Maintenant que les projets des deux groupements lauréats sur les lots E et D du village olympique sont connus – le projet Nexity/Eiffage coordonné par CoBe et KOZ et le projet d’Icade coordonné par uapS – il est permis d’en tirer quelques enseignements.
Un projet presque sévère tellement il est tenu
Que l’on aime ou pas le plan-guide conçu par Dominique Perrault, sur 51 hectares à cheval sur trois communes (Saint-Ouen, Saint-Denis, Île-Saint-Denis), force est de constater que le projet, présenté en grande pompe à Cannes en décembre 2018 lors du MIPIM, semble parfaitement en ordre de marche un an plus tard. Il s’agit bien d’un projet urbain, pas d’un projet olympique.
L’enjeu était en effet d’inscrire l’évènement olympique, ici l’hébergement, dans un quartier faisant préséance à l’évènement. En d’autres mots, un quartier pour accueillir les Jeux Olympiques, pas l’inverse. Ce pari à ce jour semble tenu. Les diverses perspectives des équipes lauréates présentées fin novembre 2019 en témoignent abondamment : il ne s’agit en rien d’un village olympique mais bien d’un nouveau quartier de ville.
«Ce projet sur un territoire déjà habité est une première et, selon nous, correspond à l’éthique et l’ambition du Comité olympique que les jeux ne soient pas une punition pour les villes mais un élément de transformation de la matière urbaine», souligne Dominique Perrault dans un entretien avec Chroniques.
A ce titre, pas de grands gestes d’alchimiste porté par la passion du jeu (olympique) mais une vision à la mesure de l’évènement, entièrement dessinée, préfiguration complète et raisonnée du quartier qui donne envie d’y croire. Dominique Perrault tient d’ailleurs à saluer «les architectes français qui, dans de tels délais, ont extrêmement bien travaillé, avec un souci constant de qualité».
Happy end, l’architecture vainqueur par K.O.
Après le forfait en septembre 2019 d’un quatrième concurrent – le groupement composé de la foncière Gecina et BNP Paribas Real Estate – ne restaient que trois candidats, dont Bouygues, sur les deux lots. Vinci, qui dispose de ses propres terrains pour le dernier lot va mettre en œuvre plus de 100 000m². Résultat des courses ? Sur la ligne d’arrivée, Bouygues, sur son terrain s’il en est un, est absente des Jeux Olympiques parisiens. Si ce n’est pas une catastrophe industrielle, cela y ressemble comme Hypnos à Thanatos, puisqu’il est question de jeux antiques. Qu’est-ce que cela peut bien signifier ?
Les observateurs et les acteurs du projet, de la Solideo (Société de livraison des ouvrages olympiques) jusqu’aux architectes lauréats en passant par les politiques, chacun pour ses propres raisons, se sont tous félicités de la qualité architecturale des projets lors de la présentation des lauréats. Même L’Equipe et Challenge se sont mis à parler d’architecture comme Monsieur Jourdain faisait de la prose. En effet, de quoi parler d’autre ?
La charge foncière était connue d’avance et toutes les équipes ont évidemment peu ou prou atteint le plafond imparti. Idem pour les questions de performances environnementales, énergétiques, etc. : la somme de tous les éléments permettait à toutes les équipes d’atteindre un niveau correct de performance, les bureaux d’études connaissant tous les mêmes réponses aux mêmes équations.
Cela signifie que, pour le jury réuni par la Solideo, le vrai critère de sélection des projets en course, le plus important, celui qui restait, fut donc l’architecture, au moins dans sa vision compréhensible par le grand public et, ultimement, par ceux qui vont y habiter. «Les deux projets lauréats ont fait des propositions d’une qualité urbaine aimable, intéressante, très structurée, qui parle d’un certain bonheur de vivre en métropole», souligne Dominique Perrault. En creux, suivez son regard.
«Je suis convaincu que réussir le Village Olympique permet de matérialiser des ambitions de création contemporaine qui seront autant de références et la démonstration d’un process pour d’autres projets futurs de transformation des métropoles», poursuit-il.
L’architecte explique que, depuis l’été, des réunions hebdomadaires ont réuni jusqu’à 70 personnes, pour aborder chacun des multiples sujets de cette opération hors normes, qu’il s’agisse de développement durable, de paysage, de la typologie des logements, de la réversibilité, etc.
«Pour cet enjeu emblématique, ce travail d’exception est l’oeuvre d’équipes très soudées. Les deux groupements lauréats ont gagné parce qu’ils ont de bonnes équipes, capables de travailler ensemble, de parler aux entreprises et au maître d’ouvrage», indique Dominique Perrault. Suivre son regard à nouveau et comprendre tout l’intérêt, selon l’homme de l’art, qu’ont aujourd’hui les acteurs de la construction à changer de paradigme.
