francesa de 45 anos, foi levado pelo mar a poucos passos da casa do arquitecto na praia da Barra da Lagoa, em Florianópolis, a de Augustinha Dos Santos foi encontrado dez dias depois no porão do Arpoador, famoso hotel 5* de São Paulo que Glória da Silva acabara de reformar. Já havíamos identificado Dubois, o arquiteto que o acompanhava, agora podemos divulgar sua foto, recuperada por nós nas câmeras de segurança localizadas próximas à agência.
Legenda da foto: R. Emílio Blum, 123 – loja 27 – Terça-feira 18h27 – À esquerda, em frente à sua agência, Glória da Silva, à direita, o arquiteto Dubois.
Vemos os dois arquitetos, visivelmente amantes, saindo do escritório. A foto está desfocada mas conseguimos distinguir um homem elegante que, durante os poucos segundos captados, parece atencioso. Ainda assim, conseguimos – com dificuldade porque aparentemente o arquitecto Dubois não tem site e parece impossível de encontrar nas redes sociais – encontrar em França a agência do arquitecto Dubois, Dubois&MOI, inscrita no registo comercial. Está localizado na rue du Liban, em Paris, no vigésimo arrondissement. Entramos em contato com a agência dela onde Jéssica Moreau, arquiteta há quatro anos na agência, disse que não sabia de nada e não conhecia Glória da Silva. Ela confirmou, porém, que o arquiteto Dubois está em viagem de negócios ao Brasil e não está disponível no momento. Contatada por telefone, Glória da Silva nos contou que passaria alguns dias em Paraty, Estado de São Paulo. Ligamos conscientemente para a delegacia central da cidade e perguntamos se por acaso uma ou mais mulheres loiras de olhos claros haviam sido assassinadas durante a estadia de nossos dois pombinhos. Imagine que a resposta seja sim, duas vezes; Em um feminicídio nas Piscinas Naturais do Cachadaço, na de Isabella da Rocinha, e na própria Paraty, Maria Aparecida Silva, 64 anos, foi encontrada enforcada em sua loja de souvenirs. Assim que o arquiteto Dubois aparece, as mortes violentas parecem se suceder. É azar?
Se você tiver informações adicionais ou se encontrar com o arquiteto Dubois, ligue para 48 4832-800. Discrição garantida. Recompensa por qualquer informação útil.
(Continua)
Nouveaux rebondissements dans l’affaire des meurtres non élucidés de deux femmes décédées dans l’environnement immédiat de l’architecte Gloria da Silva, dont nous avons déjà présenté les réalisations de son agence sise R. Emílio Blum, 123 – loja 27 dans le centre-ville de Florianopolis. En effet, pour mémoire, le corps de Léonie Meunier, une Française de 45 ans, a été rejeté par la mer à deux pas de la maison de l’architecte sur la plage de Barra da Lagoa, à Florianópolis, celui d’Augustinha Dos Santos a été retrouvé une dizaine de jours plus tard dans le sous-sol de l’Arpoador, célèbre hôtel 5* de São Paulo que Gloria da Silva venait justement de rénover. Nous avions déjà identifié Dubois l’architecte qui l’accompagne, nous pouvons maintenant diffuser sa photo, récupérée par nos soins dans les caméras de sécurité situées près de l’agence.
Légende de la photo : R. Emílio Blum, 123 – loja 27 – Mardi 18h27 – A gauche, devant son agence, Gloria da Silva, à droite Dubois l’architecte
L’on y voit les deux architectes, visiblement amants, sortir de l’agence. La photo est floue mais on distingue un homme élégant qui, durant les quelques secondes captées, semble prévenant. Toujours est-il que nous sommes parvenus – avec difficulté car apparemment l’architecte Dubois n’a pas de site internet et semble introuvable sur les réseaux sociaux – à retrouver en France l’agence de Dubois l’architecte, Dubois&MOI, inscrite au registre du commerce. Elle est située rue du Liban à Paris dans le vingtième arrondissement. Nous avons contacté son agence où Jessica Moreau, architecte depuis quatre ans à l’agence, a dit ne rien savoir et ne pas connaître Gloria da Silva. Elle a confirmé cependant que l’architecte Dubois est actuellement en voyage d’affaires au Brésil et injoignable pour le moment. Jointe par téléphone, Gloria da Silva nous avait dit passer quelques jours à Paraty, État de São Paulo. Nous avons par acquis de conscience appelé le commissariat central de la ville et demandé si par hasard, une ou des femmes blondes aux yeux clairs auraient été assassinées pendant le séjour de nos deux tourtereaux. Figurez-vous que la réponse est positive, deux fois ; un féminicide à Piscinas naturais do Cachadaço, celui d’Isabella da Rocinha, et à Paraty même, Maria Aparecida Silva, 64 ans, a été retrouvée pendue dans sa boutique de souvenirs. Dès qu’apparaît Dubois l’architecte, les morts violentes semblent s’enchaîner. La faute à pas de chance ?
