L’agence PetitdidierPrioux est connue surtout pour ses réalisations de logements. Mais ce serait là par trop réduire leur savoir-faire. En témoigne l’installation du Tribunal de commerce de Lille Métropole dans le rez-de-chaussée de la tour Mercure qui constituait un enjeu urbain, symbolique et fonctionnel. Aujourd’hui ce tribunal livré en janvier 2013 par les architectes Cedric Petitdidier et Vincent Prioux, participe à redynamiser le site autant qu’à redonner une cohérence à l’architecture emblématique de Willerval. (Re)découverte.
Un an après avoir livré le tribunal d’instance de Gonesse (Val d’Oise), l’agence PetitdidierPrioux est retenue pour l’aménagement du tribunal de commerce de Lille. S’il s’agit, comme à Gonesse, d’une réhabilitation suite à la fusion de trois tribunaux – Lille, Roubaix, Tourcoing – le contexte est totalement différent.*
Les surfaces allouées au futur tribunal sont au pied d’une tour construite dans les années 1970 par l’architecte Jean Willerval, une figure de l’architecture française de l’après-guerre. Sa notoriété interdit de toucher aux façades : on craint que toute intervention ne se heurte au veto de ses ayants droit.
La réhabilitation se double d’une reconversion : les lieux sont occupés par un réfectoire d’entreprise. Ironie du sort, Jean Willerval est aussi l’auteur du Palais de Justice de Lille, mais la chambre de commerce a insisté pour implanter son tribunal dans un quartier de la métropole lilloise qui pourra bénéficier de la présence de l’institution.
Enfin, le programme doit prendre en compte les desiderata de deux organismes : le tribunal, public, et le greffe, privé, qui se partagent les locaux, le premier en tant que locataire, le deuxième en tant que bailleur ; le tout devant répondre à un cahier des charges fixé par le ministère de la Justice.
Salle d’audience, bureau et greffe doivent occuper le rez-de-chaussée. Le tribunal investit un vaste plateau, conçu pour apporter un contraste à la tour, et de ce fait massif, opaque, une muraille de brique opposée à un gratte-ciel qui se veut élancé, léger et transparent. L’ensemble comporte quelques morceaux de bravoure : des banques d’accueil futuristes, un tunnel de verre semblable à celui des stations spatiales et des vaisseaux intergalactiques de films de science-fiction de l’époque.
Le projet revient aux fondamentaux de l’espace moderne, gomme ces indices du temps pour capitaliser sur l’insertion de formes libres dispersées dans un vaste champ. La surface s’est bien remplie, mais il reste suffisamment de vide pour lire l’ovale d’une nouvelle salle d’audience, réponse à l’ellipse de l’ancien amphithéâtre devenu plateau de bureau, ou au bloc cubique des sanitaires, transformé en vestiaire.
Entre les volumes, les différentes circulations organisent des flux séparant le public, les greffiers et les juges. La tension peut monter entre des visiteurs venus en masse d’une usine dont on s’attend à la fermeture imminente. L’institution est au cœur du tissu économique et social d’une région, ce qui explique la présence d’une entrée des artistes, une porte dérobée utilisée par toute personne désireuse d’une entrevue discrète avec le président du tribunal. Le dispositif est inscrit au programme.
L’ombre entourant ces rencontres furtives sied mal aux bureaux comme aux salles de réunion. Il fallait faire entrer la lumière dans cette masse opaque. Les architectes ont démoli la dalle pour créer des patios, et percé des ouvertures ponctuelles dans la toiture-terrasse. Le désir des usagers de conserver des hauteurs sous plafond réduites a transformé ces lanterneaux en puits de lumière profonds, traités à la façon d’une œuvre de James Turell.
La salle d’audience a été construite autour d’une coupole de verre déjà existante, qu’il a fallu parer de tissus pour des questions d’éblouissement. La transparence a été déclinée à la verticale. Une peau vitrée vient doubler le rare linéaire de mur rideau existant, évitant une mise en conformité thermique des menuiseries qui aurait été trop coûteuse.
Des lames de verre prolongent visuellement la salle d’audience vers la salle des pas perdus, dont l’ambiance balance entre deux époques. Le mobilier modulaire en mousse évoque aussi bien la fin des Trente Glorieuses que notre époque.
L’application d’une peinture brillante sur les briques flammées éteint le côté rustique du revêtement, et redonne de l’étrangeté à son curieux calepinage.
Olivier Namias
*Ce texte est extrait du coffret PETITDIDIERPRIOUX Volume 1, une collection de livrets des 10 premiers projets de l’agence