E+C- (E plus C moins), en voilà un label utile, enfin ! En effet, le 14 janvier 2018, une maison individuelle réalisée par les Maisons Ericlor a reçu sa certification pour le label E+C-. L’ouvrage, situé à Montlouis-sur-Loire en Indre-et-Loire et premier du genre dans le département, a obtenu le niveau Energie E3 et le niveau Carbone C1. De très très bonnes notes ! Alléluia !
Pour rappel, le label «Energie Positive & Réduction Carbone E+C-», inventé en novembre 2016 par Emmanuelle Cosse, alors ministre du logement et de l’Habitat durable, mesure d’une part l’énergie positive d’un bâtiment (les bonnes ondes en somme) sur une échelle de 1 à 4, le 4 étant le top du top, et d’autre part la réduction carbone du projet sur sa durée de vie sur une échelle de 1 à 2, le 2 étant le top du top. Autant dire que E3C1, pour la maison de Montlouis-sur-Loire, c’est une belle performance ! Pour faire mieux il faudrait pour ses habitants respirer du CO² et expirer de l’oxygène!
La maison, d’une surface de 110,8 m², est équipée d’un chauffage par chaudière gaz, elle «bénéficie d’un bâti très performant» et est enfin dotée de panneaux photovoltaïques assurant «l’autoconsommation à hauteur de 60 %». Et voilà : E3C1 et un premier champion départemental ! Cela valait le coup pour la presse locale de battre tambour et sonner trompettes.
Chaque nouveau label, il ne faut pas l’oublier, mobilise les moyens de l’Etat. D’aucuns se souviennent par exemple de ce label Azoulay architecture remarquable. Mais, pour une fois, le label E+C- a le mérite de la simplicité. En témoigne sur le site officiel dédié une Foire aux questions (FAQ) explicative super longue et super compliquée, compréhensible seulement par des professionnels aguerris. Et encore à peine si l’on en juge par les questions posées. Le site lui-même, émanation des ministères de la Transition écologique et solidaire et de la Cohésion des territoires, se veut didactique, les fans peuvent y passer des heures. On sent bien que les fonctionnaires se sont dévoués corps et âme à ce projet de la plus haute importance.
Certes, E+C-, cela sonne comme une équation scientifique et ça fait très sérieux mais, preuve qu’en vérité le label est d’une simplicité enfantine, le CSTB a apporté sa pierre à cette démarche collective en réalisant, pour les acteurs de la construction, une série de cinq (pas moins) vidéos pédagogiques. Sans compter la mise en place «d’un dispositif d’information et de conseil dédié à l’expérimentation Energie Positive & Réduction Carbone, E+C-, et à son label associé», l’objectif étant de permettre «aux professionnels de comprendre et de s’approprier cette expérimentation nationale et collective et de disposer de toutes les clés pour y participer».
Rien de plus simple. Par exemple, le référentiel pour le carbone – le C- du label – ne fait que 60 pages ! Il en faut bien autant pour avoir «à la fois une description des principes, de la méthode de calcul énergétique, de la méthode de calcul environnementale et un ensemble des données nécessaires pour effectuer le calcul de la performance». Pour calculer le E, c’est du même tonneau. Alors E= CxM² ? Des devoirs à la maison ? La calculatrice est autorisée ?
Aucune crainte car, «en pratique», «votre outil du quotidien (sic) ce sera plutôt un logiciel de calcul énergétique et environnemental qui vous permettra d’évaluer les performances de votre bâtiment sur l’énergie, le carbone et sur les autres indicateurs environnementaux». Bref tout le reste n’est finalement que poudre aux yeux pour enjoliver le bébé. Justement, le logiciel ad hoc du CSTB, Elodie de son petit nom, permet de faire tous ces calculs environnementaux. Et c’est une sacrée bonne nouvelle parce que, depuis 15 ans qu’il est question du développement durable, dire qu’il n’y avait pas encore de logiciels pour «faire les calculs environnementaux»… Chacun au passage aura compris que les calculs pour les BREAM, Effinergie, HQE,BEPOS et tous les autres labels précédents étaient auparavant effectués au doigt mouillé. Merci le CSTB !