Si vous disposez d’informations supplémentaires, ou si vous croisez Dubois l’architecte, appelez au 48 4832-800. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
(À suivre)
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Mercredi, 17h15, à la Médiathèque Marguerite Yourcenar
Peut-être est-ce à cause du temps maussade mais Ethel Hazel n’avait pas envie ce soir de rentrer chez elle. Elle est préoccupée par Dubois, dont elle est sans nouvelle, évidemment. Pour autant elle scrute la presse papier et en ligne chaque jour, attentivement, scrupuleusement, s’attendant à découvrir que le corps de Gloria a été retrouvé quelque part ou qu’elle a elle aussi, a son tour, disparue sans laisser de trace. Les faits divers sont pleins d’horreurs diverses mais pas un mot de Dubois. Cela la rassure dans un sens. Bref, elle a brusquement ressenti le besoin d’avoir du monde autour d’elle, dans un endroit chaud et très éclairé. Arrivée là, avec la rassurante présence des livres, elle a facilement trouvé où s’installer.
SYNDROME DE LA BELLE AU BOIS DORMANT DE L’ARCHITECTE DUBOIS
Les belles et la bête ?
Récapitulons. J’ai expliqué pourquoi cet article est nécessaire (sans mentionner Hollywood, se dit-elle), j’ai présenté Dubois l’architecte, évoqué ses victimes, l’importance chez lui du regard, le modus operandi des meurtres, ces femmes devenues natures mortes, le vertige de l’architecte démiurge. Il s’agit ici de déterminer en quoi le syndrome de Dubois se distingue de celui déjà abondamment commenté de la Belle au bois dormant. Le conte originel, bien cruel et anthropophage – la belle-mère une ogresse – a été revu par Perrault puis par les frères Grimm puis par Disney en 1959, à chaque fois un peu plus édulcoré. En 2024, de bonnes âmes se poseraient sans doute des questions sur la culture du viol du Prince charmant qui embrasse la Belle sans lui demander son avis tout ça pendant qu’elle dort, plus sûrement inconsciente. Une culture de l’emprise masculine qui a d’évidence traversé les âges comme en témoigne abondamment chaque jour l’actualité des faits divers. Pour autant, le conte est le plus souvent interprété comme un passage de l’adolescence à la vie adulte, la princesse se piquant au fuseau signifiant l’arrivée des règles et le repli sur soi jusqu’à ce que le Prince sauve l’affaire et la princesse devenue femme fertile, puis ils se marièrent et eurent deux enfants Aurore et Jour. C’est cette lecture de l’Autrichien Bruno Bettelheim, explicitée dans sa Psychanalyse des contes de fées publiée en 1976 qui prévaut désormais dans les cercles académiques.
Il y a certes des points de convergence avec l’affection dont souffre l’architecte Dubois…
Hum… Souffre-t-il ? Il ne m’en donne pas l’impression. Au contraire, il m’est souvent apparu comme jouissant de ses certitudes, de son pouvoir, même s’il se garde de toute arrogance. Certes il y a bien là un ensemble de symptômes constituant une entité – un faisceau de présomptions, dirait Dr. Nut – qui caractérisent un état pathologique. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de parler d’un syndrome parce que je ne suis pas sûre encore de connaître toutes les causes de cette affection. Mais souffre-t-il ?
