La logique binaire des bailleurs et maîtres d’ouvrage – collectif vs individuel, macro ZAC vs lotissement – est à bout de souffle, sinon encore dans les faits, au moins dans les esprits éclairés. A l’heure où, à Toulouse, un bailleur lance un programme de 192 logements intermédiaires, l’un des plus gros programmes de ce type à ce jour, retour d’expérience avec Bruno Palisson et Jean-Luc Calligaro (Po&Po) qui furent parmi les premiers à étudier au fond cette solution du troisième type.
C’est le maire d’un bourg coincé entre l’autoroute et deux macro-ZAC qui raconte. De fait, quand les architectes découvrent la carte et les plans d’urbanisme, le bourg est quasi hors plan, dans un coin, hors champs. «On n’a pas de réponse, personne ne s’y intéresse, ça vous intéresse ce sujet-là ?» se désole le maire. Il connaissait l’agence Po&Po de nom, car Bruno Palisson et Jean-Luc Calligaro, les deux Po, avaient livré quelques années plus tôt à Vert-St-Denis (77), sur un site également délaissé, un programme de 19 logements intermédiaires qui, quelques années plus tard, a fait la démonstration de ses qualités. Qui plus est, le CAUE venait, en 2015 de récompenser l’opération de 29 logements intermédiaires de Colombelles (14). Le maire avait donc pris son téléphone et appelé Po&Po.
Avant d’aller plus loin, une remarque de vocabulaire s’impose. En effet, il y a deux définitions pour le logement intermédiaire, une gouvernementale et une architecturale. Selon l’approche légale, «le logement locatif intermédiaire désigne des habitations neuves à loyers maîtrisés, destinées à ceux qui ne peuvent prétendre aux logements sociaux mais dont les ressources ne permettent pas toujours l’accès ou le maintien dans le parc privé». Pour un architecte, en résumé, le logement intermédiaire est une alternative au logement collectif et au lotissement, ce qui n’est pas du tout la même chose. Pourtant, les articles de presse à propos des nouvelles dispositions financières ou nouveaux barèmes de loyer concernant le logement à loyer intermédiaire sont presque toujours illustrés par une photo de logement intermédiaire réalisé par un architecte. Bref la confusion demeure, même dans les revues professionnelles, et c’est sans doute de la première définition que nombre de maîtres d’ouvrage ont seulement entendu parler.
Les architectes Bruno Palisson et Jean-Luc Calligaro ont commencé à s’intéresser au logement intermédiaire dès les années 2000 lorsque, tout au large des banlieues, ils se sont retrouvés confrontés à des entre-deux encore agricoles mais avec la ville pavillonnaire approchant rapidement et des bourgs perdus face à la mécanique actuelle des ZAC – 5 000 logements d’un côté, 3 000 de l’autre – qui finissent par se ressembler toutes sur le territoire. Ils eurent depuis l’occasion de réaliser plusieurs opérations – entre autres Villiers-le-Bâcle (91), Chessy (77) et Antony (92) – leur permettant d’approfondir ce sujet au point d’en acquérir aujourd’hui une expérience singulière.
Ils n’étaient certes pas les seuls à chercher dans cette direction. En 2004 déjà, lors de la livraison des Villas Torpedo à Saint-Denis (93), Périphériques avait relevé «le défi de recréer les conditions de la maison individuelle dans un ensemble collectif» ainsi que l’avait énoncé David Trottin. En 2007, avec de la promotion privée, l’architecte Stéphane Curtelin livrait en pleine cambrousse 24 logements intermédiaires dans le Rhône (69). En 2013, Gaëtan Le Penhuel livrait 48 logements sociaux, dont 24 intermédiaires, à Vitry-sur-Seine (94) et, la même année, Blatter Architecture livrait 36 tels logements à Nevers (58).
Dans la plupart des cas, il s’agissait de réalisations d’opportunité sans doute mais, au moins, la preuve était faite que lorsqu’ils sont sollicités à ce sujet, les architectes savent répondre à cette problématique. Les associés de Po&Po quant à eux ont poursuivi cette démarche dès que le projet s’y prêtait et sont ainsi devenus une force de proposition. C’est d’ailleurs dans l’une de leurs réalisations que le cinéaste Jean-Paul Rappeneau est venu tourner des scènes de Belle-famille. D’où sans doute l’appel de ce maire un peu désespéré. Pour autant, longtemps la notion de logement intermédiaire ne fut que rarement évoquée par les architectes, quasiment jamais par les maîtres d’ouvrage.
