Le Tour de France 2020 touche à sa fin et les suiveurs n’en peuvent plus des interminables vues d’hélicoptère sur les vieilles pierres, vieux châteaux et vieilles églises au service d’un passé supposé glorieux. Foin de nostalgie, au menu de cette dernière semaine du Tour de France contemporain 2020 de Chroniques, les Alpes et un contre-la-montre aux Belles Filles avant l’arrivée dimanche sur les Champs-Elysées. (Pour ceux qui ont raté le début*)
17ème étape (16 septembre) : Grenoble > Col de la Loze – 168 km
A la fin de cette étape, ils ne seront pas nombreux les coureurs à y croire encore. La dernière montée vers le sommet du col de la Loze (2 304 m), qui relie la vallée de Méribel à celle de Courchevel, propose des murs impressionnants, avec de nombreux passages à plus de 20 %. Des lacets courts, des raidards violents et des ruptures de pente incessantes… Sans compter le Col de la Madeleine (2 000 m d’altitude, 17km à 8,4%) en hors-d’œuvre … Une étape spectaculaire.
Aussi, après un petit déjeuner composé de la caillette locale et apte à caler tout appétit, puisque les suiveurs amateurs d’architecture contemporaine ne voudront pas rater la bagarre finale et que le départ de la course au Km 0 ne sera pas donné avant 12h30, ils auront le temps de faire un dernier tour en ville pour découvrir deux curiosités.
En premier lieu, au cœur de la ZAC de la Presqu’île de Grenoble, face au Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), s’arrêter devant le nouveau siège social de la société Xenocs.
Sa particularité est que l’ouvrage de 5 500m² a été conçu par une agence de… Shanghai (Chine) – studio Aotu architecture – fondée par… un architecte français, Hugues Leclercq. Xenocs est le leader mondial sur le marché des équipements de laboratoire pour la caractérisation des matériaux à l’échelle nanométrique au travers de la technique de diffusion des rayons X.
« Situé à quelques minutes à pied seulement du Synchrotron Européen (ESRF), le nouveau site permettra à Xenocs Grenoble de bénéficier de la proximité de ses partenaires stratégiques et du dynamisme du Polygone Scientifique », souligne Aotu architecture. Il s’agit du premier projet de l’agence en France.
Sinon, autre curiosité, allez voir La tour Panache, signée Maison Edouard François. Il s’agit d’une tour de logements de 50 m livrée en 2018 comprenant 42 logements et 32 terrasses déportées. Le logement le plus bas dispose de la terrasse la plus haute, le logement le plus haut de la terrasse la plus basse.
« Il s’agissait de démontrer ici la possibilité de réaliser des bâtiments innovants et économiquement raisonnables tout en offrant aux usagers une qualité de vie réelle et attractive. Ce projet donne aussi une autre image de la hauteur, en y inventant d’autres typologies radicales », indiquent les promoteurs du projet. Le bâtiment aux balcons qui poussent ?
Toujours est-il que cette ZAC se révèle être d’une tristesse infinie pour les amateurs d’architecture contemporaine. Les suiveurs pourront donc s’en rendre compte par eux-mêmes.
En attendant ce sont les coureurs qui espèrent que leur pousseront des ailes sur les pentes du Col hors catégorie de la Loze – 21,5 km à 7,5% de moyenne – pour une arrivée à 2 304 m d’altitude.
18ème étape (17 septembre) : Méribel > La-Roche-sur-Foron – 168 km
De la Savoie à la Haute-Savoie, une autre étape pour finir d’écoeurer de la montagne ceux qui ne le sont pas encore. Après les efforts de la veille, les organismes et les machines seront mis à rude épreuve. Qui sait encore ce que peux réserver la météo d’un Tour de France en septembre ? En tout cas, après le Cormet de Roselend à près de 2 000m, viendra l’enchaînement du col des Saisies et des Aravis avant la terrible montée du plateau des Glières (6km seulement mais à 11,2% de moyenne). Gare aux défaillances. Une fringale et le Tour est perdu !
Certes, nous avons ironisé à loisirs sur la difficulté de trouver de l’architecture contemporaine dans les alpages mais il ne faut cependant en aucun cas désespérer. De fait, à la vitesse d’un peloton déjà épuisé, les suiveurs ont largement le temps de se rendre à Saint-Julien-en-Genevois, un petit détour d’une trentaine de kilomètres par rapport à la route du tour. En effet, cette petite ville de 14 000 habitants en banlieue de Genève a décidé de transformer son centre-ville, aménagement confié à l’agence parisienne Praxys paysage & urbanisme.