…Il y a certes des points de convergence entre l’affection dont est atteint l’architecte Dubois et le conte. Comme le Prince, Dubois est amoureux d’elles mais en l’occurrence, c’est lui l’ogre qui mets les Belles en sommeil, lesquelles ont rencontré le Prince charmant AVANT de s’endormir et d’évidence, Dubois n’a aucune intention de les réveiller. Mais, comme dans le conte, leur sépulture, ou tombeau, est cachée et difficile à trouver. D’ailleurs Dr. Nut n’y est toujours pas parvenu…. Cependant, comme dans le conte également, Dubois semble penser à ce long sommeil comme celui du passage d’un état à un autre. Il m’a un jour parlé du film Alien en ces termes :
– Citation : Cela me fait penser au film Alien, où l’on voit ces cosmonautes s’éveiller d’un long sommeil artificiel, avec Sigourney Weaver dans le rôle de la Belle, laquelle n‘a d’ailleurs pas fini de rencontrer des tueurs en série. Mais l’idée de ce long sommeil, duquel on se réveille comme si de rien n’était, aussi facilement qu’un ours qui sort d’hibernation, je trouve cela vraiment fascinant.
C’est ce qui me fait écrire que Dubois ne pense pas à ses victimes en tant qu’elles sont mortes – alors même qu’il les a tuées – mais en tant que princesses ensommeillées, dans l’attente d’une opportunité de renaître. Elles se seraient pas libres pour autant puisque toujours sous la coupe du grand ordonnateur de leur vie, ou plus exactement de leur mort.
Ce qui ramène à la question du pourquoi il les tue. En effet si, comme avec moi, il obtient ce qu’il cherche, pourquoi ne pas s’arrêter avant l’instant fatidique et mettre cela sur le compte d’une sexualité singulière ? À la vérité, une fois qu’elles auraient repris conscience, ces femmes s’enfuiraient à toutes jambes, et même si elles ne le dénoncent pas, Dubois les aurait perdues à jamais.
Il me faut ici introduire le concept de chaste polygamie. Polygamie au sens où Dubois multiplie ses « belles » qu’il garde ensemble, dans un temple ou mausolée à l’instar d’un harem macabre, et chaste car si je suis persuadé qu’il tue ses victimes dans une extase sexuelle, il ne les outrage plus après leur décès. Sans doute se contente-il de les regarder et de les aimer et de les posséder ainsi. Il a abordé avec moi cette notion de polygamie.
– Citation : Savez-vous que les Mormons sont polygames ? En plein cœur des États-Unis ? Comme les « sauvages » qui les ont précédés ? C’est moins le cas aujourd’hui mais comme ce sont encore les Mormons qui contrôlent l’Utah, la pratique demeure tolérée. Les Américains vont sur la lune, les Mormons épousent leurs sœurs !!! Mais à Salt Lake City, la capitale des Mormons, leur temple, d’un point de vue architectural, n’est pas loin de la Sagrada Familia de Barcelone. Une architecture exceptionnelle pour une étonnante vision du monde au milieu du désert…
Je me souviens bien de cette séance. Il avait alors évoqué les notions de réincarnation et de renaissance et je lui avais demandé pourquoi il faisait une distinction entre les deux ? Il m’avait répondu que la renaissance proprement dite est le retour du même, « je meurs et je renais, c’est encore moi tout pareil ». Surtout, à ce moment-là, il avait ajouté à mon attention : « N’est-ce pas ce que vous avez éprouvé dernièrement ? ». Il faisait écho à ma première expérience avec lui. Ai-je eu l’impression de renaître ? Non, pas exactement. J’ai eu le sentiment d’être passée tout près de la mort et je ne me suis pas réveillée re-née. Encore que, j’ai découvert plus tard que cette expérience m’avait transformée, m’avais redonné de la joie, une intensité…
Oh mon Dieu, pas maintenant se dit-elle alors qu’elle ressent au plus profond de son être l’ambiguïté folle à laquelle l’avait menée Dubois. Respire, respire… D’ailleurs la joie semble avoir disparu depuis son départ et son excitation disparaît aussi vite qu’elle est venue. Ethel regarde autour d’elle et ne voit que des gens studieux, concentrés sur leur tâche ou leur projet et elle se sent seule à nouveau. Reprenons.
