
La vraie ville n’est pas momifiée. La preuve, elle se débat encore, comme en témoigne une petite terrasse qui fait «tache» à cause de son langage «résolument contemporain». L’architecte Mauro Veneziano n’avait jamais anticipé à quel point un petit ouvrage de 19 m², conforme au désir de son client, allait déchaîner les passions.
«Que peut-on imaginer là-haut ?» Quand Mauro Veneziano, jeune (30 ans à l’époque des faits) architecte diplômé de l’école d’architecture de Palerme qui a poursuivi sa formation en France à Grenoble, Marseille et Lyon, a reçu cette commande en 2002, il était loin de s’imaginer le raffut qu’allait provoquer le si petit ouvrage qu’il avait conçu. En effet, il ne s’agissait de rien d’autre que de construire au-dessus de l’appartement de son client, sur la toiture terrasse brute, une véranda et une petite terrasse aménagée, pour profiter de la vue, du soleil, pour créer une nouvelle pièce dans une position privilégiée: un petit jardin d’hiver de 19 m².
Le client souhaitait «quelque chose de contemporain». Ce qui tombait bien, Mauro Veneziano n’étant pas un adepte de ‘l’historicisme nostalgique’ qui n’est rien d’autre, (il cite Kenneth Frampton, un auteur américain qui écrit sur l’architecture) «que des positions conservatrices telles le populisme ou le régionalisme sentimental». Des valeurs pourtant bien cotées en région PACA. A Aix-en-Provence, c’est la vieille ville qui est l’objet de cet attachement sentimental quand, à l’extérieur du périmètre protégé, Maryse Joissains-Masini, maire d’alors de la ville, était moins hésitante à faire appel à des architectes contemporains (Vittorio Gregotti pour une salle de spectacle, Rudy Riciotti pour le Centre Chorégraphique national).

Or ce jardin d’hiver devait être construit sur le périmètre extérieur de la vieille ville, en secteur sauvegardé donc, mais sur l’un des carrefours les plus congestionnés de la cité : le croisement Carnot-Gambetta-Italie, lieu de départ de nombreux bus scolaires, artère d’accès à l’agglomération est d’Aix et site du centre de Congrès et de l’un des plus grands parkings enterrés du centre urbain. Bref, le projet n’était pas donc construit sur le clocher de la Cathédrale St Sauveur. De plus, l’immeuble sur lequel le projet venait se greffer est, de l’aveu de l’architecte, «peu intéressant». De fait, l’architecte des bâtiments de France, évoquant une ‘alternative contemporaine’, souscrit au projet proposé par Mauro Veneziano. Le maître d’ouvrage, opiniâtre, défendit son projet et les élus l’entérinèrent. «C’était inattendu», en sourit encore l’architecte.
Le projet prit donc corps. Une pente inversée (qui pouvait être lue comme une provocation), des matériaux inhabituels (le Corten, l’acier peint, le bac métallique), l’accent posé sur une descente de EP en acier brossé, et surtout une forme et une plastique inhabituelles. Le client y mit le prix – 40.000 euros pour 19 m² – mais obtint au final, en sus de son petit appartement de 40 m² typique, une pièce supplémentaire chaude l’hiver et fraîche l’été, dotée d’une terrasse et disposant d’une vue à 360° sur la région, dont la montagne Ste Victoire. «Le maître d’ouvrage était ravi», assure Mauro Veneziano.
Pourtant, quelques semaines après sa réalisation, «un tremblement de terre» secoue la ville. Le quotidien local fait sa Une sur l’ouvrage et titre ‘Petits rififis architecturaux’. En page intérieure, il est question de «la véranda qui fait tache» à laquelle il est surtout reproché «un langage résolument contemporain». Les comités de quartier soudain s’insurgent et voilà le débat sur l’architecture aixoise relancé par 19 petits m², le maître d’ouvrage et l’architecte n’ayant jamais, quant à eux, été contactés par le journaliste.
Bien qu’il ne fut pas dans son intention de réaliser un manifeste, Mauro Veneziano ne peut s’empêcher de remarquer que, alors que l’on professe la sacro-sainte sauvegarde de la vieille ville, cette dernière ne reçoit pas «l’attention qu’elle mérite». D’autant qu’à Aix comme ailleurs, c’est un lieu commun, des millions de m² médiocres vont marquer le paysage urbain et périurbain pendant des siècles.

L’indignation était, peut-être, d’autant plus virulente que la ville se trouvait à un moment clé de son histoire. En effet, la construction du TGV Paris-Méditerranée n’a fait qu’accentuer à Aix la flambée des prix du m². Or, si le maître d’ouvrage a investi autant pour son jardin d’hiver, c’est également en partie pour ajouter une plus-value – en l’occurrence remarquable – à ses 40 m² de départ. Qu’est-ce qui fait le dynamisme d’une ville ? Mauro Veneziano à son opinion. «Congeler la ville, sans s’en occuper réellement, c’est un peu la condamner. La ville mérite d’être vivante, ce n’est pas un musée, un village qu’on peut protéger. Ce projet est aussi un geste d’amour envers la vieille ville, qui mérite plus qu’une simple cristallisation: la ville historique a toujours su se ressourcer dans la culture contemporaine de toutes les époques: pourquoi pas aujourd’hui?», s’enflamme l’architecte, qui, originaire de Palerme et ses 3.000 ans d’histoire, ne peut pas être soupçonné d’une quelconque aversion pour les vieilles pierres.
Ces dernières d’ailleurs ayant connu leur lot de mutations. En témoigne la description de la cathédrale par le site touristique de la ville (www.aixenprovencetourism.com). «Selon la légende la Cathédrale Saint-Sauveur fut édifiée sur un temple d’Apollon. Elle a évolué entre le Ve et le XVIIIe siècle. Cette variété architecturale se lit d’emblée sur sa façade : à droite, au Sud, le portail roman du XIIe jouxte un mur romain, tandis qu’à gauche, au Nord, le vaste portail gothique richement sculpté du XVe et du XVIe siècle est surmonté au nord d’un clocher érigé entre 1323 et 1425. A l’intérieur, elle unit trois nefs de styles différents (roman, gothique et baroque) que flanque le baptistère». Bref, la vieille ville semble s’accommoder assez bien des changements de style.
«Au moins, à Aix, nous avons, grâce à ce projet, débattu, un peu, d’architecture», se réjouit l’architecte. «Il ne s’agissait pas là de la volonté d’un architecte de faire un geste architectural mais d’une demande concrète du client, d’un désir de liberté de sa part. Le droit à la diversité est un peu oublié, il ne faut pourtant pas le négliger», conclut-il.
Le débat est loin d’être clos. Mais, à Aix comme ailleurs, la vieille ville risque fort de devoir se plier aux nouvelles équations économiques et au désir de confort de ses habitants – au risque sinon de se vider, voire de l’insalubrité – plutôt que l’inverse. Voilà donc 19 m² au cœur de tous les débats de l’architecture contemporaine. «Je ne voulais pas faire un exemple», insiste l’architecte. C’est raté.
Christophe Leray

En savoir plus : http://www.mauroveneziano.com/
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 17 novembre 2004