A partir du constat qu’il existait une importante surface d’espaces publics de petite taille, peu structurés entre eux, souvent dévolus à l’usage unique de la voiture, Praxys a cherché à recomposer le réseau d’espaces publics tout en trouvant des espaces constructibles, qui permettent de dessiner les limites de ces nouveaux lieux et d’accueillir de nouveaux programmes. ‘Work in progress’ certes mais c’est apparemment cent fois mieux qu’un lotissement.
A la fin de l’étape, dans la descente, le suiveur pourra enfin passer par Annecy et aller découvrir l’étonnant programme mixte – Logements, hôtel, EHPAD – réalisé par Christian de Portzamparc (avec Méristème Paysagiste) qui propose ainsi une réinterprétation contemporaine de l’architecture de montagne.
Se « coulant » sur les pentes, les bâtiments sont formés pour la majorité de deux corps sur une base allongée de béton-pierre et d’un volume « toiture » habité, traité en zinc. Les terrasses des logements bénéficient de magnifiques vues. Chaque appartement s’ouvre par de longues baies vers le soleil, le parc, le lac, les montagnes.
Le long de l’avenue du Trésum, trois corps de bâtiment dessinent un front bâti rythmé par les entrées du parc. « Le corps central de l’ancien bâtiment des Hospices est conservé et devient l’hôtel des Marquisats. Entre ville et parc, jouant sur le dénivelé, un EHPAD offre à ses habitants des vues multiples au travers de grands ‘bow-windows’ ou de terrasses », indique l’architecte.
19ème étape (18 septembre) : Bourg-en-Bresse > Champagnole – 160 km
De l’Ain jusqu’aux reliefs du Jura, l’étape ne présente pas de difficultés particulières, la seule étant un col de quatrième catégorie (4,3km à 4,7%) qui fera rigoler même les quelques sprinteurs rescapés. Lesquels, si leur équipe est encore en état de contrôler la course peuvent espérer une victoire d’étape. Si leurs équipes sont trop cramées, les baroudeurs auront une carte à jouer. Ce sera la dernière et les équipes qui n’ont encore rien gagné voudront se mettre en valeur. Cela pourrait aller vite donc.
Pour les suiveurs, l’étape sera aisée également et sans détour. Quelques kilomètres après le départ, le tour passe quasiment à Saint-Etienne-du-Bois, petite ville de 2 400 habitants. C’est l’occasion d’aller jeter un œil à l’Espace Sportif, livré en 2013 et conçu en bois par l’agence Mégard architectes (Isabelle et Christophe Mégard).
Il s’agit d’une salle de jeux multisports où les activités sont mises en scène et animent « l’Allée des écoliers ». Le hall d’entrée, ouvert visuellement sur la grande salle (et en partie les salles annexes), est un lieu de rencontre. « Le travail de la structure offre à l’équipement un caractère chaleureux qui met en valeur l’espace de jeux par de larges ouvertures, et valorise l’espace des gradins par une ossature arborescente », explique l’agence.
Il suffit ensuite aux suiveurs amateurs d’architecture contemporaine de rejoindre l’arrivée. Une fois sur place, à Champagnole, aller visiter le Groupe scolaire intercommunal livré en 2018 par l’agence lyonnaise Tectoniques.
L’enveloppe extérieure protectrice en métal et le cœur en bois chaleureux et apaisant jouent sur le contraste pour imprimer à l’ouvrage une silhouette à la géométrie simple et rigoureuse. La cour intérieure occupe le centre de l’établissement tandis qu’une galerie en fait le tour pour desservir l’ensemble des locaux périphériques. Une ellipse décentrée découpe la toiture pour produire un disque de lumière qui se déplace au fil de la journée. En cas d’intempéries, les débords de la toiture protègent les enfants et les façades en bois. Les charpentes, dont le dessin a été pensé pour favoriser l’emploi de petits éléments en bois massif local, sont en épicéa commun du Jura, et les chevrons rayonnants du préau sont en lamellé-collé.
Puisque la fin du tour approche, après la visite de l’école, au pays des lacs et des cascades, faire un détour pour aller se baigner une dernière fois avant le prochain retour à Paris.
20ème étape (19 septembre) : Lure > La Planche des belles filles (clm) – 36 km
Le tour peut se gagner et se perdre sur cette dernière étape, un improbable contre-la-montre de 36km à travers la Haute-Saône avec pour final la montée vers la Planche des belles filles (1 148m), soit près de 6 km à 8,5 %. Autant dire que seuls quelques coureurs sont concernés par ce contre-la-montre, la plupart des autres seront heureux de finir le tour encore debout sur les pédales.
