Quai Ouest, un bâtiment de bureaux de 16 500 m² conçu par Brénac & Gonzalez & Associés a été livré début 2017 à Boulogne-Billancourt (92), sur un quai de la Seine. S’agissant d’une restructuration lourde, la façade était l’image du projet. Gontran Dufour, associé depuis 2001 de l’agence et bureau d’études VS-A fondés par Robert-Jan van Santen, a suivi le projet dès sa conception. Enjeux techniques ?
L’agence Brénac & Gonzalez explique que, après un diagnostic structurel, le parti retenu est celui d’une nouvelle disposition fonctionnelle et spatiale et d’un système de façade basé sur une double peau ventilée en verre à l’intérieur de laquelle est positionnée la protection solaire.
«La proximité du fleuve a orienté le projet vers la recherche d’un effet de scintillement», expliquent les architectes. En effet, des panneaux de verre sont pliés en diagonale, créant deux triangles séparés par une arête vive, le premier reflète le ciel, le second les mouvements de la ville et les éclats du fleuve. «Ce manteau prismatique aux reflets mouvants et cristallins joue sur la perception, l’échelle, l’accumulation, la transparence ; il crée par la qualité du matériau et la préciosité de sa mise en œuvre une identité forte qui va accompagner la seconde vie de l’édifice», disent-ils.
Ces panneaux de verre pliés sont une première et, d’un point de vue architectural, la façade parle en effet pour elle-même.
VS-A est une agence spécialisée dans le design d’enveloppe de bâtiment. Gontran Dufour connaît bien Olivier Brénac et Xavier Gonzalez avec qui il a souvent travaillé, notamment avec la façade pliée du Coruscant, avec Jean-Pierre Levêque chef de projet. Sur Quai Ouest, la collaboration entre les deux agences intervient très tôt, dès les premières images de conception.
L’une des contraintes d’une réhabilitation lourde est de ne pas trop alourdir la façade. «Comme pour une feuille de papier, le pliage permet de raidir une feuille de verre, ce qui a permis de diminuer l’épaisseur du verre et de réduire le poids de l’ensemble», explique Gontran Dufour. Ce verre plié est devenu l’identité du bâtiment.
«Nous avons appuyé cette logique technique parce que le contexte du bâtiment s’y prête. Brénac & Gonzalez détournent cette logique technique pour en faire de l’architecture», souligne-t-il.
Comment plier le verre ? Quelle est la valeur du pli ? Autant de questions à approfondir quand Emerige rachète le projet. Du nouveau maître d’ouvrage, une injonction : pas d’ATEx.*
L’agence VS-A est coutumière du fait. Il y en avait eu deux par exemple pour le bâtiment #cloud de Philippe Chiambaretta (PCA Architecture) livré à Paris. «Il y a globalement assez peu de mauvaises expériences avec les ATEx mais il a suffi de quelques expériences ratées pour faire peur aux maîtres d’ouvrage», souligne Gontran Dufour. En réalité, «une ATEx devrait les rassurer puisque la conception technique mise en œuvre sur l’ouvrage est validée par un collège d’une dizaine d’experts», dit-il.
Les architectes et le bureau d’études ont donc dû concevoir leur double peau ventilée avec verre plié en s’appuyant sur les DTU existants. La réglementation sécuritaire limitant les risques au maximum, et ce, au détriment de l’efficacité, il faut vraiment être très motivé pour innover…
Toujours est-il qu’un tel verre ainsi plié n’avait, semble-t-il, jamais été mis en oeuvre.
«Nous avions l’expérience du travail du verre, bombé avec l’hôtel Renaissance avenue de Wagram de Christian de Portzamparc ou avec un verre de géométrie complexe tel celui de l’entrée du musée des Confluences de Coop Himmelb(l)au. Ici, dans la définition du vitrage, nous voulions nous assurer de la planimétrie des triangles pour garantir la réflexion de chaque face», explique Gontran Dufour.
Socotec, le bureau de contrôle sollicite un essai de choc en amont, l’occasion de commander un vitrage à trois entreprises spécialisées : les Italiens de Sunglass, les Allemands de Glasssolutions et les Espagnols de Cricursa. Finalement, Sunglass se retire de l’aventure, à charge pour les deux autres verriers de produire un prototype.
Quand Brénac & Gonzalez et VS-A déballent les caisses, il est manifeste que les verres du prototype de Glasssolutions sont mieux pliés, beaucoup plus plans, avec une arête vive nette et précise. Sur l’autre prototype l’arête est plus large, moins tranchante, moins droite.
Une telle différence est due à l’outil industriel explique explique Gontran Dufour. La société allemande est équipée d’un four mixte qui fait monter au gaz la température du verre, avant de le chauffer au droit du pli avec une rampe électrique, méthode qui a permis l’élaboration d’un produit aussi conforme que possible aux vœux des concepteurs. Les verres respectent la géométrie et les tolérances des caissons. Roulez bolides ?
Pas encore tout à fait. Cette façade est un investissement. Au début, il était prévu d’enlever toutes les allèges du bâtiment existant et de produire du verre à hauteur d’étage. Mais le budget façade excédait alors la jauge. «Pour garder le verre plié, le seul levier économique qui nous restait était de garder les allèges en béton et poser les châssis sur ces allèges», souligne Gontran Dufour. Des économies sur la dépose des allèges et la taille des châssis donc qui, même si elles ne dénaturent pas l’ouvrage, sont aujourd’hui visibles pour les observateurs.
Certes, cette façade a un coût – 1 500€ le m² – mais la hiérarchie des besoins permet d’équilibrer le budget. Ainsi, les façades à l’arrière du bâtiment, de moindre enjeu, sont toutes de facture classique.
Quant à l’expression architecturale, les triangles, selon le vœu des architectes, reflètent le ciel et la Seine.
Le concours date de 2012, livraison en 2017 donc. Coût des travaux : 32M€. Le groupe Amaury, spécialisé dans le domaine du sport, a acquis l’immeuble en mars 2017.
Christophe Leray
* L’ATEx est une évaluation sur dossier, ce qui signifie que le demandeur doit constituer un dossier de preuves pour qu’un collège d’experts, dit comité d’ATEx, puisse se prononcer sur les aspects suivants : faisabilité, sécurité, risques de désordre et, éventuellement, aptitude à satisfaire une réglementation.