S’il a raison et que l’architecture a gagné, alors le Village Olympique aura permis de montrer aux Majors de la construction l’impasse que représente vis-à-vis des architectes la seule logique du rapport de force et de l’intimidation. Cela semble une évidence que pour gagner des projets de cette dimension, à l’heure d’enjeux urbains locaux et planétaires, nul ne peut plus faire l’économie de l’architecture et des architectes. Si le message n’était pas encore clair pour tout le monde, ce village olympique vient le rappeler utilement.
Se méfier des incantations
Les incantations et outrances politiciennes ne font que refléter les inquiétudes de l’époque. Evidemment que, non, tout le village olympique ne sera pas en bois, les deux groupements lauréats expliquant noir sur plan dans leurs présentations avoir recours pour l’un à «une construction Bas Carbone en bois ou mixte bois/béton bas carbone», pour l’autre à «un système constructif préfabriqué poteaux-poutres en bois d’origine française et en béton bas carbone». Autant pour les promesses abracadabrantesques.
Il n’empêche que la filière bois française qui ronronnait tranquille a vu le XXIe siècle lui tomber dessus et enfin compris qu’il lui fallait se réorganiser fissa. Avec le risque de la simplification à la française, l’objectif est donc de 50% de bois français pour le village, ce qui serait déjà pas mal.
Quoi qu’il en soit, il demeure que la filière bois française, à l’issue de l’épreuve, en sortira transformée et, il faut l’espérer, plus opérationnelle qu’elle ne l’était hier. Qui plus est, avantage collatéral, le fait est que cette ambition bois, fut-elle démesurée, a fait bouger l’ensemble de la filière béton vers un béton ‘biosourcé’ ou ‘bas carbone’, lequel, selon Dominique Perrault, est appelé à devenir un béton standard.
Aussi, quand les 50% d’espaces publics qu’il a tenu à préserver dans son projet deviennent par la magie de la communication des «forêts urbaines», Dominique Perrault n’est pas dupe. «Il faut résister aux incantations», dit-il. «L’empreinte carbone d’un bâtiment passif n’est pas faible mais un bâtiment passif peut durer toute la vie ! Il faut donc un assemblage de moyens et politiques hybrides pour calculer la durabilité. Nous avons pensé le village olympique de façon globale et assemblé tous les acteurs dans un grand récit, il faut calculer la durabilité à l’échelle de tout le quartier», dit-il.
Un projet pas si compliqué
A la fin, que le projet soit tenu, si ce n’est la moindre des choses, c’est peut-être aussi parce que Dominique Perrault n’essaie pas de réinventer l’eau chaude. Pure coïncidence sans doute, le décret autorisant le permis d’innover est paru le même jour que la présentation au MIPIM. Tapis rouge ? En réalité, explique-t-il, tout l’environnement réglementaire du quartier a été respecté. «Nous ne sommes pas dans un processus expérimental», dit-il, même si chaque groupement doit, sur chaque lot, ériger un projet plus audacieux pour lequel ce permis d’innover sera utile.
De fait, le même cadre – le respect du dispositif des volumes par exemple – à chaque fois réinterprété permet à une grande diversité d’écritures architecturales de s’exprimer. La qualité et la diversité des vues, sur les mails et jardins intérieurs des îlots notamment, le rapport majestueux à la Seine… Malgré sa densité, l’ensemble apparaît à l’échelle urbaine du territoire, les Villas du projet du groupement Nexity faisant l’articulation entre Pleyel, appelé à devenir un hub vibrant du Grand Paris (équivalent à la gare de Châtelet-les Halles), et le vieux Saint-Ouen.
Demain est un autre jour
2024 est le centenaire des jeux de Paris de 1924. Dans 100 ans, les jeux de Paris seront-ils un témoignage pertinent de la transformation de la ville industrielle en quartier urbain ?
Une chose est sûre, si l’architecture a emporté cette étape, c’est maintenant que les choses entrent dans le dur avec des délais extrêmement serrés. Le village sera évidemment ouvert en temps et en heure – ce n’est pas comme si on allait envoyer 17 000 athlètes chez Airbnb – là n’est pas la question, mais il ne faudrait pas que les promesses, tenues jusqu’à aujourd’hui, soient dépouillées de leurs plus beaux atours pour cause de manque de temps, de budget mal ficelé ou d’entreprises défaillantes ou trop gourmandes.
Dominique Perrault va donc devoir résister encore à beaucoup d’incantations, de plus en plus comminatoires au fil du temps. S’il réussit son pari 2024, surtout celui de 2025, ils seront nombreux à voler au secours de la victoire. Sinon, l’architecte sera une victime expiatoire toute trouvée !
Christophe Leray