Les illuminations de Noël sont trompeuses. Tandis que les Champs-Elysées scintillaient de toutes leurs guirlandes, au C42, le vaisseau amiral de Citroën sur les Champs-Elysées, on coupait le courant. Communiqué de presse de Manuelle Gautrand.
En ce 31 décembre 2017, après exactement dix années de loyaux services et un succès incroyable (10 millions de visiteurs), le C42, le navire amiral de la marque au chevron baissait le rideau. En cause officiellement, une nouvelle politique commerciale vouée à favoriser la multiplication des mini-espaces d’exposition au détriment des «vastes» showrooms.
Mais en réalité, derrière l’annonce trompeuse de cette nouvelle politique, il y a un problème bien plus ancien et plus profond : en 2012, seulement 5 ans après son inauguration, Citroën vendait son navire amiral. En cause, une sombre année où le groupe PSA a dû vendre une grande partie de ses actifs immobiliers pour renflouer les caisses d’une marque aux abois, y compris ce «bijou de famille», cet immeuble sis au 42 avenue des Champs Elysées dont le terrain avait été acquis en 1927 par André Citroën. Ce dernier avait souhaité y créer sa vitrine internationale à l’occasion du Salon de Paris de 1928, avec déjà une architecture très avant-gardiste.
C’est donc en 2012 que l’avenir du C42 actuel a basculé : il a été cédé à un investisseur pour une très belle somme en contrepartie d’un loyer très élevé. C’est, à n’en pas douter, la raison principale de l’abandon du C42 par Citroën fin 2017.
Citroën nous indiquait pourtant à ce moment-là, la main sur le cœur, vouloir en rester locataire pour «très longtemps» et que cela ne changerait rien, ni en terme d’usage, ni en terme d’aspect architectural puisqu’ils ne quitteraient pas les lieux. ….
Pourtant, lorsque Citroën a lancé en 2002 une consultation internationale d’architecture, le programme était clair : imaginer un bâtiment dont l’architecture elle-même puisse exprimer profondément l’«ADN» de la marque, son histoire et ses ambitions, et en faire un lieu d’exposition et d’échange baigné dans cet univers automobile si particulier : une marque éminemment française et attachante, qui a fait rêver des millions de personnes dans et hors de nos frontières. Le programme était clair parce que l’ambition de Citroën était claire : se réinstaller définitivement sur les Champs Elysées avec un lieu capable de faire rayonner la marque.
Si j’ai gagné cette consultation, à l’unanimité du jury, face à des concurrents prestigieux (dont deux lauréats du prix Pritzker – le «Nobel» de l’architecture – Zaha Hadid et Christian de Portzamparc), c’est justement parce que ce jury a estimé que ma proposition architecturale symbolisait parfaitement cet univers de la marque, son «ADN».
Sous son origami de verre, le projet est conçu comme un présentoir géant évocateur des rampes qui grimpaient en hélice dans les garages de notre enfance, il est fort d’une structure porteuse complexe qui le rend totalement indépendant des bâtiments qui le flanquent, et sa façade s’inspire des chevrons, logo de la marque. En fait, tandis que le «contenant» (l’enveloppe) fait rayonner le chevron, le «contenu» (l’intérieur) fait rayonner les voitures, installées comme les œuvres d’un musée…
C’est ainsi que le C42 a connu les honneurs de la presse internationale, fait l’objet de nombreuses couvertures de magazines, reçu de multiple prix d’architecture et a été le sujet de plusieurs films documentaires. Ses représentations (maquettes, dessins, plans, etc…) sont rentrées dans les collections permanentes de deux institutions culturelles nationales : le Centre Georges Pompidou et le Musée des Monuments Nationaux – la Cité de l’Architecture et du Patrimoine.
Pourtant Citroën est parti, et le bâtiment est désormais vide, sombre, inhabité et sans entretien. C’est pour moi terrible d’un point de vue de l’esprit et du cœur, mais aussi pour mon image professionnelle: le préjudice moral que je subis est indiscutable, d’autant plus que sa localisation sur les Champs Elysées en fait un bâtiment «observé» par des milliers de personnes qui passent devant tous les jours.
Ce bâtiment est intimement rattaché à mon nom et c’est sans aucun doute mon œuvre la plus connue. Peu d’architectes ont eu la chance de construire un bâtiment entier et neuf sur la plus belle avenue du monde. D’ailleurs, depuis 1975 aucun bâtiment neuf n’a vu le jour sur les Champs-Elysées à part celui-ci. Mais peu d’architectes voient un de leurs bâtiments remis en cause à peine 10 ans après son ouverture…
Pourtant Citroën est parti, et le propriétaire actuel se retrouve avec ce bâtiment, conçu comme un musée automobile. Je peux comprendre son désarroi et sa perplexité. Que va-t-il en faire ? Le transformer, le démolir ?
Qu’il soit démoli serait un crève-cœur pour moi, et sa dénaturation serait cruelle. Que le bâtiment soit transformé au mépris de tout respect du droit d’auteur, que son atrium soit comblé (pression foncière oblige…), qu’il soit cloisonné et défiguré, cela serait une erreur et même une trahison.
Depuis sa fermeture il y a un mois, pas un rendez-vous ne se passe sans que mon interlocuteur ne m’interroge sur ce qui arrive au C42… Je tenais donc à porter ces informations à la connaissance du public afin de répondre aux questions que nombre de personnes ne manquent pas de se poser concernant cette soudaine fermeture.
Manuelle Gautrand, architecte
Paris le 7 février 2018