La vie est pourtant déjà suffisamment compliquée. Non, il faut recevoir un courrier de la SG/DMA (Délégation ministérielle à l’accessibilité), avec une adresse en @developpement-durable.gouv.fr. Il s’agit je sais de conception universelle. J’ouvre, je lis.
J’apprends (je cite) : «Il faut former les gens qui font les maisons pour qu’ils construisent des bâtiments faciles à vivre».
Sic.
Il s’agit d’un communiqué de presse, ‘facile à lire et à comprendre’, en français dans le texte. Il faut «interdire aux bus et autocars non équipés pour accueillir les personnes handicapées de faire du transport en commun». Ou encore «organiser une grande réunion pour que tous les responsables des transports collectifs se mettent d’accord et prennent des décisions».
Je n’invente rien. Le document original de la Délégation ministérielle à l’accessibilité est accessible ici*. Cela arrive comme ça, à 14h35 un mercredi après-midi.
Certes, le rapport signé par Philippe BAS – Président de l’Observatoire interministériel de l’accessibilité et de la conception universelle, Sénateur, Vice-président du Conseil général de la Manche, ancien ministre – fait 156 pages mais sa version en langage ‘facile à lire et à comprendre’ ne laisse pas d’étonner.
Ca y est, nous avons un langage officiel pour les simples d’esprit.
De fait, le sénateur Bas se plie à la réglementation européenne qui impose que les documents officiels soient également rédigés en langage ‘facile à lire et à comprendre’*. Il est sans doute de bonne foi.
Revient alors en mémoire le 1984 de George Orwell, écrit en 1949. Il était question déjà de dénaturer le langage à sa plus simple expression à fin de coercition. A l’heure où l’UE reçoit un prix Nobel, souvenez-vous : «la paix c’est la guerre», expliquait Big Brother.
Nous pourrions écrire encore de Propaganda, livre écrit en 1929 par Edward Bernays, neveu de Sigmeud Freud et ‘père’ des ‘public relations’ modernes. ‘Comment manipuler l’opinion en démocratie’, expliquait gravement le brave Edward, dont toutes les agences de com de la planète ne savent pas combien elles lui doivent.
Aujourd’hui, en 2012, des textes ‘facile à lire et à comprendre’.
Bon, les architectes dans tout ça ?
Voyons, dans un magazine d’architecture, une pub ‘facile à lire et à comprendre’.
Il y a là quatre tomates.
La première a passé sa date de péremption.
La seconde, verte, est gonflée d’orgueil.
La dernière, cramoisie, est écrabouillée ; sa sève, ses pépins et son jus tout éparpillés.
La troisième, tomate grappe, fière comme Artaban, est en pleine forme et, encore toute mouillée de la douche, à croquer.
Il n’est pas clair s’il s’agit des meilleures, plus grandes, des principales ou finalement des agences au chiffre d’affaires le plus important. En tout cas, ce TopArchi 200 n’est ni pour les trop vieux ni pour les trop jeunes ni pour les écrabouillés.
Dialogues en ville
– Alors tu n’es pas dans le TopArchi 200 ?
– Bah non ! Pourquoi ?
– Looser. Alors, trop vieux, trop jeune ou écrabouillé ?
– Alors tu es dans le TopArchi 200 ?
– Bah oui ! Pourquoi ?
– Win win. Alors ça marche mon vieux ?
Le ‘facile à lire et à comprendre’ a le mérite de résumer une pensée. Ici les ‘gens qui font les maisons’ sont là répartis en quatre catégories : les vieilles tomates, les tomates vertes, les tomates écrabouillées, la tomate grappe qui sort du bain.
L’ironie veut que cette tomate grappe ne soit que l’avatar de contraintes commerciales, qu’il s’agisse du calibre ou du galbe. De Lille à Marseille, toutes pareilles et toutes pas chères.
Misère !
Pourquoi l’infamie des tomates d’abord ? Pourquoi pas des poires ou des pommes, au moins ? Des poireaux ou des épinards, pour le fer ?
Misère !
Il paraît que c’est ‘facile à lire et à comprendre’.
Qui lit et qui comprend quoi ? Que «l’ignorance c’est la force» ?
La vie est déjà bien assez compliquée, et maintenant ça, à 14h35, un mercredi.
Christophe Leray
*http://accessibilite-universelle.apf.asso.fr/media/01/00/1701808764.pdf
Cet article est paru en première publication sur Le Courrier de l’Architecte le 17 octobre 2012