Le 1er mars 2018, la Ville de Paris a dévoilé les noms des 85 finalistes du concours Réinventer Paris 2 consacré aux sous-sols. S’ils cherchent l’inspiration, quelques-uns de ces femmes et hommes de l’art peuvent regarder du côté de La Défense vers un lieu «de culture et de divertissement» nommé L’Alternatif. L’adresse, 9 voie de la Pyramide, à Puteaux dans les Hauts-de-Seine, n’est pas dans les GPS mais la restructuration de ce niveau de parking par l’architecte parisien Didier Bigot vaut le détour.
L’Alternatif est un lieu culturel et évènementiel de nouvelle génération à La Défense qui ouvre ses portes au grand public le 6 avril 2018.
L’idée d’un tel établissement à cet endroit est née en 2015 de la rencontre de trois acteurs : Defacto, (devenu Paris La Défense depuis la fusion le 1er janvier 2018 avec l’EPADESA) l’établissement en charge de la gestion, de l’animation et de la promotion de La Défense ; Culture et Patrimoine, entreprise spécialisée dans la valorisation de patrimoine d’exception ; Indigo, exploitant des parkings de Paris La Défense.
Indigo justement qui n’exploite pas seulement les parkings de la Défense et que l’on retrouve partenaire, avec la RATP et la SNCF, du concours parisien. Sans doute en effet qu’Indigo est le premier concerné par l’évolution des modes de vie, notamment l’usage moindre de la voiture.
Un exemple : lorsqu’à l’issue de la conférence de presse, le vendredi 30 mars pour annoncer le lancement de la saison 2018 de L’Alternatif, Patrick Bonduelle, directeur des Affaires publiques de Culture et Patrimoine, a offert aux journalistes de pouvoir en raccompagner en voiture à Paris, tous ont décliné, privilégiant chacun, par commodité, d’autres options de transport.
Pour Indigo donc, il y a urgence à réagir tant son offre de parkings à La Défense, qui a compté jusqu’à 23 000 places depuis les années 70, se révèle aujourd’hui surdimensionnée. Et un parking vide coûte cher. Si c’est le gestionnaire lui-même qui s’en inquiète, c’est que vraiment les temps changent.
Pour Paris La Défense (DeFacto), il est également devenu essentiel de changer l’image de La Défense avec des lieux de vie destinés à faire évoluer la dynamique pendulaire qui fait de la dalle, dès 21h, plus tôt en hiver, une morne plaine. De fait, si la U Arena de Christian de Portzamparc, ainsi que les nouveaux hôtels et logements transforment la perception du quartier d’affaires, il demeure que sur la dalle, à part du commerce ou travailler, il n’y a rien à faire. Même si des animations, en été notamment, ont revitalisé l’espace, à la fin du show, il n’y a pas un endroit pour boire un verre.
«Nous sommes face à une transformation fondamentale du monde du travail. Pour un quartier d’affaires il est indispensable d’accompagner cette mutation», indique Marie-Célie Guillaume, directrice générale de Paris La Défense. Surtout à l’heure du Brexit… Dit autrement, pour vendre La Défense, ce n’est sans doute pas une mauvaise idée de montrer qu’il s’agit d’un endroit vivant, avec un peu de culture pour épicer la finance. Encore faut-il y mettre les ingrédients nécessaires.
Indigo a donc apporté l’investissement – 5 M€ (dont 4,2M€ budget travaux prévu, 3,8M€ coût final) pour 1 780 m²- et Culture et Patrimoine a apporté le programme.
La spécificité de ce dernier partenaire est de proposer aux élus des collectivités locales une nouvelle destination à leurs «bijoux» architecturaux en friche ou sous utilisés. Pour rendre l’affaire rentable, il s’agit encore de trouver un lieu qui puisse s’adresser autant au grand public qu’aux grands groupes, les seconds permettant de financer les évènements pour les premiers.
«Il y a en France un déficit de capacité d’accueil des grands groupes et ce qui existe est le plus souvent confiné dans des lieux standardisés tels les palais des congrès. Berlin, Barcelone savent depuis longtemps dynamiser ces délaissés urbains», souligne Patrick Bonduelle.
Au cœur de la Défense, c’est le cas de le dire avec ce parking, L’Alternatif répond donc à des besoins diversifiés mais qui tous prennent acte d’une évolution des mœurs. A moins que la ville elle-même, au sens urbain, ne soit enfin en passe de rattraper et coloniser La Défense, ce qui ne serait pas plus mal non plus…
En attendant, restait à l’architecte Didier Bigot, qui a déjà collaboré avec Culture et Patrimoine sur d’autres projets de ce type (hangar, lieux en friche), à matérialiser les vœux et desiderata des trois entités de la maîtrise d’ouvrage.
Sachant qu’il y a six niveaux de parking sous l’esplanade, même si les deux cellules choisies sont les plus proches de la dalle, «la première difficulté était liée à l’accès», explique l’architecte. Paris et La Défense ne sont ni Montréal ni Singapour et leurs sous-sols n’ont que peu d’accès à la surface. Ce qui signifie qu’il a fallu pour Didier Bigot créer ex nihilo des entrées et des sorties pour un nouvel équipement recevant du public (ERP). «Dans ces structures complexes, il n’y a pas beaucoup de solutions de verticalité», relève-t-il.