Enfin, si pour Dubois l’architecte la mort/sommeil n’est qu’un passage et s’il demande à ses belles d’être patientes, la mort n’en est pas moins pour lui un passage obligé. Voilà pourquoi son ambition va au-delà de sa propre satisfaction sexuelle, rare certes mais d’une extraordinaire intensité. Une fois de plus c’est en parlant d’architecture qu’il nous éclaire sur ses motivations profondes.
– Citation : la réincarnation est un processus, voire un cycle, qui peut passer par la réincarnation dans un animal ou une plante. Si je fais un temple pour des adeptes de la renaissance, je construis une volière à angelots, si je fais un temple pour les adeptes de la réincarnation, je fais un bâtiment organique pour ouvrir tous les champs du possible. Pour autant, je me dis que peut-être la meilleure façon d’atteindre l’immortalité, car c’est bien de cela qu’il s’agit pour l’humain peureux, est de conserver au frais son corps dans la pleine puissance de ses moyens en attendant un jour de se réveiller comme d’un long sommeil mais en ayant muté, la sortie de la chrysalide étant destinée à donner naissance à un être transformé, adulte, omniscient peut-être. Sinon, à quoi servirait de renaître déjà tout décati ?
Là il indique parfaitement qu’il construit ou a construit un lieu où conserver au frais son/ses corps dans la pleine puissance de ses moyens, une réalisation qui est sans doute à la portée d’un architecte talentueux…
Est-il talentueux ? Je n’en sais rien en fait.
… à la portée d’un architecte d’expérience. Surtout il évoque ici, émergeant d’une chrysalide, un être transformé, ce qui justifie donc, en regard de l’interprétation habituelle du conte, le syndrome décrit ici : le syndrome de la Belle au bois dormant.
(À suivre)
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Jeudi, 19h07, dans le bureau de Dr Nut
Dr. Nut a eu une nouvelle discussion avec le chef après l’article paru au Brésil qui faisait un nouveau lien entre Dubois et de nouveaux cadavres. Dr. Nut a rapporté au chef ce qu’il savait de ces deux nouveaux corps apparus dans l’entourage immédiat de Dubois au Brésil. La police locale ne semble pas, pas encore, faire cas de Dubois, mais ce n’est qu’une question de temps. D’autant que le journaliste Italien de la Stampa, qui enquête sur la disparition de Gina Rossi et Anna Rizzo, fait des progrès. Le problème avec les réseaux sociaux et les infos en continu est de diffuser la peur en donnant l’impression d’une inondation. La presse locale, parfois prompte à monter en épingle une affaire, surtout si les politiques s’en mêlent, pour autant fait son travail d’information. C’est son rôle d’informer la population locale, à Bourges par exemple, qu’un violeur en série rôde en ville. Les habitants auront peur, à juste titre, et se calfeutreront et ne laisseront plus sortir leurs filles, jusqu’à ce que le criminel soit arrêté et alors toute la ville pousse un ouf de soulagement et reprend ses habitudes. Auparavant, il n’y a pas si longtemps, quand les habitants de Bourges s’inquiétaient, ceux de Strasbourg, Marseille, Lille et Nantes etc. n’avaient eux aucune raison de s’affoler, ils n’étaient même pas au courant la plupart du temps de ce qui se passait à Bourges. Et pourquoi d’ailleurs s’inquiéteraient-ils d’un violeur rôdant à 800 km de chez eux ? La peur était donc alors localisée et éphémère car, un jour c’était aux Marseillais d’avoir peur puis de reprendre leurs habitudes, etc. Mais aujourd’hui, les réseaux sociaux et les chaînes d’infos s’emparent du moindre fait-divers sordide pour faire leur beurre du business de la peur et cela finit par donner l’impression à tout le monde qu’un violeur en série rôde près de chez eux et c’est toute la France, et pas que la France se dit Dr. Nut, qui s’abîme dans la crainte imbécile qui fait la fortune des marchands d’armes. C’est exactement ce qui les tracasse, le chef et lui, que la presse