Le 4 novembre 2021, le préfet de Seine-Saint-Denis a signé un arrêté d’évacuation pour la Tour IGH Obélisque, située à Epinay-sur-Seine. Cette décision est intervenue après un rapport du CSTB qui considère qu’il y a un péril grave et imminent. L’opération d’évacuation doit s’achever le 8 décembre. Retour sur l’histoire de la Tour et son inéluctable démolition.
La Tour Obélisque se situe à Epinay, dans le quartier Orgemont, quartier planifié et construit par Daniel Michelin, le père de Nicolas Michelin. Dans ce quartier de logement, la Tour semble veiller sur l’ensemble. Du haut de ses 94m, elle toise le quartier, composé de près de 5 200 logements dont 4 000 logements sociaux gérés par Seine-Saint-Denis Habitat et CDC Habitat (qui a racheté le parc d’Icade). Le quartier Orgemont a bénéficié de l’aide de l’ANRU pour la requalification des espaces dans un premier temps, et la réhabilitation ou destruction de logements sociaux fait partie de la 2nde phase du NPNRU.
La tour Obélisque, tour d’habitation privée, a été construite entre 1971 et 1973, et est composée de 32 étages et 163 logements. Elle connaît l’histoire typique de la paupérisation des habitants, rendue plus aigüe encore par l’augmentation des charges due notamment aux normes de sécurité et d’entretien d’un immeuble de grande hauteur (IGH).
La spirale a commencé dès les années 90 et la Tour n’a cessé de se dégrader. Un IGH demande un entretien constant, notamment une maintenance de la sécurité incendie, qui a fini par mettre les copropriétaires en défaut de paiement. Par ailleurs, il y a eu une défaillance dans la gestion de la copropriété par le syndic bénévole, soit les copropriétaires eux-mêmes, dans l’impossibilité de suivre et de gérer un immeuble aussi complexe dans sa réglementation. Sans argent, point de travaux. Sans travaux, un bâti qui se dégrade.
En 2010, la Tour est mise sous administration judiciaire. Le processus est extrêmement long, et en dehors de ce temps de gestion, c’est une gestion du bâti qui est à entreprendre. La Tour Obélisque intègre en 2018 le Plan Initiative Copropriété, qui vise à outiller les collectivités afin de résoudre les spirales infernales. La Tour va bénéficier alors du financement à 100% (HT) des travaux d’urgence pour le système d’incendie, et la chaufferie.
Les 4,6M€ de travaux sont pris en charge par l’Anah afin de sécuriser les ascenseurs, de remettre aux normes les PC sécurité et incendie, sachant que quatre agents de sécurité sont nécessaires sur le site pour ce type d’immeuble. Les travaux ont été achevés cet automne. CDC Habitat, en charge du portage, est mis à contribution et doit racheter 60 logements, reloger dans son parc les propriétaires devenus locataires, et accompagner au mieux les situations. A l’heure actuelle, 26 logements ont fait l’objet d’un rachat, et 13 autres sont en cours. La dette globale de la copropriété était en avril 2021 de 1.7M€. Les charges des copropriétaires peuvent atteindre 1 600€ par trimestre, la moyenne se situant entre 900 et 1000€. De fait, 40% des copropriétaires ne payent plus les charges, la dette à combler ne faisant que rapidement augmenter au fil des années…
Depuis le début de l’année, un doute plane sur le futur de la Tour, entre sa vie technique et les possibilités pour les habitants de pouvoir continuer à rester dans leur logement. Le rapport du CSTB d’octobre dernier, qui fonde la décision du préfet, fait état d’une dégradation importante des balcons des façades est et ouest et un risque imminent d’effondrement pour les balcons situés sur la façade sud. L’effondrement des balcons fait courir un risque à une partie des murs, fenêtres et sols. Deux autres rapports concluront à un mauvais état des balcons, un seul – demandé par le Maire – conclut à l’inverse. Une cinquième expertise a été demandée.
Nicolas Michelin déclarait dans un article du Monde (24/11) : « Les poteaux métalliques n’ont qu’une fonction esthétique et d’accrochage des garde-corps, qu’il faut donc changer. Mais les dalles des loggias, en très léger porte-à-faux, sont solides : je suis formel et prêt à le prouver en sautant à quatre dessus s’il le faut. En tant qu’ayant droit, je m’oppose à la démolition qui serait scandaleuse sur le plan patrimonial comme écologique, et réfléchis à un nouvel avenir, plus mixte, pour cette tour ».