En l’occurrence, l’architecture ce n’est pas de la magie et l’accès à L’Alternatif utilise un parcours a priori aussi déroutant que l’intitulé de son adresse : après s’être repéré entre les tours Opus et Ariane, traverser la place de la pyramide, trouver les escaliers/escalators qui semblent aller nulle part, arrivé en bas se retourner sur sa gauche à 180*, ne pas se sentir perdu dans un espace venteux et un peu sinistre, faire quelques pas, trouver sur la gauche des portes battantes, descendre une volée de marches en béton dans un univers très minéral, pousser les portes coupe-feu, vous êtes arrivés.
Heureusement l’espace est étonnamment chaleureux et il suffit sans doute d’y être venu une fois pour retrouver assez facilement son chemin en même temps que l’envie d’y retourner.
La seconde problématique fut celle du désenfumage, d’autant qu’il y a des bureaux dans les étages. Obligé de crever la dalle au-dessus pour reculer la façade et installer en extérieur les escaliers de secours et les gaines d’évacuation, Didier Bigot en a profité pour créer un vaste balcon filant qui, en sus de faire pénétrer la lumière naturelle dans la salle d’exposition, donne par miracle sur un petit jardin boisé en pleine terre, celui de la résidence Gallieni, que nul ne s’attend à trouver là. Idéal pour les fumeurs donc.
Enfin, la troisième contrainte fut celle du renforcement des structures car les charges pour un parking sont inférieures à celle d’un ERP. «Il a fallu doubler toutes les structures en insérant des poutres entre les poutres existantes», indique Didier Bigot.
Avec ces contraintes, et malgré le manque de hauteur (4,2 m), l’architecte est parvenu à créer trois espaces qui fonctionnent ensemble à merveille. Le premier est un vaste espace d’accueil, de ‘coworking’ évidemment, un bar convivial où l’on peut travailler ou se retrouver et, bientôt, peut-être, une cuisine. Il s’ouvre largement sur une grande salle d’exposition dédiée à l’art urbain sous l’égide de la commissaire Audrey Hatchikian. Cet espace donne à son tour sur une autre grande salle en gradins, un auditorium pouvant accueillir aussi bien des concerts que des séminaires. L’ensemble, ou chacune des parties, peut être bien entendu totalement privatisé.
Le dessin de l’auditorium tient au fait qu’il prend place là où était la rampe d’accès du parking. Sa pente, trop faible, ne permettait pas de mettre des sièges comme dans un amphithéâtre. L’option ‘salons en gradins’ choisie par l’architecte répond aussi bien à la fonction d’y tenir des conventions et conférences qu’à celle d’accueillir des évènements culturels ou autres tout en laissant une large place à l’imagination. Soirée Full Monty pour Golden Boys ? C’est possible !
Le lieu peut donc recevoir tous types de publics, jusqu’à 800 personnes, aussi bien que des habitués du zinc. «Ce n’est pas un lieu figé, il peut être loué et utilisé de différentes manières», se félicite l’architecte dont la composition permet, malgré le manque de hauteur sous plafond, d’offrir une vision large de l’espace, quel que soit l’endroit où l’on se trouve.
Dans ce cadre, L’Alternatif fait le pari d’un lieu utilisé toute la journée. Pour «faire quelque chose le matin avant le travail», le programme prévoit par exemple des cours de yoga dès potron minet (7h15). Sinon, pour cette première saison, compter à résidence un musicothérapeute, un cabinet de coaching – thème : «Equilibre vie personnelle/vie professionnelle», un sujet qui apparemment préoccupe les salariés de La Défense -, un mentaliste, des ateliers de sophrologie et de gestion des réseaux sociaux, et encore un autre ‘atelier’ nommé DéKompress (sic), etc. A croire que les salariés de La Défense sont bien stressés. De l’intérêt sans doute d’un lieu ‘Alternatif’ de «culture et de divertissement» pour se détendre un peu… Manque peut-être le salon de massage et le SPA.
Il demeure que pour l’instant, s’il ouvre tôt, le lieu ferme assez tôt également. Les concerts auront lieu à partir de 18h. C’est la notion d’’afterwork’ qui prime. A 21h, toujours morne plaine La Défense ? Dommage pour les 40 000 visiteurs de la U Arena qui n’auront toujours pas un lieu où boire un verre après le match ou le concert.
«Une vraie réflexion doit être menée au sujet d’un lieu ouvert plus tard le soir et les week-ends», indique Patrick Bonduelle. En tout cas, si à l’avenir l’amplitude horaire de L’Alternatif s’étend, l’architecture de Didier Bigot pourra les accueillir.
In fine, c’est bien la question du devenir de La Défense et de son fonctionnement même qui est posée à travers ce projet de 1 200m².
Reste aux 85 finalistes du concours d’Anne Hidalgo à affiner le leur. L’Alternatif illustre nombre des enjeux liés au sous-sol et réaffirme que les projets ne sont dotés de sens qu’une fois dépouillés des oripeaux de la communication. Le second tour est prévu à la rentrée 2018.
Sinon les architectes encore en piste peuvent toujours s’appuyer sur le projet Oxygen de l’architecte Stéphane Malka. Lauréat du concours en 2016, ce projet qui devrait voir le jour avant l’été 2018 sur le Belvédère de La Défense décline tous les attendus et poncifs ‘hidalgiens’. Ce «jardin-terrasse de 1 000 m² comptera un bar ‘branché’, des restaurants bios/écolos et un espace de coworking». «Nous désirons recréer un jardin dans la lignée des jardins romantiques du XIXe siècle tout en restant contemporain», indique Stéphane Malka.
Exactement ce qu’a ordonné le docteur pour les cadres stressés des tours ?
Sinon, rien qu’à La Défense, 45 000 m² situés sous la dalle sont aujourd’hui inutilisés.
Christophe Leray