Dans le bureau 1495G au sixième étage du splendide et monumental immeuble qui abrite les services urbains de la ville de Paris avenue de France, en face de la magnifique BNF, un ingénieur territorial a été chargé par la direction de l’urbanisme d’une mission de la plus haute importance.
Une mission comme on en rencontre peu d’un tel intérêt : calepiner les arceaux de stationnement des vélos aux emplacements qui ont été décidés.
En effet, après quelques mois d’habiles négociations entre les assemblées de riverains organisés en atelier citoyen de quartier, les mairies d’arrondissement et la mairie centrale Ville de Paris (ayant pris acte des retours des usagères et des usagers sur leurs attentes des évolutions de la mobilité douce en milieu dense selon le nouveau pacte de gouvernance qui valide chaque étape du processus de toute action urbaine, de la conception, de l’élaboration jusqu’à leur mise en œuvre et l’évaluation des attendus selon les retours et les interrogations qu’elles suscitent), en présence d’une quinzaine d’ingénieurs territoriaux, de la voirie, des services d’animation de la vie de quartier, des mobilités etc. plus quelques représentants des ministères des Transports et de la Transition écologique, ces emplacements ont été choisis.
Après avoir lu les 350 pages du rapport des réunions préparatoires aux décisions de vote de la majorité au Conseil de Paris, notre ingénieur réfléchit aux implantations, dont la localisation ne le concerne pas (c’est à l’étage au-dessus à la direction de la voirie que seront prises les décisions concernant les emplacements dédiés au stationnement des vélos) : son sujet d’étude est la disposition des futurs arceaux dans ces futurs emplacements.
Ne bénéficiant d’aucune expérience en la matière et ne pratiquant pas le vélo, livré à lui-même, il n’a d’autre ressource que de regarder dans la Bible Absolue, l’ancêtre de toutes les démarches normatives : le Neufaert.
Ce précieux outil du dimensionnement donne 50 cm de guidon, plus 10 cm de chaque côté pour les mains, la formule magique : 70 m d’entraxe pour chaque arceau. Valeur confirmée par différents sites de vente d’arceaux.
Dans un autre quartier de Paris, un jeune designer, Birkenstock et Snowpant Maharishi, peaufine le dessin d’une trouvaille inouïe, qui lui valut d’être lauréat d’un concours de design organisé par la Ville de Paris pour un arceau à destination de stationnement des vélos : un arceau à double barre horizontale faisant trombone avec deux pieds verticaux. Ce qui permet de mettre un vélo de chaque côté sans que jamais les antivols ne se nuisent l’un l’autre (les antivols apprécieront cette quiétude que leur confère le dispositif).
Malheureusement l’ingénieur territorial et le jeune désigner ne se sont jamais rencontrés et tous deux ignorent la réalité de leur partition en deux temps deux lieux et deux objectifs isolés sinon contradictoires.
L’objectif de l’ingénieur est de s’accrocher fermement aux 70 cm d’entraxe des arceaux : la série des intervenants dans le processus de pose étant suffisamment compliqué à programmer.
L’objectif du jeune designer est de se relever la nuit pour admirer la splendide maquette de son trombone qui apporte, outre une novation exceptionnelle dans le monde du vélo, un splendide objet artistique qui allait égayer les rues de Paris pour des siècles.
Si la complémentarité évidente de leur profession respective les avait fait se rencontrer, sans doute auraient-ils vu, comme nous, le problème que pose un entraxe de 70 cm lorsque la largeur de l‘arceau devient 15 cm à cause de l’audacieux trombone : l’entraxe devient 55 cm !
Juste la largeur d’un guidon et pour accrocher l’antivol, il faut se munir de détachant pour le cambouis, quand ça ne nous coûte pas un pantalon chaque fois qu’on s’arrête !
Le petit conte qui précède est bien sûr une fiction, ce n’est pas ainsi que les choses ont dû se passer (quoique ???) mais alors que l’on explique comment, pourquoi, Paris est une des villes d’Europe avec une aussi grande ambition en matière de circulation à vélo, inversement proportionnelle à la place qu’elle leur laisse pour le stationnement.
François Scali
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