Bon, la présidentielle n’est pas finie que la campagne de Paris a commencé. L’investi Fillon, que l’on croyait premier ministre, vient en effet d’envoyer un scud sur Paris–Plage en remettant en cause le projet de la ville de Paris de ‘reconquérir’ ses quais. Au moins le papier à en-tête n’était pas celui de Matignon. Tempête de sable dans un Marais ? Politique.
Quand Dwight E. Eisenhower a, en 1956, signé le Federal-Aid Highway Act, il répondait à des impératifs militaires – les autobahn d’Hitler s’étaient révélées d’une redoutable efficacité -, à des impératifs économiques – les lobbies de l’industrie automobile et des ‘Teamsters’ sont puissants – et à des impératifs de circulation pendulaire – les principales grandes villes avaient déjà construit des ‘bypass’.
Le président américain souhaitait que les ‘Interstates’ contournent les centres des grandes villes.
Las, face aux pressions de ses amis politiques maires de grandes villes, Richard J.Daley, le maire démocrate de Chicago, en tête, Eisenhower n’en fit pas une affaire d’Etat et ces nouvelles autoroutes nationales pénètrent au coeur des grandes agglomérations U.S., excepté Houston, née avec l’infrastructure.
Dans les années 70, la France en faisait autant. Jean-Claude Antonini, aujourd’hui maire d’Angers maître d’oeuvre d’un programme ambitieux de ‘reconquète’, se souvient encore de «l’enthousiasme de la presse quand on a fait sauter le dernier feu rouge pour créer une voie rapide [sur les quais de la Maine]». A l’époque, ces trémies des Ponts&Chaussées : des ouvrages d’art.
Il fallut peu ou prou cinquante ans pour que cette conception automobile du progrès soit remise en cause. Tandis que les villes américaines se re-densifient, en France, Bordeaux et Lyon ont apparemment montré le chemin. Sauf qu’à Bordeaux et Lyon, il ne s’agissait pas tant de ‘voies sur berge’ que de friches industrielles. Ce qui est beaucoup moins compliqué.
Pourtant, partout, des villes tentent désormais de «reconquérir» ces espaces et de ‘réconcilier la ville avec la rivière’ [le fleuve, la mer, la montagne, la vallée, rayer la mention inutile]. L’une des problématiques, pas la moins embarrassante, est notamment de savoir s’il faut aller vite ou prendre le temps, faire le choix de la rupture ou de la précaution.
Tandis que se chicanent les édiles, le débat demeure : faut-il accéder aux rives à pieds, en voiture, en engin motorisé, à dos d’âne ? Que faire des chemins de halage ? Ces questions ne sont du ressort ni des architectes ni des urbanistes.
Il serait certes dommageable que le cadre de vie des citoyens pour les prochaines cinquante années soit l’objet d’enjeux politiciens à courte vue. Dis autrement, l’enjeu pour les électeurs des futures municipales à Paris est bien un choix politique majeur symbolisé désormais par l’opposition de la culture ‘vroom vroom’ du premier ministre et de la culture ‘bobo-vélo’ du maire. N’est pas Eisenhower qui veut.
Cela écrit, en 1937, vingt ans avant Eisenhower, Chicago inaugurait la première section de son ‘Lake Shore Drive’, The Drive ou LSD pour les intimes. Quatre-vingts ans plus tard : toujours une voie sur berge, huit files, une rupture – brutale – entre la ville et le lac Michigan. Pourtant les Chicagoans n’échangeraient pour rien au monde l’expérience de ce ‘Skyline’ scintillant à l’échelle 1 perçu à travers les vitres de la voiture.
Qu’en pense un automobiliste passant rive gauche et rive droite, le soir, devant Notre-Dame et la Conciergerie illuminées ?
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 18 janvier 2012