Selon un document parvenu à la rédaction de Chroniques d’architecture, le Conseil de Surveillance du Groupe AREP, présidé par Patrick Ropert, «a souhaité, lors de sa séance du 29 mars 2018, nommer un nouveau Président à la tête d’AREP». Ce qui apparemment signerait le départ d’Etienne Tricaud de l’agence qu’il a fondée avec Jean-Marie Duthilleul en 1997.
Certes, Etienne Tricaud, né en 1960, n’est pas encore tout à fait parti. En attendant au second trimestre 2018 la fin de son mandat de six ans et la désignation de son successeur, il «conserve donc ses fonctions». Il faut dire qu’un nouveau président du directoire d’AREP ne se trouve pas sous les sabots d’un cheval. Il n’empêche.
L’arrivée de Patrick Ropert à la tête de Gares&Connexions en octobre 2014 intervient deux ans après le départ de Jean-Marie Duthilleul, en 2012. Son installation dans le XIIIe arrondissement de Paris, au sein de l’ancienne usine Panhard et Levasseur réinventée par AREP, témoigne d’une première transformation managériale affirmée. «Mon bureau était fermé et isolé quand j’ai pris mes fonctions. J’ai choisi de le déplacer dans un endroit ouvert et visible pour l’installer au cœur de l’entreprise entre l’escalier et l’ascenseur, au cœur de la vie des équipes», explique-t-il (Le Figaro 25/09/2017).
Patrick Ropert a rejoint la SNCF en 1995, comme directeur de la gare de Grenoble avant de gravir tous les échelons jusqu’à devenir Directeur Général de SNCF Gares & Connexions, la branche de la SNCF qui gère, entre autres, pas moins de 3 000 gares voyageurs en France et dont AREP, aux projets pourtant immenses à l’échelle de l’architecture, n’est qu’une filiale.
Patrick Ropert partage sans doute avec Etienne Tricaud la conviction que la gare n’est plus «un simple lieu de transit mais aussi un lieu de commerce, d’échanges, une destination», pour citer le second puisque c’est le thème de l’ouvrage du premier, paru en 2017 et intitulé City Booster* («accélérateur de ville»). Pour autant, le second semble vouloir se séparer du premier avec ce qui ressemble à de la brutalité.
Ce n’est pas comme si ce document, les notes d’un auditeur de la séance du 29 mars, annonçait qu’après une longue et fructueuse collaboration, Gares & Connexion était au regret d’accéder au souhait d’Etienne Tricaud de prendre du recul, etc. etc. Non, ici l’annonce à la sécheresse d’une note ‘corporate’ : le Conseil de surveillance a souhaité… Et c’est le Conseil de surveillance qui fait la politique de la maison.
La loi «relative à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire de voyageurs»* serait-elle la raison du départ surprise d’Etienne Tricaud ? Si la justification semble un peu alambiquée, pour autant elle tient une grande place dans notre document de quelques paragraphes. «Cette annonce [du remplacement du président d’AREP] intervient dans le contexte actuel de réforme ferroviaire. Elle s’inscrit dans le cadre de la volonté de renouvellement exprimée par Patrick ROPERT», apprend-on en préambule.
Puis, pour les spécialistes de droit public, «concernant le changement des organisations ferroviaires en projet, le scénario qui semble se dessiner est celui de la transformation de Gares & Connexions en une Société Anonyme Publique, filiale de SNCF Réseau (elle-même transformée en «Société Nationale à Capitaux Publics»), avec un périmètre qui pourrait être élargi aux grandes halles voyageurs, quais, passerelles et souterrains.
Le Groupe AREP, positionné alors en tant que filiale de Gares & Connexions (et non plus filiale de Mobilités Participations comme actuellement), pourrait continuer à bénéficier du statut d’entreprise liée. Ainsi, les contrats cadres actuels pourraient perdurer (sous réserve de réaliser 80% du chiffre d’affaire avec Gares & Connexions ou d’autres entreprises qui lui sont liées)».
Comprenne qui pourra…
Questions : La SNCF a-t-elle encore besoin/envie d’une maîtrise d’œuvre intégrée ? AREP pourrait-elle être privatisée ?
Lors d’un voyage de presse à Lorient en juin 2017, Etienne Tricaud anticipait sur cette loi et semblait alors penser qu’AREP était armée pour y faire face. De fait, encore en janvier dernier, il tenait à l’agence une conférence de presse pour présenter les trois derniers projets d’AREP en Chine – une tour multi sport à Hangzhou, une nouvelle gare à Chengdu, et l’écocité de Wuhan. Autant de projets, et il ne s’agissait que de la Chine !, avec lesquels il semblait se projeter dans le futur avec une passion intacte. La preuve, deux jours plus tôt, il indiquait que le projet Antonypole à Antony (Hauts-de Seine), loin de Shengdu et Dubaï, l’avait «passionné».
