Depuis quelques semaines, la presse de tout poil montre un intérêt sans précédent pour la profession de l’architecte en se questionnant sur la loi Elan, votée malgré tout ce mercredi 13 juin 2018 à l’Assemblée nationale. Cet élan communicatif, initié dès le mois de février avec une première pétition, n’a donc pas porté ses fruits. Pourquoi ?
Pétitions, lettres ouvertes, prises de micro, dossiers de presse… l’écho observé dans la presse française marque le reflet d’une prise de conscience collective jusque-là inégalée pour les architectes. Toutes les presses se sont retrouvées vent debout, pour diverses raisons, contre la loi ELAN. Les chaînes d’info, plus ou moins en continu, Cnews, BFMTV, LCI ont commencé par relayer que cette loi posait problème(s), les radios, de France Info à France Culture en passant par France Inter et Europe 1, prenaient ensuite le relais.
Les hebdos en ont fait leur choux gras et des dossiers informés (L’Express, Télérama, Le Point, Paris Match, Marianne…) tandis que les quotidiens nationaux de tous bords politiques et de tous supports comme le Figaro, Le Monde, La Tribune, Les Echos, L’humanité, L’Opinion, Médiapart, Le Huffington Post ou encore Libération se penchaient sur la question, à l’instar des quotidiens régionaux (Ouest France, Le Parisien, Le Télégramme). Même le mensuel Glamour, dont l’architecture n’est pas franchement le cœur de cible en a parlé !
Il est bien rare de voir Glamour ou Paris-Match évoquer des sujets ‘béton’, sauf quand il s’agit de donner le prix des villas de Johnny Halliday… Quant à Nicole Ferroni et à Guillaume Meurice, ces deux humoristes auraient-ils trouvé une autre marotte à la radio France Inter ? A ce rythme-là, Christophe Honoré réalisera une série pour Netflix d’ici la rentrée !
Toutes ces prises de paroles, plus ou moins denses, ont brouillé les véritables enjeux de la loi, y compris pour les premiers concernés. Un article dans Paris-Match, ça fait jaser dans les dîners en ville et ça noie aussi le poisson avec une belle efficacité. Démonstration. Cet article, paru le 7 juin, illustre toute la difficulté à laquelle font face les architectes, avec tout le respect dû à des Grand prix d’Architecture bien sûr.
En l’occurrence, le magazine avait réuni sept architectes, et non des moindres, – Anne Démians, Alice Wijnen, Pablo Katz, Pascal Rollet, Francis Soler, Marc Barani et Florence Lipsky -, autant de maîtres d’œuvre bien informés. Tellement d’ailleurs que l’article évoque parfaitement nombre des sujets importants de la loi, avec des raccourcis bien sentis – «ce n’est plus de l’architecture, c’est de la construction», pour citer Anne Demians – mais qui, abordés succinctement par défaut, laissent au final le lecteur non averti sur des incompréhensions : quelle est la différence entre architecture et construction ?
Le lecteur a en revanche bien compris le raccourci proposé par les initiateurs de la loi ELAN «construire mieux, plus vite et moins cher». Parlons d’argent ! D’ailleurs le magazine, que nul ne peut soupçonner d’impertinence vis-à-vis de la famille présidentielle, prend soin, afin que l’article soit bien équilibré, de citer à la fin Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, «élu de terrain qui a beaucoup fait construire». La suppression des concours? «Les bailleurs assurent que c’est une procédure coûteuse et longue, qui ne garantit pas nécessairement la qualité», observe le ministre, qui déplore par ailleurs une «réclamation corporatiste».
Chaque architecte sait parfaitement, comme le relève Pablo Katz dans l’article, que «dire que le concours fait perdre du temps est un faux argument». Le ministre «élu de terrain» le sait sans doute aussi mais il parvient pourtant, à nouveau, en se défaussant sur les bailleurs, à faire passer le message que l’architecte et l’architecture coûtent cher et qu’une corporation de nantis est encore en train de pleurnicher. Avant d’asséner pour conclure comme une évidence que «rien dans la loi ne remet en cause le rôle des architectes». C’est bien la preuve que, aussi loin que le sous-ministre est concerné, nos sept architectes sont à côté de la plaque. CQFD.
