Donner un caractère résolument contemporain dans le cadre d’une réhabilitation extérieure classique et imposée est un exercice subtil qui doit jouer, et parfois s’affranchir, de multiples équilibres. De l’intérêt du travail des architectes Avignon-Clouet, qui ont su, à l’Ile de Ré (17), transformer une petite maison en mauvais état en havre de paix, protégé autant qu’ouvert sur l’extérieur.
Présentation de Benjamin Avignon et Saweta Clouet (Nantes)
« Le maître d’ouvrage de cette maison est un couple passionné d’architecture qui avait repéré notre travail lors de notre participation à la Biennale de Venise et de notre sélection aux Nouveaux albums des jeunes architectes. Notre rencontre s’est donc avérée fructueuse.
Il s’agissait au départ d’une petite maison de pêcheur à La-Flotte-en-Ré, sur l’île de Ré, complètement cloisonnée, sans véritable rénovation de la construction au XVIIIe siècle. La charpente, bricolée avec des mâts de bateau, était pourrie, le toit et toutes les menuiseries devaient être refaits afin d’être étanchés ; en un mot il fallait rendre la maison saine. Les contraintes d’urbanisme (zone protégée ZPPAUP) sur l’île nous imposaient une réhabilitation strictement conforme à l’extérieur. Une simple réhabilitation ne nous intéressait pas, mais le fait de considérer le projet dans son ensemble offrait des défis intéressants en terme d’architecture : le contraste entre l’extérieur refait à l’identique et l’intérieur, la dualité entre architecture contemporaine et régionale par exemple.
Nous pensons en effet que la confrontation permet de donner de la force aux différents éléments du programme : confrontation entre les domaines intime et public, entre le jardin et la mer, entre le contemporain et le classique, entre le vide et le plein. Nous avons la même approche en ce qui concerne nos relations avec le maître d’ouvrage. Il nous paraît important d’aller au-delà de la commande, d’être constamment dans un mode de propositions, d’offrir au client des solutions auxquelles il ne s’attend pas, quitte à provoquer de ‘fausses’ situations de conflit’ (rires). Il faut que le client soit surpris. De fait nous lui avons ici proposé un projet radicalement différent de ce qu’il avait imaginé.
La maison tournait le dos à la mer et s’ouvrait sur un jardin. Notre intervention est donc marquée par notre volonté de rendre une vision plus claire de la mer et du jardin, de rendre la maison ‘poreuse’ par rapport au paysage. Le projet fut donc entièrement conçu en fonction de ce contexte, d’une orientation offrant une vision de ces paysages. Comme nous disposions d’une bonne hauteur sous plafond (3,30m), la première idée – acquise dès la première visite d’ailleurs – fut de relever le sol de 80cm, à hauteur d’allège afin d’offrir ces points de vue.
Cela nous a permis également de cacher toute la ‘technique’, le ballon d’eau chaude par exemple, dans le faux plancher. Rien ne se voit : quand on arrive (il ne s’agit pas d’une simple maison de vacances puisque les clients y passent plusieurs jours par semaine), on pose ses bagages et l’esprit est libre d’emblée car il n’est pas parasité par trop de détails.
Le décloisonnement, qui a permis la création d’un grand volume simple et libre, offrant ainsi à l’intérieur un linéaire de façade de dix mètres de long, procède également de cette volonté d’accès au paysage. Les deux chambres (dotées chacune d’une salle de bains), inscrites dans la longueur (une à chaque extrémité), ont ainsi une vue tant sur la mer que sur le jardin. Toute la maison jouit d’ailleurs d’une transparence permettant de bénéficier des deux décors, l’un changeant constamment avec le jeu des marées, l’autre immuablement vert.
Pour nous, l’architecture est aussi une façon de raconter une histoire et les détails, jusqu’aux vis et boulons, doivent raconter cette histoire. Nous avions déjà travaillé dans un contexte balnéaire, au Pouliguen, face à La Baule. Ici, c’est l’imaginaire du voyage qui s’est imposé sous forme d’un assemblage faussement maladroit de matériaux assez pauvres – pin, mélaminé de base – qui rattache la maison à son origine modeste mais se révèle au final extraordinaire, sans compter qu’il offre des performances acoustiques intéressantes. Des poignées en forme de poignées de valise participent de cet esprit. Cet assemblage avec des ‘petites rustines’ (rires) évoque le monde de l’enfance, avec genouillères et pantalons percés. Le petit bureau en cannage est également un clin d’œil, ma grand-mère avait des meubles en rotin dans la maison de vacances.
Nous avons dessiné le mobilier, le bureau, les luminaires dans la salle de bains. Nous articulons souvent tous les espaces avec des rangements. Non seulement ces ‘meubles’ sont ainsi moins chers que dans le commerce mais, outre l’économie d’espace, ils sont conçus exactement pour répondre aux désirs et aux besoins des clients ; ils sont à la bonne hauteur par exemple. La technique cachée dans le faux plancher, des rangements bien aménagés… les habitants du lieu ont tout loisir d’apprécier l’espace, lequel s’ouvre et se ferme en fonction des moments, de la recherche ou non d’intimité (cloisons mobiles dans les panneaux séparant les chambres du séjour par exemple). Nous réalisons toujours un prototype à l’agence, ce fut le cas pour ce patchwork. Quand le concept et l’histoire sont acquis et maîtrisés, les choses fonctionnent bien. Nous avons eu la chance d’avoir un client qui fait confiance, qui joue le jeu de l’architecture.
Le prix des travaux – 176.163 euros TTC (hors honoraires) – n’est pas indicatif de l’ampleur du chantier puisqu’il inclut le sol creusé, le plafond restauré, la restauration des voliges, une nouvelle charpente et une nouvelle couverture, la reprise de façade et leur peinture, les menuiseries et la restauration/construction d’un appentis devenu bureau. C’est un coût relativement modeste – tans pis pour nous (rires) – mais là n’est pas l’essentiel. Ce qui est important est que nous avons réalisé l’intervention qui nous semblait la plus juste par rapport au lieu et à l’art de vivre des client, qui sont ravis de leur maison ».
Propos recueillis par Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 30 mai 2007