![Le métro Guimard](https://chroniques-architecture.com/wp-content/uploads/2025/02/01-Le-metro-Guimard-Porte-Dauphine-Paris-XVIe-@Bellomonte-1024x683.jpg)
Souvent la confusion reste entretenue entre deux notions, une vision et une utopie. Il n’est pas inutile de pousser une idée le plus loin possible pour trouver les conditions qui la rendraient réaliste, voire réalisable, et peut-être même s’y préparer. La démarche peut avoir du bon.
Si les déplacements parisiens doivent devenir de plus en plus agréables en surface, alors que vont devenir les galeries du métropolitain, ce métro qui a été conçu à une époque où les encombrements en surface ne trouvaient pas de réponse satisfaisante ? Il y a donc une relation étroite entre ce qu’il est convenu d’appeler « la voirie » et les services rendus par le métro.
Les idées mettent du temps à se développer
À la question « Comment voyez-vous la ville de demain ? » Je répondrais : fluide, dépolluée, porteuse d’une histoire, celle de la beauté qui à travers les siècles a façonné notre façon de vivre ensemble. Une ville au centre de laquelle le patrimoine serait une sorte d’équivalent de « la nature » et qui permettrait de regarder l’avenir avec optimisme.
En 1990, un projet de doublement du périphérique sous le périphérique, assorti d’une traversée de Paris en tunnel, faisait l’objet d’une étude. Sans aucune difficulté technique particulière, la question à l’ordre du jour était : « avec une circulation automobile réduite de façon drastique dans Paris, qu’allait donc devenir tout l’espace rendu disponible ? ».
Aujourd’hui, avec la surface de la ville qui se libère lentement de l’emprise automobile, ces questions se posent à nouveau :
– Quelle affectation de cet espace récupéré sur la circulation et le stationnement ?
– Si l’emprise actuelle dédiée à l’automobile est utilisée par les transports en commun, l’utilisation du métro deviendra-t-elle obsolète ?
– Qui se précipitera pour prendre le métro si de nombreux aménagements permettent de rester en surface et d’admirer la ville ?
Doit-on pour autant imaginer que la nature doit envahir l’espace des villes européennes et leur donner une dimension sauvage ? La sauvagerie est représentée aujourd’hui par les sangliers et les renards de plus en plus nombreux dans certaines villes mais porteurs de maladies. Bientôt ce seront les loups.
Quelle vision pour la ville ?
Les deux événements de l’année 2024, la réouverture de Notre Dame et la tenue des jeux olympiques, n’ont laissé aucune trace architecturale remarquable, juste une belle organisation militaire. C’était pourtant l’occasion de produire, d’inventer de nouvelles formes de bien commun.
Juste avant l’ouverture des Jeux paralympiques, Valérie Pécresse a lancé l’idée d’un projet pharaonique : rendre accessible le réseau historique du métro parisien aux PMR (personnes à mobilité réduite). Un chantier de vingt milliards d’euros étalé sur vingt ans. Une idée ambitieuse, généreuse. L’annonce était d’autant plus importante que le public a pu dans le même temps découvrir une exposition historique autour de la réalisation du métro parisien, un chantier hors norme. Le président de la Cité de l’Architecture et du Patrimoine a pu alors s’enorgueillir d’avoir reçu 120 000 visiteurs, un nombre bien plus important qu’à l’ordinaire. L’intérêt pour des thématiques urbaines et contemporaines semble de retour. L’exposition ne s’est pas étendue sur le ressenti des Parisiens qui, à l’époque de la construction du métro, refusaient de descendre sous terre, dans ces lieux maléfiques. L’histoire raconte comment Hector Guimard a été convoqué pour créer l’entrée des stations, avec un décor urbain fait de ramures censées apaiser les peurs provoquées par les nouvelles technologies.
S’il ne viendrait à l’idée de personne de critiquer le bien-fondé d’un tel projet, vingt milliards c’est quand même beaucoup d’argent !
Le tortueux métro parisien, âgé de plus de 120 ans par endroits, est formé de kilomètres de tunnels, de quais et de couloirs qui renforcent la complexité de sa mise en accessibilité. L’annonce de ce projet était assortie de quelques réserves car sur les 302 stations, seules 27 sont accessibles aujourd’hui. Et s’il est vrai que certaines dispositions seront prises pour les nouvelles constructions, au dire de la RATP bon nombre de stations ne seront jamais accessibles. Il serait aussi intéressant d’évaluer le surcoût d’exploitation avec ces centaines d’escalators et d’ascenseurs nouveaux à entretenir.
Avec vingt milliards, ne pourrait-on pas améliorer les déplacements urbains en surface ?
En effet, cette décision est d’autant plus étonnante que l’espace de la voirie parisienne se vide chaque jour un peu plus et que de moins en moins de véhicules circuleront dans la capitale (avec, il est vrai, de plus en plus d’encombrements,) gageons qu’il s’agit d’une situation transitoire.