C’est également la fin pour les suiveurs qui auront tout le temps – les premiers sont les derniers à partir dans un contre-la-montre – d’aller faire un tour à Vesoul, à une trentaine de kilomètres seulement de Lure, où a lieu le départ. Là découvrir L’Université de Franche-Comté livrée en 2014 par l’architecte local François Vidberg.
Le projet s’organise en deux volumes principaux, le bâtiment existant (Bâtiment A ancien IUT) et son extension. Le bâtiment existant a fait l’objet d’une réhabilitation thermique et d’une mise aux normes PMR. La présence de la résille aluminium en double paroi constitue l’élément de liaison architectural avec le bâtiment existant. L’extension est pourvue de brise-soleil coulissants réalisés avec cette résille aluminium, apportant ainsi une unité à l’ensemble de l’opération.
Face au parvis, la façade nord est marquée par la présence généreuse d’une courbe et contre-courbe, habillée par la tôle aluminium perforée qui se détache avec légèreté des parois circulaires du hall d’accueil reliant ainsi les deux volumes en R+1 et R+2 du bâtiment existant.
Enfin, pour les suiveurs, pour boucler la boucle noter que c’est la même agence qui a en charge la construction d’un nouveau bâtiment d’accueil à… La Planche des belles filles. Le projet est en cours mais comme cette étape est devenue un classique du Tour, les suiveurs peuvent ainsi anticiper.
21ème étape (20 septembre) : Mantes-la-Jolie > Paris – 122 km
Comme chaque année jusqu’en 2024, la dernière étape du Tour s’élance des Yvelines pour rejoindre la capitale. C’est normalement une journée champagne pour les rescapés du Tour et la dernière chance pour les sprinteurs – qui n’en ont pas eu beaucoup – de s’exprimer pour une victoire de prestige.
De même les suiveurs seront excités de sentir l’écurie mais, après avoir découvert le méga-lot de Confluence à Lyon, ils pourront aller confirmer leur intuition en faisant un détour par Saclay. Certes, révélé par Le Monde, dans son édition 2020, publiée samedi 15 août, le classement de Shanghai place en 14ème position sur 1 000 l’université Paris-Saclay, « un niveau jamais atteint par aucune université française depuis la création de ce palmarès en 2003 ». Cocorico.
Si d’un point de vue académique, c’est une bonne nouvelle, d’un point de vue urbain, ce n’est toujours pas ça. Ce n’est pas tant que manquent les grandes pointures architecturales mondiales mais dans cette pseudo-ville sans attrait et à l’urbanisme désincarné, tous les bâtiments sont évidemment renfermés sur eux-mêmes, quasi autistes. Les suiveurs n’y trouveront par exemple nul lieu pour se rafraîchir. Qu’il est loin l’Institut de la mer de CAB à Nice.
Les plus curieux pourront cependant, dans la grisaille ambiante – surtout s’il pleut – en profiter pour découvrir un bâtiment lumineux : le Centre de Recherche et de Développement d’EDF, livré par Francis Soler, autre Grand Prix National de l’architecture, en 2016.
La conception en cercles des bâtiments réjouira autant les amoureux de la petite reine que ceux de l’architecture contemporaine. Elle a permis à Francis Soler de mettre en place des circulations verticales et radiales qui permettent à chacun des usagers de chacun des quatre bâtiments de n’être jamais à plus de 50 m d’un collaborateur. « La distance la plus courte est le rayon d’un cercle », souligne l’architecte. Dans le restaurant du bâtiment Iroise, qui peut servir jusqu’à 1 700 convives, « les grandes baies vitrées et les larges terrasses, sur lesquelles elles ouvrent, sont des ponts entre fonctions et sensations », dit-il.
Vu de l’extérieur, de près ou de loin, les formes et façades homogènes des bâtiments – il y a pourtant trois types de façades différents – qui accueillent des programmes d’une grande diversité, offrent une perception globale du projet qui évolue en fonction de la lumière, de la météo. « Il était impératif de gérer les contraintes de sécurité tout en gardant l’image d’un lieu ouvert », précise Francis Soler.
Un tel bâtiment, sans bois ni toutes les sottises végétales imposées désormais aux architectes, ne pourrait pas être construit aujourd’hui. Il faut donc en profiter.
Il sera alors temps de rejoindre les Champs-Elysées et célébrer le vainqueur.
Christophe Leray (dans la caravane)
Pour les suiveurs, retrouver :
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France 2018