A peine deux mois plus tôt, Patrick Ropert se félicitait (Ouest-France, novembre 2017) qu’«en trois ans, nos activités [celles d’AREP et non celles de Gares & Connexions. NdA] ont été multipliées par cinq. En Chine, nous construisons les gares des Jeux olympiques d’hiver 2022. Au Moyen-Orient, la gare emblématique de l’exposition universelle Dubaï 2020. Et nous venons de faire notre première offre d’exploitations de gares en Arabie Saoudite».
Qui parle : the twin brothers ? En tout cas, d’évidence, AREP va bien.
La différence est peut-être celle des objectifs. Patrick Ropert ne fait pas mystère des siens. Ils ont pour focus «l’accélération de l’accroissement» des ventes commerciales et des services dans les gares, qui comptent d’ores et déjà pour un tiers des revenus de Gares & Connexions, des revenus ayant augmenté de 12 % entre 2014 et 2016. Un savoir-faire qu’il explique vouloir développer également à l’international.
«Entre 2018 et 2020, nous allons investir 1,2 Md€ d’euros dans les gares, pour accroître le confort, l’accessibilité, mais aussi le volume de surfaces commerciales», indique-t-il (Les Echos, août 2017). 1,2Md€, c’est une somme.
Ce d’autant que l’idée de Gares & Connexions n’est pas de privilégier les seules grandes gares. «Une de nos solutions pour réinventer le commerce dans les petites et moyennes gares est d’y faire venir des artisans locaux, comme nous venons de le faire avec un boulanger local à Avignon-centre», expliquait Patrick Ropert en août 2017.
Pour ces commerces, il défend l’ouverture le dimanche (ce qui est déjà le cas pour la restauration). «Aujourd’hui 70 % des boutiques qui peuvent l’être sont ouvertes le dimanche et nous l’imposons dans les nouveaux contrats de concession». Il suffit de multiplier par le nombre de gares.
Enfin, la quatrième de ses priorités est d’améliorer «nos performances en construisant plus vite et moins cher». A bon entendeur.
C’est une vision.
Peut-elle s’accommoder de l’exigence architecturale dont Etienne Tricaud a toujours fait preuve et qu’il a insufflée à ses équipes ?
«Quant aux changements d’organisations au sein du Groupe AREP, Etienne TRICAUD a indiqué qu’ils ne doivent pas être vécus comme un prétexte à la dispersion, mais au contraire être l’occasion de renforcer nos liens pour être plus fort», souligne notre document. Etienne Tricaud «a indiqué» ? C’est lui qui utilise la négation ? Parce qu’il y a prétexte à la dispersion ?
A la fin, il demeure qu’AREP est une filiale, certes prestigieuse mais qui ne pèse guère face à 37 millions de trains par an transportant 2,3 milliards de voyageurs. L’influence de l’architecte, même s’il est ingénieur, trouve rapidement ses limites au sein de ces nébuleuses para-étatiques.
Cinq ans après son départ, le poids des amis de Jean-Marie Duthilleul est sans doute moindre et Etienne Tricaud s’est peut-être senti bien seul face à un conseil d’administration qui compte plus d’hommes issus de la finance et du commerce que d’hommes de l’art.
Quoi qu’il en soit, le départ du dernier fondateur historique signerait forcément la mise en œuvre d’une autre vision que la sienne. Sinon pourquoi ne pas garder Etienne Tricaud ?
Appelé à commenter, Patrick Ropert déclare à Chroniques d’architecture que «la décision du Conseil de surveillance confirme la stratégie de donner une impulsion nouvelle à AREP, ce qui passe par un nouveau président du directoire pour le mandat 2018-2024». Dans le profil du candidat recherché, «pour un groupe multidisciplinaire et à vocation internationale» ni la compétence architecte ni la nationalité française ne sont exclusives, dit-il.
Etienne Tricaud quant à lui n’a pas souhaité s’exprimer sur ce sujet.
Sinon, ‘business as usual’ et le 13 mars 2018, AREP, associé au groupement mené par UrbanEra (Bouygues Immobilier), a remporté l’aménagement du site Charenton-Bercy, initié dans le cadre de l’appel à projets Inventons la Métropole du Grand Paris. Puis, le 3 avril 2018, AREP Ville était retenu pour réaliser l’étude d’intermodalité du Pôle d’échange de Bobigny Pablo Picasso, dans le cadre du Grand Paris Express et de l’arrivée de la ligne 15 Est.
Loin de Chine, loin du cœur ?
Christophe Leray
*City Booster, les gares à l’aube d’une révolution, de Patrick Ropert, éditions Débats Publics, 18 €, 196 p. Octobre 2017
** Afin de garantir un accès transparent et non discriminatoire des entreprises ferroviaires aux gares de voyageurs, la proposition de loi prévoit de transformer Gares et Connexions, qui est actuellement une direction autonome de SNCF Mobilités, en société anonyme à capitaux publics, filiale de l’EPIC «de tête» SNCF. Toute en faisant partie du groupe public ferroviaire, le gestionnaire de gares bénéficierait ainsi d’une indépendance organisationnelle et fonctionnelle vis-à-vis à l’opérateur historique de transport.