Surtout, ce qui est formidable avec ce label E+C-, c’est l’esprit total coworking du projet. Une fois que les architectes ont calculé les performances de leur ouvrage, ils peuvent partager «l’expérience» en déposant une description de leur projet sur «l’observatoire de l’expérimentation». Ha ce monde merveilleux où chacun partage avec chacun… D’ailleurs, le site dédié à l’E+C- l’annonce sans ambages : «l’exploitation de ces données permettra d’aller vers des bâtiments que l’on puisse généraliser parce que leur coût de réalisation sera bien maîtrisé». Comprendre que ces coûts ne le seraient pas à ce jour ? La faute à qui ? Et ils le seront maîtrisés les coûts quand les bâtiments seront ‘généralisés’ ? Voilà qui donne envie même si l’argument de la maîtrise des coûts a un goût de réchauffé.
Encore plus formidable encore est la révolution linguistique occasionnée. Avant, un bâtiment était dit à énergie positive (BEPOS) quand son bilan énergétique global est positif, c’est-à-dire qu’il produit plus d’énergie (thermique ou électrique) qu’il n’en consomme. Mais cela n’était pas assez clair. Le nouveau calcul E+ (E1, E2, E3, etc.) correspond à un pourcentage de réduction du Coefficient d’Energie Primaire (Cep) de la RT2012. Dit autrement, les bâtiments E+ «énergie positive», au moins jusqu’à E3, ne sont pas à énergie positive : ils consomment plus d’énergie qu’ils n’en produisent. N’est-ce pas proprement faramineux cette capacité à inventer un label qui ne correspond pas à sa dénomination ? N’est-ce pas une forme d’exploit ? Des mauvaises langues parlent d’arnaque et de régression mais que savent-elles des grands desseins du gouvernement ?
Foin de mauvais esprit. Les premiers bâtiments labélisés offrent la démonstration éclatante de la simplicité de l’outil. Ils sont d’ailleurs tous très bien notés, au moins E3C1, comme le rappelle fort justement ce communiqué reçu le 14 janvier dernier. D’ailleurs, la ronde des premiers de la classe a pu reprendre. Première maison E+C- en Vendée, première maison E+C- dans le Val-d’Oise, etc. En plus, elles n’ont même pas besoin d’être construites, c’est dire la souplesse du concept !
La maison de la noue à la Roche-sur-Yon par exemple. Elle obtient le très bon score de E3C1 grâce aux innovations suivantes : «une maison bioclimatique ; une conception des espaces à vivre fonctionnelle ; des espaces évolutifs qui s’adaptent à la vie et aux usages des futurs occupants ; une technicité à la pointe pour un projet fédérateur». Mode constructif béton avec isolation thermique par l’intérieur, chauffage par convecteurs et panneaux rayonnants électriques, ventilation double flux individuelle, 16,3 m² de panneaux photovoltaïques. Le tout emballé pesé pour 207 163 € HT et voilà le travail : label E3C1 ! Conception fonctionnelle d’espaces à vivre ? Pour un architecte, ça au moins c’est de l’innovation coco !
Un constructeur de maisons individuelles dans le Nord, faisant partie des sept «initiatives» estampillées E+C- récompensées par Emmanuelle Cosse en mars 2017, explique ingénument avoir, «quatre mois seulement après le lancement du label [E+C-], relevé le nouveau défi de l’expérimentation BEPOS & bas carbone», et construit dans le contexte d’un village exposition à Neuville-Saint-Vaast, «quatre maisons issues de son catalogue, exemplaires au plan ‘énergie-carbone’». Ces quatre maisons, «d’architectures et technologies très différentes et construites en briques isolantes, bénéficiant d’un bâti à isolation thermique renforcée», obtiennent chacune le score enviable de E3C1. Comme quoi le label E+C-, sous ses airs de premier de la classe, ce n’est pas très compliqué.
Parmi les premiers bâtiments labélisés et distingués, compter encore un immeuble de 32 logements réalisé à Malaunay, en Seine-Maritime, par L’atelier des deux anges, ouvrage livré en 2016, c’est-à-dire avant l’invention du nouveau label. C’est l’aspect ludique du logiciel, on peut labéliser E+C- a posteriori. A l’époque, les architectes de ce projet avaient réalisé un bâtiment répondant aux exigences énergétiques Passiv’Hauss et BEPOS. Miracle, en refaisant les calculs, ça marche toujours ! Et voici l’immeuble, qui était déjà certifié BEPOS Effinergie, Passiv’Hauss, désormais doté du label E3C2, ce qui est carrément un excellent score. On n’arrête pas le progrès.