Dix ans plus tard, la situation a changé. Pour résumer à gros traits, chacun a fini par comprendre que l’on ne pouvait plus faire du lotissement à perte de vue pour tout le monde toujours plus loin et que la question de la densité s’imposait désormais, même si la réponse à cette question est loin d’être univoque. Par ailleurs, il existe nombre de ces espaces délaissés, parfois au sein de zones très urbanisées, et il existe encore un besoin de développement direct au sein même des bourgs. Bref, le logement intermédiaire apparaît désormais comme une solution prometteuse pour le développement de ces délaissés.
En témoigne sans doute le projet en cours de OPPIDEA, SEM d’aménagement Toulouse Metropole, de 192 logements intermédiaires (sur 1600). Le concours lancé à cette occasion s’est révélé fort fructueux et trois programmes attribués aux lauréats ont été lancés en 2015. Pour le coup, c’est le maître d’ouvrage qui met en exergue les qualités du logement intermédiaire, à savoir : accès privatifs au logement, des espaces extérieurs (jardins ou terrasses), optimisation du foncier, des prix maîtrisés, confort des logements, etc. Les mots-clefs pour le bailleur sont donc, outre l’optimisation du foncier, «les prix maîtrisés».
En effet, l’un des inconvénients du logement intermédiaire est qu’il serait plus cher à construire. Cela dit, tout ce qui n’est pas une barre et un chemin de grue «coûte plus cher à construire». L’expérience de Po&Po montre au contraire que des programmes conséquents peuvent être réalisés avec une parfaite maîtrise du budget. De fait il n’y a pas de raison qu’une réinterprétation des cités-jardins hollandaises des années 30, elles-mêmes une réinterprétation des cités-ouvrières du XIXe siècle, soit hors de prix, surtout en regard de la qualité de vie proposée.
Cela écrit, le logement intermédiaire est par définition contextuel, il ne peut donc y avoir de recette ; c’est justement là qu’intervient l’architecture. Le logement intermédiaire, comme les programmes mixtes, implique un travail simultané et ardu entre le volume, le plan, le plan-masse et l’économie du projet. Sans compter les électriciens et gaziers pour qui un logement est sans nuance soit individuel soit collectif. «La maison Phénix de l’intermédiaire, ce n’est pas possible», se marre Bruno Palisson.
Au-delà de la technique, le logement intermédiaire est peut-être surtout une vision de l’urbanité, une forme de politesse. «Notre travail est aussi d’éviter les espaces résiduels, les distances inutiles, les traversées inutiles. Chaque rupture doit être un espace à vivre. La densité n’a pas besoin d’être chiffrée car il s’agit d’un ressenti, l’exemple d’une barre est flagrant. En fait la densité est de faire que chaque endroit soit utile. Perspectives, surprises, lumière dessinent des espaces aux formes différentes. Nous y intégrons la couleur, le mouvement, les bruits et des odeurs variées. Ces lieux de vie embellissent la vie de l’homme, respectent le programme envisagé et en améliorent le fonctionnement», explique-t-il.
Il n’en demeure pas moins que le logement intermédiaire, sans doute aussi en partie à cause de la confusion de vocabulaire, reste encore souvent un gros mot auprès des bailleurs ou des élus. «Pour certains maires, une grange de 9m de haut ne les dérange pas mais ils crient d’inquiétude pour un R+3», constate Jean-Luc Calligaro. De fait, leur première opération intermédiaire, Po&Po l’ont gagnée sur dossier ; ailleurs le maire était architecte, là suffisamment éclairé, ailleurs encore il n’avait pas bien compris ce dont parlaient les architectes. Bruno Palisson et Jean-Luc Calligaro se souviennent d’un concours à Châteauneuf (45). Quatre candidats, trois barres. Si la proposition de Po&Po n’avait pas été retenue, c’était une barre.
Pour Po&Po, dès que le programme le permet, la recherche se poursuit plus avant, ce dont témoigne un étonnant projet à Ermont, un concours perdu car estimé «trop cher», à tort sans doute. De plus, leur pratique du logement intermédiaire se révèle désormais fort utile et novatrice dans le logement tout court comme l’atteste le collectif qu’ils ont construit à Orléans (livré en 2013) où la sculpture et l’extrusion des masses ainsi que les vides habités font disparaître la notion même de façade.
Leur travail aura au moins permis de faire sortir le logement intermédiaire de la confidentialité et d’en désamorcer la critique a priori. De fait, ces réalisations de Po&Po font désormais l’objet de colloques et conférences, le ministère de l’Ecologie a fait réaliser une étude, ainsi que le CSTB, et l’agence a d’ores et déjà été récompensée par quatre prix pour ses ouvrages dans ce domaine.
«Aujourd’hui, les arbres ont poussé et nos cités-jardins sont plébiscitées par leurs habitants, d’ailleurs bon nombre de nos urbanistes nous incluent dans leurs références lors des concours», se félicitent Bruno Palisson et Jean-Luc Calligaro.
Christophe Leray