La communication c’est un métier et, à ce jeu-là, pile l’architecte perd, face il ne gagne pas.
En témoigne encore le papier paru dans Glamour le 8 juin. Là, entre un article titré ‘Perte de poids : les tea tox, une fausse bonne idée’ et un autre ‘Pourquoi faire défiler des hommes ‘enceints’ est une idée de génie’, un petit article intitulé en majuscules – un titre presque aussi long que l’article – LES PERSONNES EN SITUATION DE HANDICAP, GRANDES OUBLIÉES DE LA LOI ELAN. Dans la nouvelle loi, seuls 10% des nouveaux logements devront désormais être conformes aux normes d’accessibilité, les 90% restant étant censés devenir ‘évolutifs’. Le magazine offre quelques lignes à Jean-Louis Garcia, président de la Fédération APAJH (Association Pour Adultes et Jeunes Handicapés) pour s’insurger. «Le gouvernement annonce que les travaux pour rendre les logements évolutifs seront réalisables à moindre coût, mais que signifie vraiment un moindre coût ?», s’interroge-t-il.
Surtout, qui supportera ce coût à l’avenir, et à quel coût justement ? C’est le cœur du sujet. Le magazine ne répond pas et, après cette petite séquence émotion, il est temps de revenir aux choses sérieuses : Où se faire tatouer en dehors de Paris ?
Christine Lecomte, fraîchement élue à l’Ordre des Architectes s’est démenée devant tous les micros, en faisant presque une affaire personnelle. Pour une fois que la profession se solidarise un peu, elle se sentait investie d’une responsabilité et nul ne saurait le lui reprocher.
Mais si la presse généraliste a multiplié les sujets, s’attardant pêle-mêle selon les angles sur la profession d’architecte, la loi Littoral, l’accessibilité des nouveaux logements collectifs, la suppression des concours d’architectes, etc. à force de raccourcis explicatifs et points de vue divers, dans ce brouhaha, ces articles ont fini par véhiculer auprès du grand public les habituelles inexactitudes et idées reçues sur l’architecture. Si les journalistes non spécialisés aiment à confondre architecture et patrimoine, c’est parce que là, au moins, tout le monde comprend. L’architecture contemporaine, c’est tout de suite plus compliqué.
Pour sa part, si la presse professionnelle – pas toute – a consacré des articles à ce sujet – pas tant que ça – l’ironie veut qu’il suffise de quelques discussions pour s’apercevoir que, malgré les débats, les tenants et aboutissants de la loi restaient bien flous chez nombre de maîtres d’œuvre eux-mêmes. Au-delà de ses enjeux propres, cette loi Elan semble surtout être vécue par eux comme le symbole d’une profession en crise et en mal de reconnaissance, voire de légitimité.
Que nous dit cette campagne de communication en demi-teinte puisque, finalement, la loi est passée à l’Assemblée comme le souhaitait le gouvernement sans que les architectes puissent réellement peser sur les débats, ni à l’Assemblée nationale ni dans le débat public ?
Il est permis de penser que les architectes doivent pourtant disposer des mêmes armes que d’autres ‘corporations’ – médecins, avocats, notaires, etc. – qui parviennent quant à elles à peser sur les politiques. D’autres communautés et associations de tous ordres, qui comptent souvent moins d’adhérents qu’il n’y a d’architectes, parviennent également à se faire entendre.
Est-ce finalement parce que l’architecture, sans même parler des histoires de chapelles, ne peux pas être réduite à des simplifications qu’il est si difficile d’en faire partager les enjeux aux premiers concernés ? Ou peut-être qu’avec la loi Elan, l’architecture paie le prix fort pour s’être tue trop longtemps, ayant laissé depuis la crise de 2008 insidieusement progresser les privilèges accordés aux maîtres d’ouvrage privés, tant sur la question des budgets travaux, que des honoraires, etc.
Alice Delaleu et Christophe Leray