Lundi 18 septembre 2017 a débuté la mise en place du «dispositif de sécurité» autour de la Tour Eiffel, c’est-à-dire un mur composé de panneaux de verre pare-balles de plus de 70 mm d’épaisseur, de 2 m de large et 3 m de haut. L’ensemble est un projet signé de l’agence de Dietmar Feichtinger. Les tireurs du dimanche n’ont qu’à bien se tenir. Et c’est tant mieux.
La mairie de Paris annonçait dès le 9 février 2017 la construction de ce mur. Un mur à 20 M€ autour de la Tour Eiffel, il fallait y penser. La ville passe donc à l’acte en cette fin d’été. Pour le coup, c’est sans doute une première mondiale. Certes, d’évidence, Paris n’est plus tout à fait une fête. Et alors ? Foin des grincheux, on n’est jamais trop prudent ! D’abord, résistera-t-il aux ouragans ce mur ? Parce qu’il ne faudrait pas que des gens dedans meurent noyés en cas de crue subite de la Seine toute proche. Et puis est-ce que le verre résistera aux tags et aux déjections des pigeons ? Parce que sinon, pour la transparence, c’est mort.
De fait, d’aucuns pourraient à bon droit exiger beaucoup plus de la ville de Paris dans la protection de la tour Eiffel et de ses visiteurs qu’un simple hygiaphone à l’hygiène douteuse. New York sans les tours du World Trade Center, c’est un fait ; alors imaginer Paris sans la tour Eiffel… Pourquoi pas un dôme au-dessus de la tour ? Avec un peu de chance et des financements de pays amis, on pourrait même y faire neiger de temps en temps. En tout cas, d’un point de vue de l’image, la tour Eiffel dans sa bulle avec la neige existe déjà. Mais d’aucuns sans doute exagèrent.
Sans aller jusqu’à cette extrémité mais considérant le principe de précaution, il serait néanmoins utile, pour lutter plus efficacement encore contre la terreur, d’imaginer sous peu un «dispositif de sécurité» tout autour du Trocadéro. Sur cette damnée place des droits de l’homme, où les humains de toute race, sexe ou religion, manifestent pour la liberté, il serait bon qu’un contrôle des accès soit mis en place sans retard.
En effet, à quoi bon un mur de trois mètres de haut aux pieds de la tour Eiffel si des gens mal intentionnés peuvent envoyer des Scuds du haut du Trocadéro ? Surtout que rien ne dit que ceux-là ne voudront pas faire un coup d’éclat à la Tour Eiffel justement à cause du mur vitré. Alors là, bonjour l’humiliation. Bref, un mur vitré contrôlant toutes les entrées de la place du Trocadéro s’impose également. Et puis comme ça les Ethiopiens ne pourront plus importuner le touriste avec leurs mini tours Eiffel de pacotille. On n’est jamais trop prudent
Les stations de métro sont déjà bouclées par des parois vitrées mais y entre quiconque est muni d’un billet. Quiconque ! Cela ne l’empêche pas de dormir Anne Hidalgo ? Sans doute que les services de la préfecture de police anticipent cette menace – puisque, apparemment, ce sont eux qui auraient suggéré le mur de la tour Eiffel à la Mairie (ce qui, soit-dit en passant, en dirait long sur qui fait l’urbanisme aujourd’hui) – mais il appartient à Anne Hidalgo d’en faire plus car quelques milliers de caméras supplémentaires n’y suffiront pas.
Permettez-nous de suggérer que, en sus des stations déjà équipées, chaque entrée et sortie de métro soit bientôt munie d’un portique détecteur tel ceux dans les aéroports, et bientôt dans les gares dieu merci, et déjà dans les musées et nombre de bâtiments publics. La RATP devrait être d’accord. Idem dans les magasins, chez le docteur, à la piscine, pour l’accès aux quais de la Seine et aux rues touristiques.
Ces portiques, vitrés pourquoi pas, sont désormais indispensables à la sécurité des Parisiens. Comme cela, avec des portiques partout dans la journée, tout le temps, il sera impossible aux terroristes de se promener ne serait-ce qu’avec un coupe-ongles ! Voire un cure-dent ! On n’est jamais trop prudent.