se mette à annoncer qu’un tueur en série, un vrai pour le coup sous la forme de l’architecte Dubois, se promène en ville depuis des décennies avec plus d’une dizaine de meurtres (quasi) confirmés à son actif. L’article paru dans La Stampa mardi dernier, mais dont il n’a reçu la traduction que cet après-midi, l’a perturbé. Intitulé Rebondissement dans l’affaire Gina Rossi, une autre architecte manque à l’appel, l’article, au-delà de Gina, mentionne également Anna Rizzo, qui, le policier en est sûr, est l’une des victimes de Dubois. Surtout, il est irrité que le journaliste, Lorenzo Antonetti, celui qui l’avait déjà appelé n’ait pas pris cette peine cette fois. Il en est certain, celui-ci ne lâchera pas l’affaire. Que découvrira-t-on demain dans La Stampa ? Tout aussi énervants, ces articles au Brésil, signés d’une Bianca Bertoldi qui a par hasard établi un lien entre Dubois et de mystérieux meurtres autour de lui. Au moins cette Bianca n’a pas encore remonté tout le chemin jusqu’à moi, se dit Dr. Nut. Il espérait qu’elle passe à autre chose mais l’article de la veille l’a refroidi. D’un autre côté, je ne suis plus tout seul à traquer Dubois, se dit-il, mais cette perspective n’est pas faite pour le rassurer.
(À suivre)
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Jeudi, 14h12 (heure de São Paulo), 19h12 (heure de Paris)
Chef,
Voici un débrief complet de la situation. Après vous avoir appelé l’autre soir depuis l’Igreja das Sombras, j’ai contacté Thiago. Je lui ai expliqué la situation et je l’ai laissé gérer les autorités locales pour éviter que cette histoire ne nous échappe. En attendant, Paulo et moi avons commencé à redescendre vers le village.
C’est en descendant que les choses sont devenues encore plus étranges. Alors qu’on approchait du village, nous sommes tombés sur un grand groupe de personnes qui montaient justement vers l’église, en rigolant et chantant, pour… un vernissage! Oui, vous avez bien lu, une exposition d’art contemporain se préparait, et la scène macabre à laquelle nous avions assisté était en réalité une performance artistique, la répétition plus exactement. J’ai eu du mal à y croire au début, mais tout s’est éclairci. La jeune femme que j’avais prise pour une victime n’était qu’une actrice, et l’autel, une partie d’une œuvre intitulée « L’Immortalité des Ombres ». La performance était montée par un collectif d’artistes locaux qui utilise l’église pour ses installations. Selon eux, le but de l’œuvre était de « réveiller les mythes autour de l’église en jouant sur les interprétations de l’esprit », avec une dose de vaudou pour exciter les esprits justement. Je n’ai tellement pas voulu toucher à la scène que je n’ai même pas pris le pouls de la jeune femme qui, nous entendant arriver, a cru que le vernissage avait commencé plus tôt que prévu. Pour l’effet, c’était réussi, j’ai eu la peur de ma vie.
Bref c’était une coïncidence totale que nous sommes tombés dessus avant l’heure prévue. On a eu une discussion avec l’artiste principal, et il s’est excusé pour la confusion et le choc que ça a causé. Ils n’ont jamais eu l’intention d’effrayer qui que ce soit. Ce devait devenir un film-évènement sur Internet ou quelque chose comme ça.
J’ai donc rappelé Thiago pour faire le point et il s’est débrouillé avec les autorités locales pour expliqur notre émoi. On en a profité pour faire un état des lieux et il m’a indiqué qu’il y avait des infos de son côté : à Paraty, la police a finalement attrapé le mari d’Isabella da Rocinha – lors d’un contrôle routier. Reconnu et interrogé, il a finalement avoué son crime. Cela écarte définitivement Dubois de cette affaire. Quant à Maria Aparecida Silva, ses enfants sont arrivés de Rio et ont favorisé eux aussi la piste d’un suicide, comme nous l’avions envisagé. A priori donc, Dubois n’est pas lié à ces deux affaires. Devons-nous penser qu’il s’agit juste de coïncidences ?
