Dans le désert de Huacachina à quelques kilomètres d’Ica au Pérou, vit un arbre curieux, le Puya Raimondi.
Cet arbre : le Trachebontia Magnoliophyta Liliopsida Zingiberidae de l’ordre des Bromeliales de la famille des Bromeliacae, est une espèce sauvage endémique des Andes, une des plantes les plus impressionnantes de la terre. Outre qu’elle est à mi-chemin entre la tour Gherkin (cornichon) de Foster en plus mince et une caricature phallique en moins gros, elle peut atteindre plus de vingt mètres de haut et produire jusqu’à huit mille fleurs (record mondial) en une seule fois lorsqu’elle atteint l’âge de cent ans environ pour ensuite mourir et laisser quelque six millions de graines.
La particularité de ces graines est que, tombées de l’arbre, elles ne donnent rien, pas une ne germe. Pour germer, ces graines doivent être ingérées par un Pharomachrus Mocinno Costaricensis Cabanis ou Quetzal Resplendissant, puis digérées et régurgitées, et par lui seul : le Puya Raimondi est exigeant. Une fois au sol, au sein de la déjection de l’oiseau, la graine est alors fertile et peut enfin développer un nouvel arbre.
Les raisons de ce curieux mode opératoire doivent être multiples, et nous nous limiterons à quelques hypothèses :
Est-ce le suc gastrique de l’oiseau qui a un caractère spécifiquement fertilisant ? Est-ce que le substrat au pied de l’arbre est trop affaibli pour permettre le développement d’un nouvel arbre, et que la graine doit s’éloigner pour germer ? Est-ce le respect d’un espace vital qui empêche deux arbres contigus de se développer ? Est-ce l’éloignement du géniteur qui créée le choc reproducteur, comme une jeune fille pudique, la graine serait inhibée d’éclore devant ses parents ?
Toujours est-il que ce phénomène, outre qu’il est un exemple que la GPA est dans la nature sinon dans les mœurs, curieux mélange du règne animal et végétal, est un exemple d’interaction entre deux éléments liés par des relations d’une autre nature que simplement trophique au sein d’un biotope.
Ce qu’il faut en retenir en transposant cet exemple dans d’autres milieux et notamment urbain, est la notion de médiation : le Quetzal Resplendissant est médiateur de l’éclosion du Puya Raimondi.
Dans le parallèle que nous tentons d’établir depuis bientôt un an entre la ville organique et les lois la nature, quel serait le corps léger et volatil susceptible de porter un projet du concepteur au terreau de sa croissance la plus fertile, comme une graine de Puya Raimondi ?
L’administration ?
Dans une perspective généreuse d’être moteur de la modernité telle qu’elle nous est vendue depuis bientôt un an, il apparaît effectivement que le réseau tissé par l’administration pourrait ingérer et déféquer des graines de projet afin de permettre leur éclosion.
Qu’en est-il ?
L’image, ci-dessus, de l’administration n’a plus cours d’un point de vue formel, mais porte-t-elle des graines pour autant ?
Le rôle de l’administration est double. Si on s’attache à la fonction de l’administration (définition fonctionnelle), le mot désigne l’ensemble des activités dont le but est de répondre aux besoins d’intérêt général de la population tels qu’ils sont définis à un moment donné par l’opinion publique et le pouvoir politique.
Mais, si on s’attache à son organisation (définition organique), il désigne l’ensemble des personnes morales (État, collectivités territoriales, établissements publics…) et physiques (fonctionnaires, contractuels…) qui accomplissent ces activités.
La vision historique de l’administration est celle d’une centralisation exacerbée par Napoléon qui voulait confier à un corps hautement qualifié, la gestion de l’organisation du territoire. Le corps des Ponts et Chaussée issue de l’école éponyme crée en 1747 par Daniel-Charles Trudaine (à qui on doit également le nom du très beau boulevard du 9ème arrondissement), puissamment hiérarchisé, gère la chose publique depuis près de trois siècles.
Ce qui n’a pas manqué d’inverser les définitions ci-dessus, à savoir que l’organisation a pris le pas sur le rôle, et l’administration est devenue un corps à part dont la finalité d’établir les règles du jeu territorial est une fin en soi, et non un moyen d’arbitrage de l’intérêt particulier au sein de l’intérêt public.
Evidemment la tâche est passionnante et suscite les vocations où la créativité s’exprime pleinement. Chaque nouveau règlement visant à simplifier le précédent, donnant naissance à un système qui se meurt de surcharges, se compliquant d’autant, rajoutant une couche d’incompréhension supplémentaire proportionnellement à la créativité des auteurs.
Nous en sommes à un nombre impressionnant de réformes du permis de construire, et les définitions successives des «surfaces de références» à utiliser dans les CERFA (chefs-d’œuvre éditoriaux de l’Imprimerie Nationale) font la joie et le bonheur de tous les architectes soumis à cette dictature de l’impossible.
Un exemple rencontré présentement à travers une tentative quasi obsessionnelle pour moi de bousculer un peu les usages du logement. La conception de celui-ci est essentiellement basée sur le modèle familial haussmannien pas tellement adapté aux nouveaux modes de vie non familiaux. Ainsi la colocation, le trouple, l’accueil d’un tiers, la airbiandbisation, les regroupements de tous ordres, à présent admis dans la société comme mode de vivre ensemble, ne trouvent toujours pas de logement qui leur corresponde.
On travaille donc à multiplier les accès et la variation des typologies afin d’en assouplir les usages potentiels de la vie à plusieurs. Si on souhaite «couper» son appartement pour vivre ensemble, mais chacun de son côté, cela suppose de multiplier les accès et de faire varier potentiellement les typologies : un T4 devient l’assemblage de 2 T2, un T5 se découpe en autant de sous-ensemble, etc.
Mais l’administration impose des décisions irrévocables sur le nombre d’appartements au moment du permis de construire. Adieu la modernité : un quatre-pièce restera un quatre-pièce et ne pourra être vraiment utilisé que pour un couple et deux enfants, dont seule l’intimité fusionnelle permet le partage de l’entrée, la salle de bain, les toilettes et la cuisine.
Le nombre des places de parkings, les impôts fonciers, les dotations départementales, tout concourt à empêcher l’évolution de la typologie, et le logement modulable, préoccupation majeure en ce début de millénaire se heurte au mur de la réglementation qui empêche toute mutation, sans autorisation administrative.
Est-ce sans espoir ? Il y en a un ! Il convient d’en appeler à Monsieur le Président de la République, Emmanuel Macron, qui s’est engagé à faire du futur Village Olympique dans le 93 une zone expérimentale. Alors, allons-y, faisons de ce futur quartier un joyau de l’urbanisme contemporain, tentons un urbanisme qui ne sera pas préalablement réglementaire, et peut-être la SOLIDEO (organisme en charge de son édification) sera le Quetzal Resplendissant que nous attendons…
François Scali
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