On descend dans le métro le plus souvent par nécessité.
Alors est-ce que cet investissement est vraiment une bonne idée ?
Si la politique de la ville est de supprimer l’automobile, que seront les rues parisiennes dans vingt ans quand la totalité de la circulation individuelle sera éradiquée ? Il ne restera que les transports en commun, qu’il faut espérer efficaces, et des moyens de déplacements individuels à encombrement réduits. Une part importante de l’espace restitué sera utilisée par les piétons et les cyclistes mais, dans le meilleur des cas, il ne s’agira que d’une partie de l’espace. Il va falloir faire preuve de plus d’imagination pour définir son occupation. La « forêt urbaine », qui a remplacé la fontaine de la place de Catalogne, va vite devenir un dépotoir, un lieu à éviter dans les déplacements nocturnes.
Air, sol ou sous-sol, les Parisiens n’auront que l’embarras du choix
Au dix-neuvième siècle, le sous-sol était encore disponible et l’utilisation de l’espace aérien inimaginable.
Au vingtième siècle, le plan Voisin de Le Corbusier avait prévu un aérodrome en son centre et des avions qui décolleraient verticalement, les ingénieurs n’avaient pas tort.
L’espace aérien a été envisagé comme support de déplacement par drones, hélicoptères et autres moyens à inventer. Si nous n’avons pas vu les drones lors des J.O, ce sera pour demain. Il va être urgent de prévoir deux cents terrains d’atterrissage pour le Paris futur… et que vive notre ciel !
La logique urbaine de la ville de Paris est la suppression des automobiles individuelles, polluantes, bruyantes et encombrantes, qui occupent encore 40 000 des 130 000 hectares d’espaces publics de rues, avenues, boulevards et places de la capitale, mais cette suppression ne s’est pas accompagnée d’une amélioration substantielle des transports collectifs et individuels. La suppression des places de stationnement, qui a commencé par le plan Vigipirate, s’est étendue après la Covid avec la multiplication des terrasses.
Bricoler ne fait pas un projet
Quelques baliveaux en guise de forêts urbaines ne font pas une réponse satisfaisante pour créer des îlots de fraîcheur. De la même manière, il ne suffira pas de peindre les toitures et les chaussées en blanc pour modifier l’albédo, ni planter des parterres, au pied des arbres car, souvent mal entretenus, ils font apparaître la difficulté à penser la beauté urbaine.
Après l’éradication de l’automobile individuelle au centre de la capitale, les édiles de Paris devront expliquer leur politique et accepter la suite logique de l’histoire qui va se dérouler sur le périphérique. Celui-ci deviendra un magnifique boulevard urbain.
Que ferons-nous du sous-sol ?
Le métro de Paris, malgré tous les efforts, restera difficile d’accès et sa désaffection me paraît inéluctable à terme. Il pourrait devenir un monument historique en soi. On pourrait aussi agrandir les catacombes qui font le plein de visiteurs, sorte de vaste cimetière souterrain, musée aux multiples entrées sans besoin de gardien.
On pourrait aussi imaginer une prison ou un labyrinthe moderne dont seuls quelques initiés détiendraient les énigmes.
J’entends déjà ceux qui pensent que l’urbanisme souterrain a un avenir et qui veulent transformer les tunnels en parc d’attractions.
Le politique a bien du mal à nous faire vivre le futur au présent et à dire vers quel horizon nous projeter.
L’avenir du périphérique est un enjeu majeur qui concerne les Français au-delà de Paris et de sa région.
Toutes les idées sont bonnes à explorer
Edouard Utudjian, apôtre de l’urbanisme souterrain, voulait nous faire vivre sous terre, et d’autres sous l’océan.
Le métro n’est pas assez profond pour servir d’abri alors pourquoi ne pas en faire le grand jardin nourricier de la capitale, un dédale de tunnels qui deviendrait le circuit le plus court pour acheter des légumes frais. On peut aussi penser à la culture de champignons ou à l’élevage de grillons. En Antarctique, des scientifiques cultivent déjà des légumes hors-sol, sans lumière du jour. La gestion de la nourriture est aussi un élément fondamental des futurs voyages spatiaux et la recherche spatiale bénéficiera à la vision de la ville de demain.
Les stations de métro seront des îlots de chaleur l’hiver et de fraîcheur l’été. On descendra sous terre, non plus pour prendre le métro mais pour profiter d’un air purifié et voir les légumes pousser deux fois plus vite qu’en surface ! Les entrées d’Hector Guimard retrouveront un nouveau sens et peut-être une source de réflexion pour les futurs embellissements urbains, dignes de ceux réalisés par le pape Jules II à Rome.
Qui ira prendre le métro sous terre si la régularité des transports en commun et l’accessibilité aux PMR sont assurées en surface et si la totalité de la ville est réellement desservie ?
Vingt milliards sont en quête d’un grand projet pour l’embellissement de la ville lumière.
Alain Sarfati
Architecte & Urbaniste
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