Évidemment, Aïda n’a pas dormi de la nuit. Le choc, l’incompréhension… tout cela l’a tenue éveillée pendant des heures. Elle n’a cessé de ressasser la découverte à l’église, les corps de ces femmes, ces victimes, celles de Dubois, toutes les autres ? Pourquoi lui apparaissent-elles, à elle ? Elle a passé la nuit derrière son ordinateur tentant de démêler le fil de l’histoire. C’est en relisant ses notes et en analysant les faits sous un autre angle qu’elle a fini par réaliser quelque chose d’important. Une piste peut-être.
Chef, j’ai peut-être trouvé une clef pour comprendre pourquoi on accumule des cadavres autour de Dubois durant son voyage architectural brésilien. La découverte du corps de Léonie Meunier à Florianopolis, qui m’a fait venir jusqu’à lui, n’est peut-être également qu’une coïncidence. Dubois n’est peut-être pas responsable de sa mort. Mais en étant désormais à ses trousses, j’ai commencé à voir les choses de manière biaisée et systématique : désormais, chaque corps de femme blonde que je découvre, je l’associe instinctivement à lui. C’est devenu presque automatique, et j’ai l’impression que tout ou presque l’accuse… Sans preuve.
Ce que je veux dire est que, durant mon insomnie, j’ai fait les comptes : les chiffres sont alarmants. En France, selon le ministère de l’Intérieur, plus de 40 000 personnes disparaissent chaque année dont environ 30 000 sont retrouvées. Il reste cependant environ 10 000 disparitions non élucidées par an. Parmi ces disparus, en retirant les mineurs, il reste environ 9 000 cas d’adultes. Ensuite, en prenant en compte la parité hommes-femmes, il reste 4 500 femmes disparues par an. Si l’on considère que 20 % des femmes françaises sont blondes – comme celles que Dubois semble affectionner – cela représente environ 900 blondes disparues chaque année, soit trois par jour. Un chiffre impressionnant et déroutant ? Et c’est uniquement en France !
Au Brésil, où la surveillance est moins stricte et la délinquance plus forte, ces chiffres pourraient être encore bien plus élevés. Certes, il y a moins de femmes blondes qu’en France mais beaucoup sont aussi décolorées. C’est là que réside le problème : en cherchant des cadavres de blondes autour de Dubois, on finit par en trouver ! Que ce soit en France ou ailleurs, il y a toujours des disparitions non résolues. Et Dubois se retrouverait ainsi suspecté simplement parce qu’il est au mauvais endroit au mauvais moment. Pour expliquer ce que je veux dire : est-ce que je regarde si des femmes brunes sont décédées ou ont disparu dans les parages ? Non. Et des hommes ? Ou bien des enfants ? Non. Si on cherche, on trouve.
C’est ce qui expliquerait la raison pour laquelle ni nous, ni Thiago n’arrivons à le coincer. Les preuves manquent parce qu’il ne serait pas responsable de toutes ces morts. Profite-t-il simplement de ces circonstances pour s’inventer une histoire ?
Bref, je continue mes recherches et mes hypothèses mais je vais essayer de dé-zoomer. Je vais pour commencer essayer de remettre la main sur Dubois et Gloria qui ont disparu des radars depuis maintenant près de quatre jours… Dès qu’on a des infos sur sa localisation, on se retrouve avec Thiago.
Aïda hésite un instant avant de terminer son email. Est-ce qu’elle aurait perdu la tête ? Est il possible de se faire mener en bateau de cette manière depuis des semaines ? Et si sa théorie ne tenait pas du tout la route et que Dubois avait tout manigancé ? J’ai besoin de dormir, se dit-elle. Envoie cet email.