Cette hyperlabélisation, l’architecte Alain Sarfati l’explique très bien dans sa tribune intitulée Vers une disparition programmée de l’architecture ? Il imagine présenter un livre ainsi : «il fait 130 pages, mesure 10 cm par 18 et chaque page est imprimée en corps 12 pour être facilement lisible, c’est du Bodoni, 65 000 caractères. L’impression est faite sur papier recyclé de 90 g, en somme un livre de poche qui pèse 120 g et coûte deux euros. Tout cela le rend très agréable à lire dans le métro».
Et voici la présentation par Grand Paris Aménagement d’un immeuble de 93 logements producteurs d’énergie à Grigny : «Conçu par les architectes Jacques Lucan et Odile Seyler, cet immeuble (4826m2 SDP) va produire de l’énergie plutôt que d’en consommer. Ce programme a été conçu en conception/construction et en mode BIM. Il répond aux exigences BEPOS. Cette option énergétique produit un bâtiment compact qui s’articule autour de trois corps de bâtiment offrant la possibilité d’une transparence dans l’îlot». Là encore, c’était en 2016. Aujourd’hui cette œuvre architecturale est certifiée E3C1, médaille d’argent comme quasiment toutes les autres.
Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ? Il faut donc bien convenir que, pour une fois, ce nouveau label est quand même extrêmement aisé à obtenir.
Convenons également qu’Emmanuelle Cosse aura ainsi laissé une marque indélébile de sa tenure en tant que ministre du logement. Le label E+C- s’ajoute en effet aux labels existants dont, pour les labels publics, Cerqual, CEQUAMI, PROMOTELEC. Pour les labels privés, il complète utilement l’offre existante (liste non exhaustive mais prenez votre souffle quand même) : Acermi, BBCA, BiodiverCity (amis poètes…), Biosourcé, Breeam, CSTBat, Eco Artisan, Effinergie, Habitat et environnement (H&E), Leed, Minergie, NF HQE, Passivhaus, Qualitel, Well, WiredScore, BBC et donc, désormais E+C-.
Soit une vingtaine de labels rien qu’en France, rien que pour le bâtiment… Si après ça les Français n’ont toujours rien compris, c’est qu’ils sont vraiment bouchés. Imaginez la même chose pour le fromage.
Justement Alain Sarfati évoquait encore dans sa tribune une comparaison entre la cuisine et l’architecture. Ces labels en pagaille dans le bâtiment rappellent furieusement la bagarre des labels entre associations de consommateurs, l’Etat et les multinationales de l’agroalimentaire. Les premières réclament des ‘labels’ clairs à comprendre d’un coup d’œil, l’Etat pond alors un truc compliqué auquel personne ne comprend rien sans le rendre obligatoire, les dernières proposent puis imposent bientôt leurs propres labels pour finir d’enfumer l’écran du consommateur qui ne peut pas se passer de manger. Ni de s’abriter d’ailleurs.
Au moins, pour la construction, il y a de l’espoir. La preuve, ainsi que l’a révélé Le Parisien-Aujourd’hui-en-France fin janvier 2017, plus d’une entreprise liée à la rénovation énergétique (57%) contrôlée par la Répression des fraudes (DGCCRF) en 2015 enregistre une «anomalie», comme des devis «incompréhensibles» et «imprécis», des travaux mal faits, des particuliers pressés de verser un acompte avant le délai de rétractation ou encore des «usurpations de logos pour faire croire à une reconnaissance officielle». Usurpations de logos ?
Certes, la plupart de ces sociétés malhonnêtes ne bénéficient pas de la mention «Reconnu garant de l’environnement» (RGE), inventée en 2011 et délivrée par l’Etat, mais l’enquête de la DGCCRF indique cependant que 50% des sociétés qui ont obtenu le précieux label RGE présentent tout de même des «irrégularités».
Alors si en plus on ne peut plus faire confiance aux labels…
Christophe Leray