Rien n’est convenable dans cette affirmation. Comment mesure-t-on le risque ? Si un propriétaire décide de s’adosser à son balcon, et que celui-ci vient à s’écrouler, qui portera la faute ? Sûrement pas l’ayant droit revendiqué. La mairie, parce que malgré les alertes rien n’a été fait ? Probablement. Et si un des garde-corps tombe sur un passant ou des enfants jouant sur la dalle ? Qui pour prendre la responsabilité ? Toujours pas l’ayant droit.
Quelques jours avant la décision d’évacuation, le préfet s’était déjà substitué au maire, un arrêt ayant été pris afin d’interdire l’accès aux balcons et aux pièces attenantes. Interdire les balcons car trop fragiles, cela veut aussi dire déterminer un périmètre de sécurité autour du bâtiment. Par ailleurs, que Michelin Nicolas le sache ou pas, en cas d’incendie, les balcons constituent des points de ralliement si une évacuation par l’extérieur devait avoir lieu. Au vu du mauvais état du bâti global, et si un sinistre devait être déclaré, comment dire à des propriétaires de rester sur leur balcon alors que ceux-ci présentent un risque d’effondrement ? Les pompiers sont dans l’impossibilité d’accéder au bâti par l’extérieur. A une tragédie, une autre pourrait s’ajouter. Que fait-on ?
Le préfet a pris une décision difficile, comme il l’indique dans Le Monde, mais il a sûrement pris la moins pire. Quand la sécurité des habitants est en jeu, est-on trop prudent ? La mémoire collective est-elle si défaillante qu’elle ne se souvienne pas de l’incendie de la tour Grenfell* à Londres en 2017 qui a fait 71 morts, ou, plus proche de nous, des drames de la rue d’Aubagne à Marseille il y a à peine plus de trois ans ?
Évacuer en urgence est difficile, tant est impossible de reloger en Ile-de-France. Le parc de logement est sous tension, les copropriétaires, considérés comme « privilégiés », ne sont pas prioritaires dans ce casse-tête, alors le relogement est à l’hôtel probablement. Il est également difficile de demander à des propriétaires attachés à leur habitat de tout quitter du jour au lendemain.
Quant à changer les garde-corps et réhabiliter la Tour, Nicolas Michelin aurait-il la capacité de financer la rénovation de la Tour ? Cela paraît bien simple face aux difficultés accumulées dont il ne semble pas avoir conscience, tant sans doute sa vie est éloignée des difficultés des habitants. Noter encore qu’il s’agit ici d’une tour de logements privés mais vivant sous intervention de la puissance publique depuis plus de dix ans. Qui paiera ne serait-ce que la mise en sécurité des balcons ? Nicolas Michelin ?
Au-delà de l’autorité de l’œuvre, la démolition semble être l’unique chemin. Il faudra pour cela que le tribunal prononce la carence de la copropriété et que, ensuite, un long parcours s’enclenche pour exproprier, reloger et proposer un nouveau projet qui conduira finalement à la démolition de la Tour. A moins que M. Michelin connaisse un bailleur qui souhaite acquérir les logements, ce qui éviterait la carence, et réhabiliterait l’ensemble ? Quel bailleur dispose d’une manne financière permettant de parcourir ce chemin parsemé d’embûches ? Demanderait-il l’intervention de l’ANRU au passage, puisque le quartier d’Orgemont de Daniel Michelin attaque sa 2e phase de requalification dans le cadre du NPNRU ?
L’histoire de la Tour Obélisque n’est qu’une histoire d’évacuation d’urgence parmi d’autres, comme Marseille en connaît chaque jour. Le bâti a pâti de la défaillance des copropriétaires. De cette tragédie, le moins serait d’éviter l’indécence, surtout de la part d’un ayant droit** qui semble très loin de la vie quotidienne des habitants de l’œuvre de son père.
Julie Arnault
*Lire notre article Pour la tour Grenfell de Londres, un revêtement fantaisiste ?
** Nicolas Michelin a déjà vécu cette mésaventure avec la Tour 13, ex-résidence Fulton, qui fut transformée en musée de street art avant sa démolition et la construction d’un nouvel ensemble par Bernard Bülher et ICF La Sablière. La réhabilitation là aussi aurait coûté plus cher que l’opération démolition-reconstruction. Nicolas Michelin a réussi tout de même à faire installer une exposition permanente sur l’œuvre de son père sur la coursive de l’ensemble : https://chroniques-architecture.com/residence-fulton-logements-bien-situes/