A +
Aïda
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Vendredi, 5h00 (heure locale) – Turin, Italie
Dans les pages locales de La Stampa, principal journal de Turin, à la rubrique Faits divers, un article signé Lorenzo Antonetti et titrée : Chi è Dubois l’architetto? Trovati nuovi corpi (Qui est Dubois l’architecte ? De nouveaux corps retrouvés)
Abbiamo accertato che due architette italiane, Gina Rossi, nata a Torino il 10 agosto 1991, e Anna Rizzo, nata a Sanremo il 14 novembre 1979, sono scomparse entrambe a Parigi rispettivamente nel 2018 e nel 2020 in circostanze simili, entrambe bionde con occhi azzurri scomparsi mentre erano impiegati presso lo studio di architettura Dupont&Dubois. Tuttavia, il corpo apparentemente mirabilmente conservato di Gina Rossi è stato ritrovato sull’altare della chiesa di San Tommaso, via Monte di Pietà, a Torino nell’agosto 2022. Cosa le è successo tra il 2018 e il 2022? Abbiamo esaminato tutti i corpi di donne bionde scomparse trovati sull’altare di una chiesa e non ne abbiamo trovati altri. Dov’è Anna Rizzo? Ancora a Parigi? È ancora viva? Dov’è morto e abbandonato da qualche parte? Da nessuna parte nella stampa francese si parla di queste due sparizioni, poiché il dipartimento specializzato della polizia francese non ha mai nemmeno sentito parlare di Gina Rossi. La cosa più preoccupante, tuttavia, dopo aver appreso che l’architetto Dubois, l’ultimo datore di lavoro delle due donne, era in Brasile, abbiamo cercato di vedere se il suo nome appariva da qualche parte al di là dell’Atlantico e del Bingo! Abbiamo trovato menzione del suo nome nel Diário Catarinense, quotidiano dello Stato di Santa Catarina, attraverso un articolo firmato Bianca Bertoldi e intitolato: Misteriosi omicidi, identificato l’architetto francese! E questo architetto è Dubois. Il mio collega spiega che sono stati rinvenuti due corpi in luoghi dove è accertata la presenza di Dubois e, dettaglio macabro, queste due vittime, una francese e una brasiliana, sono entrambe… Bionde con gli occhi azzurri. Non ne sappiamo di più al momento in cui scriviamo ma vi terremo informati.
Nel frattempo, se avete informazioni su Gina Rossi e Anna Rizzo, nonché sull’architetto Dubois, chiamate il giornale allo 0116568304. Discrezione assicurata. Premio per qualsiasi informazione utile.
(Continua)
Nous avons établi que deux architectes italiennes, Gina Rossi, née à Turin le 10 août 1991, et Anna Rizzo, née à San Remo le 14 novembre 1979, ont toutes deux disparu à Paris respectivement en 2018 et 2020 dans des circonstances similaires, toutes deux blondes aux yeux bleus s’étant volatilisée alors qu’elles étaient employées à l’agence d’architecture Dupont&Dubois. Pour autant, le corps, apparemment admirablement préservé de Gina Rossi a été retrouvé sur l’autel de l’église San Tommaso, Via Monte di Pietà, à Turin en août 2022. Que s’est-il passé pour elle entre 2018 et 2022 ? Nous avons fait le tour de tous les corps de femmes blondes disparues et retrouvées sur un autel d’église et n’en avons pas trouvé d’autres. Où est Anna Rizzo ? Encore à Paris ? Est-elle encore vivante ? Ou morte et abandonnée quelque part ? Nulle part dans la presse française n’est-il fait mention de ces deux disparitions, le service spécialisé de la police française n’ayant même jamais entendu parler de Gina Rossi. Plus troublant cependant, après avoir appris que l’architecte Dubois, dernier employeur des deux femmes, se trouvait au Brésil, nous avons cherché si son nom apparaissait quelque part outre-Atlantique et Bingo ! Nous avons déniché une mention de son nom dans le Diário Catarinense, le quotidien de l’État de Santa Catarina, au travers d’un article signé Bianca Bertoldi et titré : Meurtres mystérieux, l’architecte français identifié ! Et cet architecte est Dubois. Ma consœur explique que deux corps ont été trouvés dans des lieux où la présence de Dubois est avéré et, détail macabre, ces deux victimes, une Française et une Brésilienne, sont toutes deux… blondes aux yeux bleus. Nous n’en savons pas plus à l’heure d’écrire ces lignes mais nous ne manquerons pas de vous tenir informés.
D’ici-là, si vous disposez d’informations au sujet de Gina Rossi et d’Anna Rizzo, ainsi que de l’architecte Dubois, appelez le journal au 0116568304. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
(À suivre)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
* En librairie L’architecte en garde à vue
* En librairie, Le fantôme de Gina
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