C’est un trait des politiciens français que d’être incapables de se saisir de la complexité de la ville, voulant à chaque fois offrir une réponse simple pour rassurer ou bluffer les gens. Sauf qu’ils confondent simplicité et simplisme. Par exemple, je me souviens qu’au Japon, il y avait un système très astucieux pour exprimer les qualités et défauts d’un logement.
Il s’agissait d’un symbole exprimé par une étoile à cinq branches, chaque branche graduée de 1 à 5 (ou 10 je ne sais plus) exprimant une qualité particulière. Par exemple une branche était liée à la consommation énergétique du bâti, une autre à la consommation d’énergie nécessaire à la famille (proximité ou non du métro, des commerces et des écoles, nécessité ou non de prendre la voiture, etc.), une autre aux matériaux et leur qualité (circuit court ou long) et à savoir si leur mise en œuvre permettait de faire travailler les artisans locaux, une autre était consacrée au rapport qualité/prix, deux salles de bains ou une seule, balcon ou non, etc.
Le résultat était que chaque acheteur ou locataire, même le moins averti, savait reconnaître en un regard, selon la longueur des branches de l’étoile, quelles étaient les qualités et les défauts de ces logements et pouvait alors faire un choix éclairé. Ce système était une façon d’exprimer simplement une réalité compliquée, d’ailleurs de façon presque artistique tellement l’étoile était stylisée et par nature différente selon chaque bâtiment.
Mais en France, nous aimons la simplicité et les codes couleurs. Ici, l’habitat est comme un frigidaire, il est soit A, en vert, soit B, soit C, etc. Mais la catégorie B ou C et la couleur verte ou rouge ne disent rien des qualités ou non de ce frigidaire. Il est étiqueté vert parce qu’il consomme peu mais peut-être a-t-il été importé de Thaïlande et fabriqué par des gamins payés au lance-pierres ? Le frigo de catégorie D, à cause de sa consommation excessive, a peut-être été récupéré, réparé et remis à neuf par des compagnons dans un atelier juste dans le bas de la rue tandis que l’original avait été construit et assemblé dans un village de l’Aveyron. Quel bilan carbone pour le premier comparé au second ?
On peut faire la même démonstration avec la nourriture, elle aussi estampillée d’un code couleur. Des tomates bios venues du Pérou livrées dans un emballage plastique sont-elles plus bios que les tomates livrées à mobylette par un maraîcher du coin qui produit ses tomates à partir de graines industrielles et depuis 20 ans toutes pareilles ? Label vert pour la première, label noir pour le second ?
Bref un code couleur et une lettre – la simplicité telle que nous l’aimons en France dès la maternelle – ne permettent pas d’apprécier la qualité et la complexité de l’objet sur lequel cette distinction normée est apposée. Elle est pourtant présentée par tous nos gouvernements comme une solution simple et claire – vert, orange, rouge, c’est universel Coco.
Ce n’est pas le cas, c’est un système simpliste qui ne dit rien non plus des enjeux concernés – le logement, la nourriture, le mobilier – et qui serait carrément imbécile s’il n’avait vocation à préserver des intérêts industriels.
Sinon pourquoi inventer un truc aussi débile que E+C-* censé indiquer la qualité d’un logement et auquel aucun Japonais n’y comprendra jamais rien ?
Bref, à l’heure des municipales, alors que nous n’avons pas fini d’entendre tous les impétrants nous proposer leurs propositions simples, peut-être est-ce le moment de leur poser des questions compliquées. Quitte à en prendre pour six ans, savoir au moins s’ils ont conscience de ce qu’ils font.
Christophe Leray
*Voir notre article Pour calculer E+C-, pas besoin d’Einstein