Atteinte à la liberté disent les atrabilaires. Laquelle ? Chacun sait bien que ceux qui n’ont rien à se reprocher n’ont d’évidence rien à craindre et se plieront sans hésiter à ces mesures de bon sens qui vont dans le sens de l’intérêt général. Et puis, autant faire contre fortune bon cœur. En sus du contrôle des sacs et des palpations, courants aujourd’hui, autant que les dépistages au scanner et par portiques soient utiles. Ils pourraient par exemple détecter les cancers, la grippe, les perversions et addictions de toutes sortes et ne laisser visiter la tour Eiffel qu’à des esprits sains dans des corps sains.
Les lieux symboliques de Paris sont si nombreux, de la colonne Vendôme à celle de la Bastille, du Sacré-Cœur à l’Obélisque, de l’Arc de triomphe aux Invalides, les terrasses des cafés… Plutôt que médire, chacun devrait donc encourager Anne Hidalgo dans sa volonté de créer «des dispositifs de sécurité» partout où ils s’imposent. Sans oublier personne. Les gens qui font la queue devant un cinéma ou un kebab n’ont-ils pas droit à protection autant qu’un visiteur de la tour Eiffel ? Les touristes agglutinés devant le glacier du jardin des Tuileries, on les laisse se débrouiller ? Ce ne sont pas des cibles ? Si ? Et ceux qui feront la queue en attendant de passer le mur avant de visiter la tour Eiffel ? Pour ceux-là, de simples gilets pare-balles feront l’affaire ? Un gilet pare-balles de base coûte 220€. Avec 20M€, le prix du mur, Paris pourrait équiper 90 000 personnes. Ca leur ferait un sacré souvenir aux touristes. 20M€, c’est aussi le prix de 180 logements.
En tout état de cause, nombre de «dispositifs» de sécurité, à 20M€ l’unité – hé oui, la sécurité, aussi relative soit-elle, coûte cher -, sont donc à prescrire derechef dans l’espace urbain public, et encore en vitrage pare-balles si possible. C’est ça ou interdire les queues.
Anne Hidalgo devrait assurément lancer un grand concours d’architecture Réinventer la sécurité à Paris. Nul doute que les architectes sauraient manipuler les concepts du mur vitré et du portique avec toute la sensibilité qui sied aux hommes et femmes de l’art. La maire de Paris pourrait même découvrir son nouveau Vauban.
Le potentiel financier est immense et il faut, n’est-ce pas, encourager l’entreprenariat. De fait les marchands de sécurité font des affaires en or. En témoignent ces tourniquets qui sont progressivement installés à l’entrée des écoles et des équipements publics, dont la tour Eiffel, le but étant bien sûr «de sécuriser et surveiller au maximum tous les individus qui pénètrent et sortent des bâtiments». Fabricants et marchands de tourniquets se frottent les mains, même en pleurant nos morts.
Idem pour les fabricants de produits verriers. Le mur vitré de la tour Eiffel, quand il sera terminé, la photo va faire le tour du monde. Le résultat de cet appel d’offres sera connu le 15 octobre prochain. Suspense ! Gageons que ce verre résistera à un tir de bazooka et c’est tant mieux, on n’est jamais trop prudent.
C’est toute l’atmosphère de Paris qui vibrera bientôt d’impératifs catégoriques. Objectif J.O. 2024 : avec ses murs vitrés pare-balles installés partout pour notre protection, Paris sera réellement devenue une ville musée que l’on regardera à travers des panneaux vitrés. En 2024, il suffira peut-être de pointer du doigt ou de cligner des yeux et l’audio guide intégré se mettra en marche dans toutes les langues.
«Construite par Gustave Eiffel et ses collaborateurs pour l’Exposition universelle de Paris de 1889, la tour Eiffel est une tour de 324 mètres de hauteur (avec antennes) située en bordure de la Seine dans le VIIe arrondissement… Après avoir résisté à deux guerres mondiales, elle fut par sécurité démontée en 2018 et mise à l’abri dans un bunker secret. L’image que vous voyez à travers le mur vitré est une reconstitution, comme à Lascaux».
En attendant, Jean-François Martins, adjoint aux sports et au tourisme de la maire de Paris, cité par l’AFP, précise que ces travaux ne vont pas gêner l’arrivée des visiteurs «qui pourront toujours se rendre gratuitement sur le parvis après le passage aux contrôles». Est-ce bien raisonnable ?
Christophe Leray